La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 25 novembre 2025

À l'écart, en groupes, les poètes virant tout cela ; moi, je prenais des notes.

 

Günter Grass, Une rencontre en Westphalie, parution originale 1979, traduit de l'allemand par Jean Amsler, édité en France au Seuil.


(J'ai vu « baroque » sur la 4e de couv, j'ai pas été plus loin.)
En 1647, alors que les négociations sont en cours pour mettre fin à la Guerre de Trente ans, mais que les coups de main sanglants continuent, des poètes allemands se rassemblent pendant trois jours. Ils célèbrent la poésie et la langue allemande, se disputent, se félicitent, mangent, boivent, s'entendent plus ou moins bien avec les servantes.

Les poètes eurent bientôt surmonté la querelle du potage pour se repaître de substances langagières : c'étaient des ruminants vivant de peu, se rassasiant à la rigueur de se citer eux-mêmes.

Petit point : évidemment il y a beaucoup de noms propres allemands (sans blague), entre lesquels je m'embrouille. Je n'ai rien retenu de qui était qui (à part un ou deux), mais ça ne m'a pas du tout gênée. De tous ces noms, je n'en connais qu'un seul, l'auteur de Simplicissimus. Ce qui compte, c'est le groupe, n'est-ce pas.


Grass se fait plaisir, célébrant et raillant la langue allemande, et le pouvoir des poètes. En pleine guerre, alors que les campagnes sont ravagées par la famine, la peste, les meurtres et les viols, s'intéresser au beau langage : beauté de l'art, suprême élégance, ridicule achevé ou indifférence égoïste ? Un peu tout cela. D'autant que parmi ces poètes, il y a aussi des imprimeurs et des éditeurs, mais surtout un « je » : qui est-il ? Et bien on ne saura pas.
C'est que pendant que l'on mange et récite de la poésie, les cadavres descendent la rivière.

Il y a d'abondantes citations et des allusions biographiques, avec des renvois vers les publications de ces messieurs.

L'hôtesse était à coup sûr une gaupe, assez extraordinaire d'ailleurs, qui parlait couramment italien avec Gryphius, payait de retour même en latin le magister Buchner et s'y retrouvait dans le bosquet des lettres comme une renard dans le têt aux oies.


Jacob Jordaens et son atelier, Les Jeunes piaillent comme chantent les vieux 1640 Ottawa


Lauremberg, de Rostock, bien que depuis l'invasion de la Poméranie par Wallenstein il fût établi dans l'île danoise de Seeland, étalait son jargon autochtone sur la table, et c'est en platt que lui répondait Rist, prédicant venu du Holstein. Établi depuis bientôt trente ans à Londres, le diplomate Weckerlin gardait intact son raboteux accent souabe. Et au silésien prédominant Moscherosch mêlait son alémanique mâtinée de francique rhénan, Harsdörffer son franconien impétieux, Buchner et Gerhardt leur saxon. Greflinger son gargouillis de Basse-Bavière et Dach son prussien aplati d'entre Memel et Pregel. On entendait le Gelnhausen filer des obscénités tristes et des maximes bouffones ; car le cours de la guerre avait appris au Stoffel, en sus de l'accent de Hesse, ceux de Westphalie et du Bade.
Autant ils étaient incompréhensibles quand ils se faisaient comprendre, autant ils étaient, en matière de langue, d'une richesse étourdissante, et autant leur allemand flottait à tous les vents.

Je recommande si vous avez l'esprit joueur.


Wikipedia me dit : « ce texte est un hommage et un roman à clé concernant la littérature allemande après la Seconde Guerre mondiale, et notamment le Groupe 47 dont Grass a été membre. »
Franchement, je les crois sur parole, ce point m'est totalement passé au-dessus de la tête.

Ce bel hommage à la langue allemande et à ceux qui l'ont fabriquée a pleinement sa place dans les feuilles allemandes.

Grass a obtenu le prix Nobel de littérature en 1999. J'ai également chroniqué  L'Appel du crapaud.



2 commentaires:

  1. Mouais, mais pas trop envie de m'y lancer (je me souviens d'un bouquin de Grass, qui a stagné sur mes étagères des années, et a fini par être viré, je savais que je ne le lirais pas)

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  2. De Günter Grass, je n'ai lu que son autobiographie, "Pelures d'oignon". Très intéressante et qui a été sujette à quelques controverses. Je lirai bien "Le Tambour" un jour parce que c'est son roman le plus connu mais le cadre historique de "Une rencontre en Westphalie" me tente davantage.

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