Raphaël Jerusalmy, Les Obus jouaient à pigeon vole, paru en 2016, chez Actes Sud.
Vous connaissez mon goût pour Apollinaire. C’est donc très naturellement que j’ai lu ce petit roman consacré aux dernières 24 heures du poète, atteint par un éclat d’obus le 17 mars 1916, blessure qui l’affaiblira et l’empêchera de résister à la grippe espagnole, deux ans plus tard. Les chapitres déclinent la vie dans la tranchée, au front, heure par heure, jusqu’au moment de l’impact. Le quotidien des soldats, français et allemands, le courrier, la nourriture, les puces, les rêves, et ce soldat qui essaie d’écrire de la poésie et de traquer les mots et la vie.
Le chef déguste une nouvelle bouffée de tabac. Il étend les jambes.
- Vous devriez nous pondre un truc là-dessus. Ce silence. Ce calme trompeur qui ne trompe personne.
Pas une mauvaise idée. Un poème sur l’absence de bruit. Et de mots. Quand tout se tait et vous parle.
- Oui, chef.
Il y a beaucoup d’humour dans cette horreur. Ainsi, chaque soldat affublé d’un surnom. L’un est le Père Ubu, un autre Trouillebleu. Gui de Kostrowitzky, trop imprononçable, est devenu Cointreau-whisky. C’est lui, le poète.
Sans être un grand roman, c’est un joli hommage. Le portrait des soldats est attachant. Surtout, il vous donnera envie de (re)lire la poésie d’Apollinaire.
Et puis « ça » a continué avec le parler régimentaire. Irrésistible pour un écrivain. Des phrases courtes. Qui vont à l’essentiel. Sans subordonnées ni complétives. Sans « parce que » ni « et si ». L’armée ne connaît pas le conditionnel. Des abréviations, P.C., Q.G., des chiffres, canon de 75, dix-sept degrés nord. Des argots et des codes. Des entorses à toutes les grammaires. Des raccourcis qui rendent tout facile et clair. Et que les artistes méprisent.
Et cette façon si carrée que les militaires ont de voir les choses qu’elle en est « carrément » cubiste !
C’est le meilleur moment. Le plus beau. Ces fautes de pas, ces variations maladroites, ces demi-pointes. Quand le poème balbutie encore. Toute cette dérive.
La phrase flotte. Elle ondule, elle frétille. Elle se dandine. Se regarde dans la glace en faisant la coquette. Ou la fofolle. Elle voudrait tant être parfaite. Parfaitement belle. Elle se trémousse.
C’est quand elle bouge qu’elle est la plus vraie, la plus vivante. Il faut absolument la saisir à ce moment-là. En plein ébat. Pour qu’elle n’ait pas l’air d’une danseuse fatiguée. Quand on la couchera par écrit.
Picabia, Portrait d'Apollinaire irritable poète, 1917, privé. |
Du même auteur, j’ai lu La Confrérie des chasseurs de livres qui n’est pas terrible, laissez tomber, et Sauver Mozart, qui est très bien, vous pouvez le lire.
Apollinaire est très présent sur le blog. Voici les poèmes extraits de Calligrammes :
La petite auto, extrait de Calligrammes
Ombre, extrait de Calligrammes
La nuit d'avril 1915, extrait de Calligrammes
Fusée, extrait de Calligrammes
Reconnaissance, extrait de Calligrammes
Ombre, extrait de Calligrammes
La nuit d'avril 1915, extrait de Calligrammes
Fusée, extrait de Calligrammes
Reconnaissance, extrait de Calligrammes
je note car j'avais tellement aimé Mozart, moins mais plus que toi la confrérie, ici je repense à Genevoix ou à Ravel et ça fait tilt
RépondreSupprimerPour moi, Les Obus... est nettement inférieur à Sauver Mozart, mais c'est une lecture agréable, qui rend un joli hommage à Apollinaire et plus généralement aux poilus.
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