Roberto Arlt, Le Jouet enragé, parution originale 1926, traduit de l’argentin par Isabelle et Antoine Berman, édité en France par les Éditions cent pages.
En quatre chapitres, le narrateur, Silvio, un adolescent, raconte ses débuts dans la vie et sa lutte pour gagner un peu d’argent. Le vol avec les copains du quartier (et le goût immodéré pour les romans d’aventure et Baudelaire), la nécessité de gagner sa vie auprès d’un commerçant avare, l’espoir d’être mécanicien (notre héros est inventeur), le travail comme courtier en papier et la tentation de se créer un destin.
Ainsi vivions-nous des jours d’émotion sans pareille, jouissant de l’argent de nos larcins, de cet argent qui avait pour nous une valeur spéciale et paraissait même nous parler dans un langage expressif. (…) Ce n’était pas l’argent vil et odieux que l’on abhorre parce qu’il faut le gagner avec des travaux pénibles, mais un argent agilissime, une sphère brillante avec deux jambes de gnome et une barbe de nain, un argent truandesque et dansant dont l’arôme, tel un vin généreux, nous poussait vers de divines ripailles.
Il est question ici de la petite vie des petites gens de la ville, de ceux qui triment pour pas grand-chose et qui savent que leur vie entière se passera ainsi, avec des chaussures trouées, de la mauvaise nourriture, des murs sales, des insultes et peu ou pas de beauté. Silvio est tour à tour rebelle et résigné, donnant des coups de pied au sort, inventif et plein d’ardeur. Le jouet enragé, c’est peut-être lui, l’adolescent furieux, à moins que ce ne soit tout simplement cette envie de vivre qui le pousse en avant et l’empêche de ne jamais s’arrêter. En travers de cette lutte quotidienne, il y a beaucoup d’humour, humour noir compris, et des échappées lyriques. Et aussi des portraits savoureux.
Lu avec beaucoup de plaisir.
Il s’agit du premier roman publié par Arlt. Il a publié de très nombreuses chroniques dans la presse. J'ai lu les Eaux-fortes de Buenos Aires.
Une sensation de dégoût commença à emplir ma vie de rage dans cet antre, entouré de ces gens qui ne vomissaient que de paroles de profit ou de férocité. Ils me transmirent la haine qui crispait leurs gueules, et il y eut des moments où je perçus dans la boîte de mon crâne une nuée rouge qui se mouvait avec lenteur.
Ce qu’il y a, c’est que ces choses, on ne peut pas les dire aux gens. Ils vous prendraient pour un fou. Et moi je me dis : que fais-je de cette vie qu’il y a en moi ? Et j’aimerais la donner… l’offrir… m’approcher des gens et leur dire : « Vous devez être gais, vous savez ? Vous devez jouer aux pirates… bâtir des cités de marbre… rire… lancer des feux d’artifices. »
Je ne connais pas -encore- cet auteur, mais Les sept fous sont sur ma PAL. Je n'avais pas réalisé que ces publications étaient si "anciennes" (tout est relatif, mais je l'imaginais contemporain de Bolano...)
RépondreSupprimerOui en fait on plonge dans l'Argentine d'avant la WW2 - c'est très pittoresque aussi. Après, je ne sais pas à quelle vitesse il a été traduit en France, ce qui expliquerait notre sentiment de décalage.
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