La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 7 janvier 2019

Conclure n’est pas dans la nature de cette entreprise.

Marilynne Robinson, Gilead, traduit de l’américain par Simon Baril, parution originale 2004, édité en France par Actes Sud.

Un vieil homme prend des notes pour son fils, car il sait qu’il est vieux et qu’il ne le verra pas grandir. Il s’adresse à lui et lui raconte, totalement dans le désordre, son enfance et sa vie dans la petite ville de Gilead (Iowa), sa vocation et son métier de pasteur, son père et son grand-père. Il réfléchit sur les Écritures et sur la foi (il est pasteur), notamment quand le fils d’un ami refait surface, un homme qu’il n’aime guère, mais qu’il sent dans une terrible solitude et dans un grand désarroi. Voilà un roman plein d’humanité.

C’est l’aspect le plus étrange de cette vie, de cette existence de pasteur. Les gens changent de sujet quand ils vous voient arriver. Et parfois ce sont ces mêmes personnes qui viennent dans votre bureau et vous racontent les histoires les plus étonnantes. Il y a beaucoup de choses sous la surface de la vie, tout le monde le sait. Beaucoup de malveillance, de peur, de culpabilité, et beaucoup, beaucoup de solitude, là où on ne s’attendrait pas à en trouver, d’ailleurs.

J’aime cet entrecroisement subtil entre un récit de vie, une confession et des réflexions de nature spirituelle. Le pasteur s’est-il bien occupé de ses paroissiens ? Il s’inquiète du cheminement spirituel de son fils, regrette de ne pouvoir le protéger et le conseiller et de le laisser dans le dénuement. Il s’appuie sur les textes des Écritures, mais aussi sur son expérience personnelle et sur les souvenirs de conversation avec les membres de sa famille. Parviendra-t-il à répondre à la détresse ou à la colère qui étreint ce jeune homme ? Ces milliers de sermons ont-il été bien utiles ?

Cette ville entière ressemble à l’espoir quand il commence à être fatigué, puis un peu plus que fatigué. Mais, même différé, l’espoir reste l’espoir. J’aime cette ville.

H. Herzog, Église Saint-John, 1888, musée de Philadelphie.
Il existe plusieurs manières de lire Gilead. Robinson a rédigé et publié ses romans dans cet ordre : GileadChez nous et LilaC’est une trilogie, pas au sens où Bidule serait la suite de Machin, mais au sens où tous les événements et personnages dont il est question entretiennent des liens étroits. Gilead semble constituer une sorte de pendant à Chez nous et Lila raconte des événements survenus avant ceux rapportés dans les deux autres volumes. On ne lit pas de la même façon chacun des livres selon qu’on a lu les deux autres, lu l’un des deux ou lu aucun des autres. Moi, j’avais lu Lila.
Les émotions racontées dans Lila me semblent plus violentes que celles qui habitent Gilead. Dans Lila, les souvenirs de l’héroïne, qui a connu une dure existence, la présence menaçante d’un couteau dans la maison et l’inquiétude relative à l’accouchement cohabitent avec la découverte pour Lila d’un foyer, d’un amour et de la lecture de la Bible. Le révérend John Ames, qui tient la plume dans Gilead, est plus âgé et d’un autre caractère. Il essaie ici de faire le tri dans ses pensées et les émotions sont plus apaisées, moins aigues. Les inquiétudes et les remords sont là, la culpabilité aussi, mais rien d’aussi tranchant.
Le contexte est également plus présent. Alors que Lila est simplement habité par la sécheresse et la Grande dépression, ici nous avons toute la vie du révérend qui a vécu la guerre de Sécession, la Première et la Seconde guerre mondiale. Je note avec intérêt que son grand-père a aidé John Brown, un prêcheur abolitionniste qui a donné lieu à un excellent roman. Nous sommes au cœur des États-Unis déchirés.
Ce roman est d’une immense délicatesse et d’une grande douceur. L’humanité est toute là.

J’ai été frappé cet après-midi par la qualité de la lumière. Je lui ai toujours prêté une grande attention, mais nul n’est capable ne serait-ce que de commencer à en rendre compte. On sentait comme un poids de lumière – qui faisait sourdre l’humidité hors de l’herbe et l’odeur de vieille sèvre aigre hors du plancher de la galerie, allant même jusqu’à charger légèrement les arbres d’une sorte de neige tardive.

Jamais je n’aurais imaginé de voir une femme, la mienne, chérir un enfant de moi. Cela m’émerveille encore chaque fois que j’y songe. J’écris cela en partie pour te dire que si tu te demandes un jour ce que tu as fait dans ta vie – et tout le monde se le demande un jour ou l’autre –, tu as été la grâce que Dieu m’a accordée, un miracle, plus qu’un miracle. Tu te souviens peut-être mal de moi, et cela peut te sembler bien peu de chose d’avoir été le tendre enfant d’un vieil homme dans une pauvre petite ville que tu quitteras sans aucun doute. Si j’avais seulement les mots pour te dire.

Je m’en vais donc : 1. Me ruer sur Chez nous que je viens d’acheter. 2. Lire pour la troisième fois Lila.
 Mon billet sur LilaSur Gilead, l'avis de Dominique et de Keisha.

Une super autrice.


6 commentaires:

Dominique a dit…

une trilogie qui m'a fasciné, je ne l'ai pas lu dans l'ordre et comme tu le dis cela n'a pas une grande importance, par contre quand on commence on ressent le besoin de lire les autres et de retrouver ces personnages, déchirés, attachants, tellement proches de nous finalement

keisha a dit…

J'ai démarré par Chez nous, et j'étais cuite! J'ai pris mon temps, mais lu la trilogie (et peu importe l'ordre). Bon, Dominique le dit déjà...

nathalie a dit…

Mais oui, c'est une famille de gens avec qui on se sent bien, on a envie de passer du temps avec eux, et de lire, relire.

nathalie a dit…

L'ordre importe peu pour suivre l'histoire, mais a des conséquences sur le lecteur, ça change nos impressions et nos attentes.

Lili a dit…

J'avais beaucoup aimé ce roman mais je n'ai rien lu d'autre de l'auteure, c'est bête. Tu m'as donné envie de lire Lila !

nathalie a dit…

J'ai acheté Chez nous, qui a eu beaucoup de succès. Je vais essayer de le lire dans pas trop longtemps.