La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 27 août 2020

Elle me regarda d’un air doucement stupide.

Honoré de Balzac, Le Lys dans la vallée, 1836.

Oui, c’est une relecture.
Le narrateur adresse une longue lettre à une femme soi-disant aimée (une certaine Natalie qui lui répondra comme il faut) pour lui raconter sa jeunesse et surtout ses amours de jeunesse. La rencontre par hasard avec une jeune femme, belle et malheureuse, la comtesse de Mortsauf, vivant avec mari et enfants dans une gentilhommière au bord de l’Indre. Ils s’aiment, mais resteront chastes. Ce n’est que la moitié du roman, car ensuite notre Félix commence sa carrière politique, conseillé par son bon ange. Et il a une maîtresse.

Mes yeux furent tout à coup frappés par de blanches épaules rebondies sur lesquelles j’aurais voulu pouvoir me rouler, des épaules légèrement rosées qui semblaient rougir comme si elles se trouvaient nues pour la première fois, de pudiques épaules qui avaient une âme, et dont la peau satinée éclatait à la lumière comme un tissu de soie.

Il ne s’agit pas vraiment d’un roman d’amour, à peine d’un roman d’apprentissage. En réalité, nous voyons tout à travers la parole boursouflée du narrateur, déjà vieux sans jamais avoir été jeune, infatué de lui-même et vaguement insupportable. On ne peut s’empêcher de se dire qu’il ne comprend guère la belle comtesse, certainement plus sensuelle et plus noble qu’il ne se l’imagine. Il est souvent question d’ironie à propos de ce roman, mais je me demande s’il s’agit d’une ironie voulue par Balzac ou d’une ironie présente chez le lecteur, celui qui a pris ses distances avec le XIXe siècle et avec le romantisme, celui aussi qui a lu L’Éducation sentimentale (ah ! « Leurs yeux se rencontrèrent »), qui fait que on lit la destinée de Félix à travers celle de Frédéric – c’est peut-être d’ailleurs une erreur.
Toujours est-il qu’il reste ce beau portrait de femme, Blanche ou Henriette, mariée à un incapable à la santé mentale chancelante, mère de deux enfants, abandonnée par ses parents, n’étant pas un fils aîné n’est-ce pas, gestionnaire d’un vaste domaine agricole (où l’on retrouve tout le plaisir qu’a Balzac à calculer le rendement d’une terre), aimée, mal aimée et capable de calculs tout à fait de mauvais goût pour sa fille.
Le narrateur semble toujours se tromper dans ses interprétations sur les sentiments de la belle, s’imaginant sans cesse qu’elle pense à lui quand ce n’est pas le cas, lui prêtant des pensées séraphiques quand elle est plus simple, au point où on se demande ce qu’elle a vraiment pu penser de lui. S’il était moins sexiste, il serait peut-être moins aveugle. Et si tout était faux ?
Il est question aussi du désir trompé, de la chair palpitante et non caressée, des bouquets de fleurs explicites (je veux bien les mêmes !) et du charme inimitable de la vie à la campagne.
Il y a aussi une soi-disant mort exemplaire, encadrée par la religion, mais si fausse et insincère, trafiquée de justesse par les hommes d’église. Et enfin l’indifférence terrible de la société face au chagrin et à la douleur.
 
Moi aussi je fais des bouquets de fleurs champêtres (mais ils explicitent rien du tout)
Est-il possible que je meure, moi qui n’ai pas vécu ? Moi qui ne suis jamais allée chercher quelqu’un dans une lande ?

Il y a la présence discrète et ambiguë, à l’arrière-plan, de La Grenardière, comme un miroir pour la belle Madame de Mortsauf.

Mon premier billet, au ton beaucoup moins critique, mais assez proche sur le fond.
Le billet très fouillé, avec plein de détails que vous avez loupés à la lecture, de Claudia Lucia.
Le billet plus décapant de La petite marchande de prose qui m’a donné envie de cette relecture.

8 commentaires:

  1. Ah ce doit être chez la marchande de prose que j'ai vu autrement ce roman. Tu confirmes, alors je dois le lire!!!

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    1. Oui, rejoins le club des gens qui font la peau à Félix !

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  2. c'est un roman que j'aime infiniment mais je suis avec l'âge de plus en plus hargneuse contre Félix
    ce que j'aime c'est la campagne de Touraine, les paysages, les sentiments même lorsqu'ils sont outrés, le portrait de cette femme que l'on voudrait protéger
    bref j'aime ce roman malgré ses imperfections et ses erreurs

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    1. Je suis tout à fait d'accord avec toi ! Un roman très réussi.

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  3. Je suis absolument ravie de t'avoir donné envie de cette relecture !
    J'avoue que j'ai dû mal à imaginer que l'ironie ne soit pas voulue par Balzac car si tel n'est pas le cas, ça veut dire qu'il écrit comme un coin et bon... C'est dérangeant de penser ça d'un des plus grands auteurs du XIXème siècle ! Par contre, je n'avais pas du tout Félix en tête en relisant L'Education sentimentale. J'ai plutôt vu en Frédéric un opposé de Rastignac, comme Flaubert le laisse entendre dès le départ.

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    1. Certes, mais la fameuse formule "leurs yeux se rencontrèrent" m'a alertée ! Et comme notre Félix est aussi aveugle que Frédo... même si les personnages ne se réduisent pas l'un à l'autre, mais il y a un jeu d'écho.

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  4. Merci pour le lien. Oui, le lys dans la vallée est une oeuvre beaucoup plus complexe que l'on veut bien le croire . Le romantisme n'est qu'apparence et Balzac condamne âprement les règles religieuses et sociales qui imposent aux femmes la vertu et l'abstinence; la mort de Blanche/ Henriette et sa révolte sont terribles. je rejoins le club anti Félix !

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