Radu Țuculescu, Mère-vieille racontait, traduit du
roumain par Dominique Ilea, publication originale 2006, édité en France chez
Ginkgo.
Le narrateur est auprès de la
grand-mère de sa petite amie et il recueille les récits qui racontent le
village de Petra. Ce sont les histoires des couples qui ont vécu là, des
mariages, des adultères, des fâcheries, des passions. Il y a beaucoup d’eau de
vie et de sexe et les étés sont très chauds. Mère-vieille raconte, dans le
désordre, comment untel a épousé unetelle et comment ils en sont venus à ne
plus se parler. Il est question de mystérieuses noces pendant lesquelles les
femmes ont dansé pendant trois jours, ne s’arrêtant que la journée pour dormir
et à l’issue desquelles la Margolili a disparu du village. La Margolili est fille
de sorcière, c’est la plus belle, la plus sensuelle, la plus provocante, l’air
même autour d’elle devient chaud et humide. Le récit en désordre permet de
tourner autour de ces noces, d’y revenir et d’évoquer les différentes figures
du village avec tous leurs entrecroisements.
Le narrateur, lui, visite un
village désert dont les habitants sont morts ou vieillissants. Les murs
s’écroulent, il reste seulement quelques figures pittoresques.
Je dois compenser ce que je ne comprends pas, au gré de ma fantaisie, m’évertuant à continuer le récit, l’histoire tronquée, à en combler les vides par des déductions plus ou moins logiques.
Blechen, Toits et jardins, vers 1835, Berlin, Ancienne galerie nationale |
Le soleil se retire derrière l’église, en nage, le visage congestionné par l’effort fourni au long de la journée. Il y a traînaillé avec un enthousiasme de plus en plus mitigé, signe que l’automne s’apprête à nous quitter. L’espace de quelques minutes, le clocher de l’église s’embrase en une flambée pourpre. Puis la fraîcheur du soir éponge la sueur et apaise les dernières convulsions de l’astre congestionné, se coulant jusqu’au pied du clocher, dévalant la ruelle droit sur la maison de mère-vieille, résolue à l’engloutir aussi.
Les récits de mère-vieille
campent un monde en proie à l’eau de vie, à la magie et à l’étrange. Il faut aussi
dire que ses histoires sont comme l’écho des romans qu’elle lit, notamment Le Maître et Marguerite. Le village
semble vivant, sensuel ou prêt à abandonner ses habitants, comme dans un conte.
Mais rien d’idyllique ou de nostalgique, nous ne sommes pas dans un recueil de
contes traditionnels. Mère-vieille parle hongrois, langue que le narrateur
comprend mal. On ne peut pas vraiment se fier à lui… Quelques mots viennent
brutalement révéler un aspect brutal et inattendu d’un événement du passé ou du
présent et le narrateur et le lecteur restent sur un sentiment de malaise et de
mystère non éclairci.
Mère-vieille ne retient jamais
les noms des auteurs, ni même les titres des bouquins. En outre, elle déclare
oublier sur-le-champ tout ce qu’elle vient de lire, mais ça c’est un mensonge
de pure coquetterie. Combien de fois, émerveillé, ne l’écoutai-je raconter, en
paroles si vivantes qu’on l’eût crue un témoin oculaire des faits narrés, des
pages entières de Tchekhov, Márquez, Saint-Exupéry, Boccace mais, surtout,
Gogol et Boulgakov ! Sans qu’elle eût davantage retenue les noms des
personnages, et d’autant moins les toponymes. Tout ce qu’elle retenait, c’était
l’anecdote, l’histoire, les caractères, les physionomies, les conflits… C’est
parmi ces choses-là qu’elle glissait avec la joie d’un champion de slalom
géant.
L'avis de Miriam qui reste un peu sur sa faim.
Ce bel extrait pour terminer met en appétit - bonheur de partager les choses dont on se souvient.
RépondreSupprimerC'est un livre gourmand ! Gourmand de mots, de sens et de désirs.
SupprimerJ'étais curieuse de connaitre ton avis. Finalement tu l'as plus apprécié que moi
RépondreSupprimerOui, apparemment, j'ai plus été prise par ce village.
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