La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 5 mai 2020

Personne ne se rappellera Jésus, Marie et Joseph, comme personne ne se souviendra de moi, ni de toi.

Eduardo Mendoza, Les Aventures miraculeuses de Pomponius Flatus, parution originale 2008, traduit de l’espagnol par François Maspero (lu en espagnol : El Asombroso Viaje de Pomponio Flato).

Le narrateur, Pomponius Flatus, est un philosophe romain, voyageant pour augmenter son savoir, mais aussi pour tester toutes les sources guérisseuses. Le hasard l’amène à Nazareth. Un enfant, Jésus, le charge d’élucider un crime dont son père, Joseph, un charpentier, est accusé injustement – il risque d’être crucifié.
C’est un petit roman tout à fait plaisant, même s'il est sans grande prétention littéraire. Nous avons une intrigue policière avec un mort en chambre close et un tribun romain peu intéressé par la question. Il y a une foule de personnages : Jésus et sa famille, un mendiant, une prostituée, des soldats romains, des bandits juifs… Et bien sûr, le tout avec moult clins d’œil qui nous rappellent une autre histoire : les ragots qui disent que Jésus n’est pas vraiment le fils de son père, le mendiant Lazare qui n’a rien d’un saint, une scène de quasi-sacrifice dans le cimetière, un cadavre qui disparaît, un gars fan de voitures nommé Judas (ou Judas Ben-Hur), etc. Tout cela est très amusant ! Coupler l’histoire sainte à une enquête policière produit des effets tout à fait cocasses. Et puis l’incompréhension totale des Romains devant les histoires des Juifs est assez bien rendue (mais pourquoi tous ces gens cherchent-ils le Messie ?).

Quand un soldat arrive dans un village la première chose qu’il demande est où se trouvent les putes. On m’a parlé de celle-ci, mais ses émoluments étaient trop élevés pour la paie réduite d’un légionnaire. Et comme je n’avais pas autre chose de disponible, j’ai opté pour me masturber en lisant La Guerre des Gaules.

C’est cocasse, mais pas irrespectueux, car Pomponius, tout affligé de flatulences qu’il soit, est un philosophe, assez curieux de connaître les mythes des uns et des autres et sceptique à l’égard des différents dieux. D’ailleurs, il rêve aussi de corbeau et de renard et de fromage. Le roman est inséré dans un pseudo voyage philosophique, à la rencontre des divers peuples du monde – Nazareth est une étape comme une autre. L’usage de formules rappelant l’épopée (l’Aurore aux doigts de rose, Zara aux belles chevilles) souligne les manières élégantes, un peu ampoulées du narrateur (il est un peu enflé à tous les sens du terme).
Lazare ressuscitant, par le Maître de l'Ascension de Berlin, 1525 Berlin Gemaldegalerie

L’humour s’exerce aussi bien à l’encontre des Romains, des Juifs, des futurs héros du christianisme et des adeptes de quelques bizarres cultes sanglants. Il y a une magnifique parodie de la scène de l’Ecce homo (une pensée pour La Vie de Brian n’est pas totalement exclue).
Tous les personnages ont l’air d’avoir quelque chose à cacher. L’astuce est que ce quelque chose n’a rien à voir avec le crime comme le croit le narrateur, mais avec la suite de l’histoire chrétienne, comme le sait pertinemment le lecteur. Pomponius finira-t-il par identifier le vrai mystère de ce roman ? L’humour et l’intérêt du récit reposent en grande partie sur ce décalage. La narration est effectuée par quelqu’un qui ne voit pas ce qui se passe sous ses yeux et qui interprète mal les signes exposés. C’est plutôt réjouissant.

Dis Rabbouni, pourquoi Lazare a-t-il dit que les derniers seront les premiers ?
-Parce que c’est un imbécile.

Je l’ai lu en espagnol ! Le dictionnaire sur les genoux, à raison de quelques pages par soir. Malgré cette lenteur, j’ai bien accroché au récit. Je n'ai pas eu l'impression que le style était très travaillé. J’ajoute qu’en espagnol certains noms propres sont signifiants, comme Flato qui désigne le ballonnement et Pulcro (nom du tribun chargé de condamner Joseph) qui renvoie à la propreté (lavez-vous les mains bordel !).

L’avis de Sandrine.

Pour la version canonique de l’histoire, je vous renvoie à mes billets du week-end qui raconte la Passion du Christ, en peintures.

Bon pour le mois de mai espagnol de Sharon.

L'année dernière, pour le mois espagnol, j'étais... en Espagne. La découverte de Gérone, puis un nouveau séjour à Madrid. La visite gratuite du Prado tous les soirs. Et le retour en train, ravie. Un autre monde vu d'aujourd'hui.


10 commentaires:

Sandrine a dit…

Ah j'aime bien Mendoza, c'est souvent efficacement drôle (ton billet me donne envie de le lire). Je n'ai pas lu celui-ci en espagnol, mais au temps où j'étudiais cette langue à la fac, j'ai lu ses enquêtes dans la série du "Mystère de la crypte ensorcelée" : très drôle. Mais mon préféré de tous les temps (rien qu'en y pensant, ça me fait rire) c'est "Sans nouvelles de Gurb" : j'adore !

nathalie a dit…

D'après mon blog, j'en avais déjà lu un, sauf que je n'en ai absolument aucun souvenir. Il faudrait que j'essaie d'autres titres en espagnol. Le rythme est bon, et c'est assez efficace, ce qui facilite la lecture en VO. Sinon, je ne suis pas certaine d'être totalement fan. Mais dans celui-ci il y a des trouvailles ingénieuses.

miriam a dit…

Tu es vraiment la championne des titres. Je note illico le Mendoza dont je lis les romans avec toujours beaucoup d'amusement et de plaisir

keisha a dit…

Un auteur déjà repéré, mais bon, la bibli en a; bravo pour ta lecture en VO!

nathalie a dit…

Mes titres sont des citations de mes lectures - c'est pour cela qu'ils sont très bien.

nathalie a dit…

Je suis incapable de lire en anglais, mais l'espagnol c'est jouable en prenant plusieurs semaines !

Sharon a dit…

Merci pour ta participation !
Un roman que j'avais beaucoup aimé.

nathalie a dit…

Ah je ne sais pas pourquoi, ça ne m'étonne pas que tu apprécies cet auteur.

eimelle a dit…

bravo pour cette lecture en espagnol!

nathalie a dit…

Merci, il m'a fallu plusieurs semaines.