La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



samedi 25 juin 2016

À Tolède, entre quelques dieux

J’ai récemment passé quelques jours à Tolède. C’est une très belle ville, un labyrinthe de ruelles (je n’avais jamais vu ça). L’architecture y est riche : murailles, portes fortifiée, cathédrale, alcazar, monastère, la ville ne manque de rien. Mais aujourd’hui ce sont trois lieux qui retiennent mon attention.
Monastère de San Juan de Los Reyes : sont exposées les chaînes retirées aux prisonniers chrétiens après la Reconquista

Au début était l’Hispanie, une terre païenne, avec des dieux hispaniques et des dieux romains. Quand le christianisme est apparu, religion orientale parmi d’autres, il a concerné d’abord les membres de l’élite urbaine. On ignore à partir de quand les premiers juifs se sont installés en Hispanie, mais on suppose qu’à Tolède ils sont arrivés après 70 et la destruction du temple de Jérusalem.
En Espagne, les « invasions barbares » ont pris la forme des Wisigoths qui s’installent à la fin du IVe siècle. À ce moment-là, l’empire romain adopte officiellement la religion chrétienne. Mais… petite subtilité. Les Wisigoths proviennent de la région de l’actuelle Roumanie, ils sont bien chrétiens, mais ariens. L’arianisme (en ce temps-là) est une branche du christianisme que l’on qualifierait d’hérétique (le désaccord porte sur la nature du Christ). Disons que ce n’est pas le christianisme de Rome. Alors ? Nous avons dorénavant une élite wisigothique arienne, une élite hispano-romaine plutôt chrétienne, un peuple et des esclaves hispano-romains plutôt chrétiens, même s’il devait rester pas mal de païens, et des juifs.
Il se trouve que Tolède fut la capitale wisigothique. De nombreux vestiges sont exposés dans un musée. En 589, le roi wisigoth Récarède Ier se convertit au christianisme de Rome. C’est très habile politiquement puisqu’il unifie ainsi les élites sociales, militaires, économiques et religieuses. Nos wisigoths sont pleinement intégrés aux hispano-romains (et les juifs sont donc un peu isolés) (et il reste quelques ariens) (et des païens peut-être ?).

Mezquita del Cristo de la Luz

Tout cela ne dure guère, car les armées musulmanes débarquent au début VIIIe siècle. Tolède est prise en 712. Les « gens du livre », c’est-à-dire les chrétiens et les juifs ont le statut de dhimmi. Ils sont globalement protégés en échange du versement d’un tribut. On va dire qu’à ce moment-là les païens ont définitivement disparu et que les ariens se sont fondus dans la masse chrétienne.
Tolède est reprise aux musulmans en 1085 (notons du côté des troupes chrétiennes un mercenaire nommé le Cid). On peut supposer que la population musulmane s’est peu à peu convertie ou s’est exilée. Quant aux juifs, ils auront un répit (mais avec divers cahots) jusqu’en 1492, date à laquelle ils sont expulsés d’une Espagne qui se veut intégralement catholique.
Et pourquoi je vous écris une telle tartine ? Parce que si cette histoire compliquée est pleine de massacres, de conversions forcés, d’exils, de fuites et de scènes pas vraiment à la gloire de l’humanité, elle a aussi pour témoins de magnifiques monuments qui sont ce qui m’a le plus plu de Tolède.


 Sinagoga del Tránsito

Une synagogue construite en 1357 par un riche juif, Samuel Halevi, trésorier du roi de Castille. Elle est devenue une église en 1492 et abrite aujourd’hui un musée sur les séfarades. Le plafond de la salle de prière est une splendeur. C’est l’art mudéjar. Quand on visite ce lieu, on lève la tête et on ne dit plus rien.
La Synagogue Santa María La Blanca a été construite en 1180 sur l’emplacement d’une ancienne mosquée à laquelle elle ressemble étrangement. Suite à un pogrom et diverses persécutions, elle devient une église entre 1390 et 1410. Ces cinq nefs aux colonnes blanches, aux chapiteaux sculptés sont pleines d’une grâce particulière. L’édifice semble immense !

La Mezquita (= mosquée) del Cristo de la Luz. Les colonnes proviennent d’un temple wisigothique. La mosquée date de 999. C’est un plan carré avec neuf petites coupoles – toutes différentes les unes des autres. Elle est devenue une chapelle chrétienne en 1187 et une abside y a été ajoutée. Elle est aussi le lieu d’un miracle accompli par le cheval du Cid pendant la Reconquista ! C’est surtout un endroit à la lumière extraordinaire, plein de sérénité et de beauté.

Synagogue Santa María de la Blanca

4 commentaires:

miriam a dit…

Excellents souvenirs de Tolède que je n'ai pas oubliée bien que le voyage remonte à 35 ans

Miss Alfie a dit…

Merci pour cette visite par procuration !

nathalie a dit…

J'avoue avoir été impressionnée par ce que j'ai vu.

nathalie a dit…

Mais c'est un plaisir !