La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 4 mai 2021

Maintenant tu vas voir, oie collaborationniste avec le capital.

 Albert Sánchez Piñol, Fungus. Le Roi des Pyrénées, parution originale 2018, traduit du catalan par Marianne Millon, édité en France par Actes Sud (avec quelques erreurs dans les noms des personnages).

 

Un nouveau roman de l’étrange Piñol.

Nous sommes en 1888, à la Vella, dans les Pyrénées, entre France et Espagne, une zone où le pouvoir est loin, où l’alcool est mauvais, avec une légende sur le Pouvoir. Arrive Ric-Ric, un anarchiste en chapeau melon qui, par hasard et malgré lui, libère une armée de champignons monstrueux. Et c’est parti pour… une expérience anarcho-militaire qui finira mal.


Il neigeait. Un rideau de neige doux et muet. Les flocons étaient si légers qu’ils ne tombaient pas droit, comme les gouttes de pluie, mais traçaient des courbes dans l’air. Il avait froid. Il releva le col de son manteau noir et enfonça son chapeau melon jusqu’au sourcils. Il regarda le ciel : la lune ressemblait à un fromage moisi.


Piñol m’a habituée à une variété de tons, mêlant le monstrueux, le grotesque, l’inquiétant, les personnalités hors de contrôle. C’est pleinement le cas ici. J’ai eu un peu de mal à démarrer et à m’accoutumer à Ric-Ric, qui semble surtout alcoolique et à courte vue, mais ensuite, je me suis pleinement intéressée à l’histoire. La garde civile, l’armée espagnole, l’armée française déboulent tour à tour pour écraser l’armée de monstres. D’ailleurs les titres de chapitre en forme d’annonces feuilletonnantes sont trompeurs et nous annoncent des résultats… qui ne sont pas toujours exacts, ce qui est plutôt malin.

C’est que les champignons, que l’on appellera donc fungus, sont gigantesques, doués de dizaines de pieds et de mains, d’une langue longue de plusieurs mètres, d’une force prodigieuse, mais incapables de symbolisme et d’imagination. Ils ne dorment pas. Ils ne rêvent pas. Ils ne parlent pas, mais ils communiquent par les sentiments. Ils forment une étrange société égalitaire, fascinante pour qui prend la peine de s’y intéresser. Deux d’entre eux se détachent : le Borgne qui découvre et comprend ce qu’est l’espèce humaine et le Petit, un nabot plein de rage, capable de tout inventer.

Tout cela est imprégné de folie et de mélancolie. L’idéal anarchiste est encore loin.

Ah il y a aussi un très beau personnage de femme, un photographe et une oie. Et la musique de Wagner.

 

Ric-Ric hurlait, juché sur la tête de ce fungus énorme avec des taches couleur saumon et basilic sur la peau. « Cra, cra, cra ! » disait l’oie. Il se sentait euphorique, tout-puissant comme un dieu destructeur. Et pendant qu’il se précipitait sur le foyer des hommes, en tête d’une légion furieuse, il se disait que, dans le fond, le Pouvoir c’était comme de se gratter les testicules : quand on commence, on ne peut plus s’arrêter.

 

Piñol sur le blog (tout est très bien) :

La Peau froide
Victus. Barcelone 1715.
Pandore au Congo


Billet bon pour pour le mois espagnol de Sharon.



9 commentaires:

  1. J'ai les yeux écarquillés, là...

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    1. Oui ? Tu as vu que l'un des romans se déroule au Congo ? Je dis ça comme ça...

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    2. Pff, je ne fais pas de fixette sur le congo, mais j'en trouve à la bibli, oui...

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  2. j'ai d'abord cru que c'était un livre que j'avais lu mais non je confond l'auteur avec un autre auteur catalan également un peu déjanté dont je n'arrive pas à retrouver le nom grrrrr

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    1. Et que je ne connais pas... faut que je furète sur ton blog pour essayer de le trouver.

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  3. étrange tout à fait étrange autant que le titre que tu as choisi

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  4. Merci pour ta participation !
    J'aime quand les "mois" permettent de faire de belles découvertes.

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    1. Oui en effet. Ce roman vient d'être traduit en France, donc pas encore beaucoup de visibilité, mais ça va venir, parce que l'auteur n'est pas une petit nouveau.

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