La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 6 novembre 2025

On aurait cependant tort de voir dans cet affranchissement un simple acte de bienveillance.

 

Julie Duprat, Casimir Fidèle, 1748-1796, parcours d'un affranchi, 2025, CNRS Éditions.

Là, c'est de l'histoire.

Celle de Casimir Fidèle, donc, puisque c'est le nom qu'on lui donne, à défaut de connaître le sien. Né sur le continent africain, razzié, vendu sur la côte de Guinée pour être déporté dans les plantations de Saint-Domingue, mais approprié par un officier du navire, qui l'amène avec lui à Nantes. Où il est revendu, mis en apprentissage, revendu... Oui parce qu'au XVIIIe siècle l'esclavage se porte assez bien Métropole également. Puis à Bordeaux, affranchi, il ouvre son hôtel. Hôtel de luxe pour toute l'élite locale (notamment celle qui vit du commerce des esclaves et du sucre). Et arrive la Révolution...

Le 15 mai 1791, ce sont tout d'abord les personnes de couleur nées de père et mère libres, comme Raimond, qui accèdent à la citoyenneté pleine et entière. Il faut cependant relativiser la portée du décret : ces personnes ne représentent que 5 % seulement de la population totale des libres de couleur.

Duprat étudie tout cela, archives sous les yeux, consultant ses collègues, bâtissant des hypothèses, s'interrogeant sans cesse. A-t-il vécu ceci ou cela ? Fut-il bon et généreux ou rusé et un peu égoïste ? Quels furent ses sentiments, au moment d'ouvrir son propre établissement, ou encore au moment de l'abolition de l'esclavage ? Et ses relations avec le reste de la population noire de Bordeaux ? Quoi de commun entre les riches fils de planteurs, métis, père bordelais et mère esclave, et les affranchis, entre ceux nés en Afrique et ceux nés à Saint-Domingue ? Pas grand-chose peut-être... Mais on ne sait pas. Et l'histoire, c'est aussi raconter ce que l'on sait et ce que l'on ne sait pas, mais que l'on peut supposer. C'est aussi la tentative d'amener un peu de chair derrière les documents des archives, qui sont loin d'être froids, mais qui ne sont pas toujours bavards.

J'ai connu cette exploration des archives. Étudiant un critique et collectionneur d'art, j'ai connu ce moment où l'on oublie de déjeuner (oui !) parce que l'on a trouvé par hasard la description du logement de l'individu dont on ne savait rien une heure auparavant. Alors, au-delà de l'histoire passionnante, patiemment restituée (et non pas reconstituée), je partage l'enthousiasme de l'historienne.

« Natif d'Arada, Côte de Guinée ». C'est l'origine que l'administration française lui attribua sur son acte de baptême. Et aujourd'hui, c'est le seul mot, la seule piste dans les archives qui me permet d'esquisser ce que fut sa vie sur le continent africain, de sa naissance en 1748 à sa déportation en 1754.

C'est le début.

Anonyme, Portrait de domestique, 18e siècle, Le Havre musées Art et H


Au siècle des Lumières, les tables sont envahies de produits exotiques : sucre, cacao entre eutres, qui modifient considérablement les habitudes alimentaires des Français. Ces produits, arrivés par bateau, apportent avec eux une immense charge coloniale. Faire cuisinier ces produits par les mêmes personnes qui, aux colonies se tuent à la tâche pour les cultiver, devient le comble du luxe. À Nantes, un tiers des esclaves apprentis sont ainsi destinés à devenir cuisiniers.
Si le sujet vous intéresse, j'avais parlé d'une exposition en Normandie.

Depuis quelques dizaines d'années, le statut de cuisinier, jusque-là largement déprécié, connaît une toute nouvelle valorisation sociale. Qu'il soit esclave comme les autres n'y change rien : dans la maison Soissons comme dans les plantations aux colonies, les esclaves aussi ont leur propre hiérarchie et certains, comme Casimir, sont munis de plus de pouvoir que d'autres. (…) J'aurais préféré, évidemment, l'image d'un Casimir irréprochable, prêt à aider ceux qui partagent sa condition servile, mais c'est plutôt celle d'un homme distant avec les autres esclaves qui se forme à la lecture des archives.

Ce livre se lit très facilement (par exemple : un aller-retour Marseille-Montpellier), je vous le recommande vivement. Vous apprécierez le récit de la rencontre entre Casimir Fidèle et le sénateur Belley et celui de la rencontre entre l'historienne et les descendants du héros. Aujourd'hui, un collège de Bordeaux porte le nom de Casimir Fidèle.

De Julie Duprat, j'ai également lu Bordeaux Métisse sur la présence noire à Bordeaux au 18e siècle (mon billet parle d'ailleurs de Casimir Fidèle).

Si le sujet vous intéresse, mais que vous avez la flemme ou que votre trajet en train est plus court, je vous suggère d'écouter Julie Duprat dans ce podcast.


3 commentaires:

  1. Ah les archives... Savoir les faire parler est tout un art (je préfère rester sur ma faim que sentir une reconstitution forcée). Bon, l'auteure est inconnue dans mon coin, vais je devoir me livrer à une recherche pointue? je le crains, avec ce CNRS indiqué là. Mais je constate qu'il existe de longues videos, ça peut le faire aussi.

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    1. C'est un métier. Duprat est venue aux RDV de l'histoire à Blois, elle a eu un peu de presse, tu la trouveras peut-être.
      Je te conseille ce podcast sur le sujet
      https://parolesdhistoire.fr/index.php/2025/10/06/403-dejouer-un-destin-desclave-avec-julie-duprat/

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  2. Ces rvh sont tellement riches et touffus dans le catalogue que cette année encore j'ai raté des trucs.

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