La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 9 février 2021

Qui allait dire quoi que ce soit à l’André Breton du tiers-monde.

 Roberto Bolaño, Les Détectives sauvages, traduit de l’espagnol par Robert Amutio, parution originale 1998.

 

Dans une courte première partie se déroulant en 1975, un jeune étudiant raconte comment il a fait la rencontre des poètes réal-viscéralistes à Mexico, mais il se préoccupe surtout beaucoup de son apprentissage sexuel. La looongue deuxième partie est constituée par le recueil de témoignages sur les deux chefs du mouvement réal-viscéraliste, Arturo Belano et Ulises Lima. On ne sait pas qui mène l’enquête, mais on suit la vie des deux poètes au Mexique, à Paris, à Barcelone, en Israël, au Liberia. On comprend aussi que Belano et Lima ne sont que la seconde vague réal-viscéraliste, puisqu’il existe une mystérieuse Cesareana poétesse des années 1920 qui aurait été la première. La courte troisième partie raconte la suite immédiate de la première : un petit groupe fuit un criminel tout en se perdant sur les traces de Cesareana, dans les sables du désert mexicain.


Il y a un temps pour réciter des poèmes et un temps pour boxer. Pour moi c’était c’était le moment de boxer. J’ai fermé les yeux, comme je l’ai déjà dit, et j’ai entendu Lima tousser. J’ai entendu le silence (si la chose est possible, ce dont je doute) un peu gêné qui s’est fait peu à peu autour de lui. Et finalement j’ai entendu sa voix qui lisait le meilleur poème que j’aie jamais entendu.


Sont-ce de vrais poètes ? Il y a des débats théoriques sur la poésie, des disputes sur l’appartenance de tel ou tel et même une mystérieuse anthologie, mais aucun poème. Poètes d’opérette ou satire des mouvements littéraires bien réels, les deux sont envisageables. Ce Belano rappelle furieusement Bolaño alors que Lima est plus ectoplasmique. Et puis il y a la figure titulaire de Cesareana, découverte par hasard dans une soirée tequila, dont un seul poème nous est parvenu (il ressemble autant à une blague qu’au Chef d’œuvre inconnu) et qui disparaît dans les bleds poussiéreux du Mexique.


Pendant que je passe mon temps au lit avec Rosario, ai-je pensé, la poésie mexicaine d’avant-garde présente ses premières fissures.

Toute la journée déprimé, mais écrivant et lisant comme une locomotive.


Picabia, Portrait d'André Breton, 1919, coll. privée
La deuxième partie s’éparpille, touffue, et difficile à suivre, noyant Belano et Lima dans l’accumulation de mots. Plein de gens sont invités à raconter ce qu’ils savent d’eux. Quelquefois ce n’est pas grand-chose, presque rien, quelquefois c’est plusieurs mois de vie. Belano apparaît mystérieusement en gardien de camping en Espagne ou en photographe de guerre en Afrique. Lima est difficile à suivre, entre Paris et Israël. Qui cherche à recueillir ces témoignages ? Et pourquoi, dans quel but ? Cette quête s’autonomise.

Un roman comme une longue errance, une divagation qui s’égare entre l’histoire tragique et la farce grotesque. Qui sont les détectives ? Et sur quoi enquêtent-t-ils ? Est-ce bien important de le savoir ? Ce qui compte, n’est-ce pas l’histoire ? Mais il n’y a pas d’histoire. Une suite d’anecdotes désaccordées, entre lesquelles le lecteur se perd – qui sont tous ces gens – et se retrouve, et navigue à vue. Il reste un long discours, avec des clins d’œil et des références.


Le Mexicain égrenait dans un anglais parfois incompréhensible une histoire que j’avais du mal à comprendre, une histoire de poètes perdus, de revues perdues et d’œuvres sur l’existence desquelles personne ne savait un traître mot, au milieu d’un paysage qui était peut-être celui de la Californie ou de l’Arizona ou d’une région mexicaine limitrophe de ces États, une région imaginaire ou réelle, mais décolorée par le soleil et à une époque ancienne, oubliée ou qui du moins ici à Paris, dans les années soixante-dix, n’avait plus la moindre importance. Une histoire dans les extra-muros de la civilisation, lui ai-je dit.


On a aussi une satire des mouvements littéraires en -isme, une litanie de poètes, réels ou inventés, à la Prévert, comme une farce, un long défilé d’inconnus et de gens qui refont le monde en buvant de la bière et du café au lait. Il y a beaucoup d’allusions, aux surréalistes bien sûr, mais aussi à Rimbaud, à 1984, à Octavio Paz, aux écrivains espagnols et sud-américains, à la situation politique au Mexique et en Amérique du Sud en arrière-plan.

Les poètes s’évanouissent, les revues disparaissent, le cahier de poésie est illisible. Le roman fait du sur place malgré une grande boucle temporelle et des incursions dans divers pays du monde. L’écriture est rapide, ironique, plaisante, bourrée d'humour.

Il est fait allusion à 2666, un autre roman de Bolaño, encore plus gros, que je viens d’acheter et que je lirai donc prochainement !


Avec une voix d’outre-tombe don Pancracio a mentionné la foule de ses admirateurs. Ensuite la petite légion de ses plagiaires. Et pour finir l’équipe de basket de ses détracteurs.


Mon premier billet (je crois qu’il est meilleur que celui-ci).

 

 Bon pour le mois latino-américain d'Ingannmic et de Goran.




6 commentaires:

keisha a dit…

J'avoue avoir lâché au tout début de son 'apprentissage sexuel'. Je peux essayer un autre titre...

Ingannmic, a dit…

Il est très bien ce billet (et le premier aussi), il me remémore parfaitement la sensation éprouvée à la lecture de ce roman, celle d'une errance chaotique, empreinte d'humour, de dérision, mais aussi d'un profond désenchantement. Et 2666 est génial (mais c'est aussi une longue errance !).
Merci pour ce billet qui met à l'honneur l'un de mes auteurs chouchous !

Dominique a dit…

j'ai vraiment du mal avec la littérature d'Amérique latine et en te lisant je ne suis pas sûre d'être plus convaincue ;-)

nathalie a dit…

Pourtant tu aimes les errances dans des machins bien barrés habituellement.

nathalie a dit…

Je ne pense pas que l'on puisse parler de littérature d'Amérique latine comme d'un tout unifié. En revanche, cet auteur est très spécial et je comprends tout à fait que ce ne soit pas ta tasse de thé !

nathalie a dit…

2666 sera peut-être pour l'année prochaine !