La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 19 août 2016

J’aimerais me contenter de boire ce paysage, comme un glouton.

Rick Bass, Le Journal des cinq saisons, traduit de l’américain par Marc Amfreville, parution originale 2009.

Un gros livre contemplatif.

Bass se met en tête de raconter une année dans la vallée du Yaak, un coin perdu – même pour le Montana. Une année, mois après mois, à décrire les changements de végétation, les comportements des animaux, sa façon de vivre à lui avec sa famille au contact de cette nature.

Je commence par les bémols. Oui, c’est long (plus de 600 pages). Certains mois, Bass patauge un peu dans son marais, d’autant qu’il y a des répétitions en plus des longueurs. En réalité, je pense qu’il convient de lire ce livre sur un an, mois par mois, dans un rythme beaucoup plus lent que de l’avaler en une fois. Et puis j’ai été déçue de ne pas trouver grand-chose sur le comportement des cerfs pendant le rut (alors que c’est annoncé pendant presque tout le livre).

Mais c’est beau ! Bass est attentif à toutes les dimensions de son coin de forêt : la géologie et la composition du sol, les arbres, les fleurs, les herbes, les gros et petits animaux, de la libellule au grizzly, la chaleur, le vent, la pluie, la neige… Il raconte aussi la façon de vivre avec cette nature si rude : les provisions de bois avant l’hiver, ne pas oublier les pneus neige, la provision de viande pour l’année c’est-à-dire chasser un cerf, les randonnées en ski, les incendies en été qui ravagent tout mais sont nécessaires à la forêt, la cueillette des airelles, etc. Il essaie de transmettre toute cette vie à ses deux filles. Lui-même réfléchit beaucoup sur cet acte de transmission et d’éducation. Le lecteur ne peut manquer de s’interroger sur son propre rapport aux saisons et aux mois, même s’il évolue dans un cadre bien différent. Le livre donne également envie de s’intéresser de plus près au rythme de ce qui nous entoure, même s’il semble à première vue bien insignifiant. C’est ainsi que certains moments de l’année sont plus importants que d’autres parce qu’ils rappellent des événements passés, un anniversaire, un décès.

Comme un prisonnier, une marionnette ou une brute épaisse totalement dénuée d’imagination, vous traversez janvier en titubant, fasciné par sa beauté, mais manifestement inconscient du coût de l’opération : l’énergie dépensée en janvier ne sera plus disponible en février.

L’auteur remarque que jusqu’au milieu du XXe siècle aucun être humain n’avait vécu à l’année dans cette vallée, les Indiens se contentant de venir en été et de repartir vers des régions plus clémentes en hiver. D’ailleurs de nombreux animaux font le choix de migrer ou d’hiberner, l’homme contemporain est donc une des rares créatures à vouloir supporter ce climat terrible en continu (il est un peu fou). Bass semble d’ailleurs penser que supporter tant d’hivers si rigoureux use progressivement l’individu. La belle saison est trop courte pour faire naître et grandir les faons et toute la nature semble ressentir une grande précipitation à peine les beaux jours arrivés.
J. Kensett, Le Lac George, vers 1860, musée Thyssen Madrid, M&M.
En mars, on aurait du mal à dire si on assiste à la fin de l’hiver, au début du printemps, ou si on contemple un étrange pays de rêve entre les deux, où certaines choses s’agitent et se soulèvent, tandis que d’autres continuent de flotter dans le sommeil – déjà appelées mais pas encore tout à fait réveillées.

Défenseur de la nature, Bass est conscient de ses paradoxes et faiblesses : là-bas tout le monde se déplace en énorme camion (pour ramener du bois, transporter les chiens même quand il y a un ou deux mètres de neige) et couvre des distances gigantesques sur la route de façon tout à fait normale.

Il est donc question du comportement des cerfs qui souffrent de la faim en hiver, des grenouilles et les oies qui chassent l’hiver à grands cris, des prédateurs qui mangent les faons à peine nés et les corbeaux qui volent au-dessus des carcasses, de la lutte contre les incendies et de l’évacuation des maisons, de mettre des airelles dans tous les plats et de pister un cerf pendant des heures en interprétant les traces dans la neige – et les péripéties sont nombreuses.

Je le relirai certainement, mais par morceaux. Du même auteur, rien ne vaut à mon avis Les derniers grizzlys.
L’avis de Dominique qui vous raconte l’année.

Destination PAL  – La liste des lectures de l’été.


6 commentaires:

Dominique a dit…

merci pour ton lien
J'ai beaucoup aimé ce livre, plus que les derniers grizzlis pour ma part, et comme tu le dis c'est un livre auquel on peut revenir par petits bouts

claudialucia a dit…

Ce livre me plairait, je pense, pour le thème. Ce qui m'inquiète un peu ce sont les bémols : pas la longueur (j'aime les pavés) mais les longueurs (qui sous-entendent l'ennui) et les répétitions (quand elles sont inutiles).

nathalie a dit…

Les grizzlys, c'est le 1er livre que j'ai lu de Bass et il m'avait vraiment beaucoup frappée. Il n'y a peut-être plus l'effet de découverte.

nathalie a dit…

À mon avis c'est un peu tangent dans ce cas, pas nettement affirmé mais le risque existe.

miriam a dit…

A lire...toute description naturaliste m'intéresse, je n'ai aucun scrupule à sauter es longueurs (c'est Pennac qui a permis)

nathalie a dit…

Je pratique l'art de la lecture diagonalesque avec dextérité !