La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



dimanche 12 février 2012

Mon cerveau est recouvert d’engrais, d’une sorte de compost favorable aux instants écartés qui poussent et s’épanouissent aussi haut et aussi vite que des arbres de contes de fées.

Janet Frame, Vers l’autre été, traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Marie-Hélène Dumas, écrit en 1963, publié en 2007, Paris, Éditions Joëlle Losfeld, 2011.

Dans la catégorie"Australasie" du défi d'Yspaddaden, j’avais relevé le nom de Janet Frame, dont j’avais acheté ce livre l’année dernière. J’avais oublié ce que les critiques avaient dit à son propos mais cela m’est peu à peu revenu au cours de ma lecture. Et après Rosa Montero, nouvelle révélation. J’ai beaucoup aimé ce roman.
   La narratrice est Grace Cleave, une écrivain néo-zélandaise vivant à Londres, semble-t-il depuis des années. Elle ne semble pas vouloir y retourner un jour mais une seule phrase nous éclairera : « J’ai été officiellement déclarée folle en Nouvelle-Zélande. Y retourner ? On m’y a conseillé pour mon salut de vendre des chapeaux. » Elle n’est pourtant pas folle mais sa raison semble peu terrestre et a du mal à rester fixée à la réalité du quotidien. Tout semble vivant, le paysage et les maisons. Elle vit dans un monde intérieur, navigue dans ses souvenirs d’enfance en Nouvelle-Zélande. On n’en saura guère plus.
    Le roman raconte un week-end où Grace est invitée chez un couple dans le Nord de l’Angleterre. Elle est pleine d’appréhension, fait bien attention à n’avoir que des propos de la plus plate banalité, pour ne pas se faire remarquer. Ses hôtes ne comprendraient pas si elle leur apprenait le plus simplement du monde qu’elle est devenue un oiseau migrateur… Elle vole d’un bout de la terre à l’autre, dans l’immédiateté du souvenir, la vivacité de ses pensées.
On flotte dans l’esprit de Grace, entre ses souvenirs, ses pensées et sa façon de se débrouiller dans la vie en société comme sur un chemin d’escalade où chaque mot, chaque geste est à peser soigneusement pour ne pas paraître trop bizarre ou stupide.

Courlis au long bec. Image Wikipedia.

Elle s’aperçut qu’elle avait presque toujours vécu dans un monde de gens aux yeux bleus. Ceux de Philip étaient noisette – non, pas noisette, ni jaune ni ambre ; une teinte automnale avec des petites taches qui ressemblaient aux veines de feuilles dorées ; pourtant non, pas automnale – il y avait quelque chose – voilà, ses yeux étaient comme la chair jaune d’une truite cuite, ils avaient aussi un goût doré de terre, et le doux détachement de la chair écartée de l’arête ; (…).

Un roman à l’inspiration sinon autobiographique, du moins intime. Le lecteur se trouve plongé au cœur de l’intériorité sensible d’une narratrice fragile, se cramponnant à la vie quotidienne et à l’écriture. J’ai ressenti beaucoup d’empathie pour elle, on a tous de ces moments de vacillements, d’hésitation, des bouffées d’angoisse devant les attentes des autres, même si la reprise en main est plus ou moins difficile.

Je compte lire d’autres titres de Frame. C’est donc le deuxième auteur qui m’est révélé grâce au défi d’Yspaddaden, Les 12 d'Ys.



Les 12 d'Ys : 2/12
Une longue citation de Frame.
L'avis de Claudia Lucia qui s'étend sur la dimension biographique du roman.

6 commentaires:

  1. Quel plaisir que ce défi soit l'occasion de belles découvertes ! J'ai pas mal entendu parler de Janet Frame l'an passé, je crois que ses écrits sont liés à sa vie personnelle, ses conflits avec sa famille, et qu'elle a trouvé dans l'écriture une façon de tenir. Elle va me plaire, je le sens...

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  2. Oui les critiques ont parlé d'elle à la sortie de ce roman mais j'avais plus retenu l'histoire de sa vie (diagnostiquée à tort schizophrène et détruite par les électro chocs). Ce roman est splendide.

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  3. Nous parlions d'elle l'autre jour avec qq blogueuses car une de ses traductrices est aussi Dominique Mainard (en fait c'est d'elle dont nous parlions) et qu'elle a bcp inspiré cette dernière. J'avais donc noté ce nom à découvrir.

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  4. Moustafette : ah j'ai pas suivi, j'ignorais tout cela.

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  5. Elle a beaucoup souffert de son impossibilité à communiquer avec les autres qui a impliqué des échecs cuisants dans sa vie affective. Son imagination très vive la débordait aussi et la coupait des autres autant qu'elle la faisait écrire.

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    1. Oui, c'est vraiment une destinée émouvante. Je lirai sans doute d'autres livres d'elle.

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