La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mercredi 5 février 2014

Les gens se sont mis à produire les pensées en masse, comme des chaussures ou des gants.


Paweł Goźliński, Jul, traduit du polonais par Isabelle Jannès-Kalinowski, parution originale 2010, paru en France aux éditions Noir sur Blanc.

Un gros roman étrange et très noir, très glauque.
Nous sommes à Paris, à l’été 1845, au milieu des réfugiés polonais. C’est une atmosphère d’hommes perdus loin de chez eux, complotant, dérivant, en proie au jeu et à l’alcool, à la désespérance. Il y a des poètes, des prophètes, des courants sectaires, des espions à la solde de la Russie ou de la police. Il y a surtout ces meurtres : un homme aux mains tranchées brûlant vif, un couple précipité dans le vide, des écritures de sang… des meurtres barbares, l’œuvre d’un fou.

Un meurtrier qui se fait un feu d’artifice sur un cadavre, c’est bon pour un roman feuilleton. Mais ici, on est à Paris, sous Louis-Philippe. Tu saisis ? Ici, on fait de l’argent, et la mort on la cache dans des maisons bien tenues comme celle-ci. À quoi bon déblatérer sur la mort ? La mort, ça ne rapporte pas !

C’est un roman policier qui tient du thriller et du roman noir. Alcool, boue, sueur, excrément, complots, tortures physiques et mentales… Le délire complotiste des réfugiés polonais et la misère répugnante de Paris… C’est l’envers du Paris lumineux ou grandiloquent, on est dans la veine d’Eugène Sue, dans le gluant. Deux imaginaires semblent s’opposer : celui du Paris de la Révolution de Juillet avec son roi bourgeois et ses élites molles et sans grandeur et celui du romantisme polonais, révolutionnaire et héroïque. Les personnages naviguent entre les deux, ne réussissant réellement à aucun.

Paris. les berges de la Seine avec la silhouette du Panthéon
daguerréotype de P.-M. Hossard Paul Michel, 
1843, musée d'Orsay, image RMN

Il rit au visage de Podhorecki, et de sa bouche s’exhale l’odeur fétide d’un combat perpétuel entre ses sucs gastriques et la bouteille de cognac.

C’est très réussi. À tel point que j’ai ressenti une vraie répugnance à plusieurs moments de ma lecture ! Un comble. J’aurais aimé que quelques lueurs d’espoirs soient laissées à cette pauvre humanité. L’intrigue criminelle est plutôt réussie, il y a un vrai suspense.
Le seul réel bémol dans ce livre est que son auteur connaît trop bien son sujet et que le lecteur, lui, est perdu. La culture polonaise est importante : les étapes de la lutte contre la Russie, de l’asile donné par la France, les schismes religieux, la poésie… Il faut accepter d’être un peu perdu à diverses reprises, et c’est un peu énervant.
Une lecture prenante.

Gruszczyński se gratte derrière l’oreille comme s’il voulait se creuser le ciboulot et en extraire un savoir secret. Mais soit ce savoir s’est épuisé, soit il ne s’est jamais trouvé là, car on n’entend dans le salon que le crissement du doigt parmi les pellicules.





3 commentaires:

Dominique a dit…

Celui là je le note, d'abord parce que l'éditeur ne sort rien de mièvre et que tous ses livres sont bons
D'accord avec toi il est parfois difficile dans ce genre de bouquin de tout comprendre quand on connait peu la culture du pays mais à force de lire sur les pays d'Europe centrale ça vient et je me sens maintenant plus à l'aise
je suis en train de lire un polar polonais justement et je me régale

Alex Mot-à-Mots a dit…

Il a l'air très noir. Mais même si je ne connais rien (ou pas grand chose) de l'histoire de la Pologne, pourquoi pas.

nathalie a dit…

Je serai curieuse de connaître vos avis, ce n'est pas un livre ordinaire.