La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 7 février 2014

La mélancolie nuageuse du Nord n’est rien à côté de la lumineuse tristesse des pays chauds.


Théophile Gautier, Voyage en Espagne, paru en feuilleton de 1840 à 1843, puis diverses éditions en livre.

L’Espagne est à la mode et Théophile Gautier y voyage avec Eugène Piot en été et automne 1840. Il se rend à Madrid, mais surtout en Andalousie, à Grenade, à Séville et à Cordoue.

Encore quelques tours de roue, je vais peut-être perdre une de mes illusions, et voir s’envoler l’Espagne de mes rêves, l’Espagne du Romancero, des ballades de Victor Hugo, des nouvelles de Mérimée et des contes d’Alfred de Musset. En franchissant la ligne de démarcation je me souviens de ce que le bon et spirituel Henri Heine me disait au concert de Liszt, avec son accent allemand plein d’humour et de malice : « Comment ferez-vous pour parler de l’Espagne quand vous y serez allé ? »

Ce qui est frappant, c’est que Gautier confronte l’idée qu’il se fait de l’Espagne (qu’il connaît par le théâtre, les nouvelles, les chansons) avec ce qu’il a sous les yeux. Il reproche ainsi fréquemment aux Espagnols de n’être pas assez typiques ou pittoresques (oui, c’est le début du tourisme) et d’avoir succombé à la « civilisation » c’est-à-dire à la modernité. Il détaille les costumes, cherche le caractère du peuple (ce qui peut être assez déplaisant vu d’aujourd’hui). On ne sait pas très bien s’il craint ou espère les fameux brigands des routes espagnoles et aimerait un peu plus de fougue et d’aventure ! D'ailleurs, même les mules sont d'humeur ombrageuse.


Au moment du voyage, l’Espagne est en pleine guerre civile pour cause de rivalité dynastique. Les couvents ont été fermés et leurs biens vendus. Pas un mot n’est dit sur tout cela, ce qui semble assez frivole. Gautier se préoccupe d’abord de l’atmosphère du pays, des paysages et des arts. Il aime les jardins, les lauriers roses, la montagne. Il donne de longues et belles descriptions des paysages, fasciné par le soleil et ses couleurs, la terre, la ligne des montagnes. Il montre ici sa grande sensibilité aux couleurs et c’est ce que j’ai sans doute préféré.

Ce contraste de ton entre la lumière et l’ombre est d’un effet prodigieux : la montagne semble avoir revêtu une immense robe de soie changeante, pailletée et côtelée d’argent ; peu à peu les couleurs splendides s’effacent et se fondent en demi-teintes violettes, l’ombre envahit les croupes inférieures, la lumière se retire vers les hautes cimes, et toute la plaine est depuis longtemps dans l’obscurité que le diadème d’argent de la sierra étincelle encore dans la sérennité du ciel sous le baiser d’adieu du soleil.

En matière d’art, sa préférence va à l’architecture musulmane, regrettant vivement la Reconquista. L’Espagne, c’est le début d’un Orient fantasmé, d’une Afrique mystérieuse et elle lui permet de plonger dans des rêves éveillés. Un de ses plus souvenirs est celui de la nuit passée dans les palais arabes abandonnés.


Enfin (nul n’est parfait), Gautier est un passionné de corridas, qu’il décrit en connaisseur, avec force détails. Le récit de la mort d’une cheval perdant ses boyaux est ainsi particulièrement frappant. La mort, le spectacle, la passion, tout le ravit.

Le récit de voyage est suivi des poèmes du recueil España, loin de valoir Émaux et CaméesLe texte publié en partie en feuilleton, en partie en livre, n’a jamais été relu intégralement, ce qui explique des répétitions.

Séville, photos M&M.





4 commentaires:

  1. J'étais tentée grâce au début de ton billet. Et puis tu as parlé de corrida : je passe !!

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  2. Pareil que LiliGalipette ! J'aime et puis tu dis que Théophile apprécie la corrida... Le soufflet est tombé !

    J'ai besoin de ton adresse !

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  3. Même avec les répétions effectivement, je garde un bon souvenir de ma lecture, il faut dire que je suis un peu fan de Gautier voyageur , je l'ai accompagné à Constantinople et en Russie avec palsir mais ces lectures sont loin

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  4. Moi je n'aime pas la corrida mais ce n'est pas de ma faute si Théophile veut voir la mort sous ses yeux, c'est un passionné !
    Dom : je n'ai pas lu ses autres récits, mais c'est vrai qu'il a parcouru le monde de son temps avec beaucoup d'entrain.

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