Jacques Abeille, Les Jardins statuaires, 2010.
Le narrateur, qui se présente comme un voyageur, découvre le pays des jardins statuaires, où l’on cultive les statues comme des plantes. D’abord séduit par ces statues, les rites de cette culture, l’organisation de cette société, il en voit aussi les faces sombres et les menaces, ce qui n’entame pas son attachement pour ce monde, bien au contraire.
Des voûtes pendaient, semblables à des chauve-souris d’albâtre, des mains entières déployées, des têtes de chevaux, des cornes, des queues d’hippocampe, des feuilles d’acanthe. La blancheur, partout d’une pureté totale et qui semblait l’effet d’une décoloration anémique, ajoutait à l’horreur obscène de l’ensemble.
Je gardais le souvenir d’un roman qui m’avait beaucoup plu, car il crée sous nos yeux un monde nouveau, où les statues sont mystérieuses, à la fois plantes et champignons, vivantes et minérales, monstrueuses, calmes beautés et destructrices. Cette évocation de la matière est proprement fascinante. J’ai été incitée à le relire par @troglodette qui a mis en avant le rôle caricatural laissé aux femmes. En effet, les femmes sont très rares dans ce roman et les trois premières viennent spontanément se coucher nues aux côtés du narrateur ( ? !). Les autres femmes sont des prostituées, dont une seule a un rôle un peu intéressant. Ce n’est effectivement pas une réussite sur ce plan. De façon générale, la société qui est dépeinte a des rôles sociaux clairement hiérarchisés : chacun a sa place et les femmes et les hommes ne doivent jamais, jamais, se rencontrer. Le narrateur est apparemment ambivalent à ce sujet en partageant le trouble et le charme ressentis par les locaux vis-à-vis des femmes, tout en critiquant leur étroitesse d’esprit (mais finalement, il s'y fait très bien).
Mis à part ça, je trouve toujours que le roman est réussi. L’univers évoqué a un fort potentiel onirique, avec ces fameuses statues, avec l’utilisation habile de figures un peu légendaires comme les barbares nomades, les pèlerins, les livres de mémoire, avec aussi ce climat de menace qui pèse sur l’ensemble, sans que l’on sache forcément très bien d’où vient le danger. Des statues ? d’un ennemi extérieur ? D’une société sclérosée ? de la fuite des jeunes ? Je l’ai relu en une journée de train, sans pouvoir le lâcher.
Il y a donc une tension entre une évocation d’une société étrange, comme arrêtée dans le temps et dans ses coutumes (qui a toute la sympathie du narrateur et de l’auteur, y a pas de quoi se vanter) et le récit d’événements qui semblent se diriger vers une catastrophe finale invisible et inconnue.
En revanche j’ai plus de mal avec le style. Abeille s’écoute beaucoup parler et c’est fatiguant. Un peu de sobriété ne nuirait pas à l’ensemble.
J’avais le sentiment que vous en étiez à ne voir ici qu’un pays du temps immobile dans lequel rien ne venait troubler le rythme de croissance des statues ou les refrains des femmes closes dans leur jardin secret. Quand je vous ai vu revenir tout à l’heure du domaine des statues qui maigrissent, si content et si inquiet à la fois d’avoir découvert un lieu où ce cycle se brisait, comme si vous finissiez par étouffer dans les anneaux de cet éternel recommencement, j’ai voulu vous montrer que cela pouvait aller plus loin dans l’étrangeté.
Mon premier billet beaucoup plus enthousiaste.
Déjà commencé, puis laissé, en dépit d’une grande fascination. Bah, le bouquin est à la bibli. Je crois qu'il y a un autre volume?
RépondreSupprimerIl existe en poche et en version illustrée. D'après Wikipedia, c'est le 1er volume de tout un cycle, le Cycle des contrées. Je m'arrêterai là, ceci dit.
SupprimerEvidemment, je connais bien le titre mais je n'ai jamais eu envie d'aller plus loin... et tu n'es pas très encourageante !
RépondreSupprimerFallait se contenter de mon premier billet...
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