La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 13 juillet 2021

Une condition vagabonde se concevait aussi obscurément que la vie d’hiver des hirondelles qui revenaient avec le printemps.

 George Eliot, Silas Marner, parution originale 1861, traduit de l’anglais par Pierre Leyris, édité en France par Gallimard.

 

Dans un village florissant de l’Angleterre du début du XIXe siècle, un tisserand, Silas Marner, s’est installé là, à l’écart de tous. L’histoire de ses malheurs nous est vite contée. Coupé de tous, Marner concentre peu à peu tout son intérêt sur l’or qu’il accumule en travaillant. Sa vie humaine se rétracte et s’étiole. Pendant ce temps, nous suivons les aléas traversés par la famille du squire Cass, hobereau local, dont les fils ne valent pas grand-chose. Le roman raconte la destinée de Marner, comment il est sauvé de la misanthropie par une bonne action et par une petite fille, et comment ceux qui ne font pas face à leurs erreurs les paie forcément un jour ou l’autre.

Un roman qui oscille entre le réalisme et le conte.


Je suppose qu’une des raisons pour lesquelles nous sommes si rarement capables de réconforter notre prochain par nos paroles est que notre bon vouloir s’altère en dépit de nous-mêmes avant de franchir nos lèvres. Nous pouvons envoyer du boudin noir et des pieds de porc sans leur communiquer un parfum d’égoïsme, mais le langage est un cours d’eau qui prend presque toujours le goût d’un sol composite.


Côté réalisme, la peinture du village. Un village où les gens ne sont pas désagréables, mais où on n’aime pas trop ceux dont la provenance est inconnue, surtout s’ils ne se plient pas aux us et aux coutumes locaux. C’est l’esprit de clocher. Il est intéressant de voir comment Eliot peint à la fois une petite vie rurale qui a tout pour apporter la tranquillité d’esprit et le bonheur et une vie étriquée et peu spirituelle. Par ailleurs, les portraits des villageois sont très réussis et les conversations de chacun, avec leur tournure de langage, sont rendues de façon très vivante, comme autant de petites pièces de théâtre. L’ensemble baigne dans l’ironie et la bonhommie. Comme dans d’autres romans anglais, les fêtes de Noël y tiennent une place particulière, notamment le bal !

Par ailleurs, le roman baigne dans une atmosphère de conte de Noël. Les coups de théâtre invraisemblables se produisent. On peut les critiquer, mais ils apportent une atmosphère merveilleuse. C’est notamment le cas de l’apparition de la petite fille, qui illumine tout autour d’elle, comme un or spirituel. Ce roman qui raconte l’histoire d’une renaissance humaine, l’histoire de la vie d’un homme qui retrouve la lumière de l’humanité, se trouve ainsi illuminé lui-même et plein de charme.


T’es dans l’vrai, Tookey, y a toujours deux ‘pinions : y a l’pinion qu’un homme a d’lui-même, et y a l’pinion qu’les aut’ ont d’lui. Y aurait deux ‘pinions sur une cloche fêlée, si la cloche elle pouvait s’entendre.


Un mot de ce qui constitue un point faible. Dans ce roman d’à peine 300 pages (rien du tout pour Eliot), les caractères de plusieurs personnages secondaires mériteraient d’être approfondis. C’est quand même un point fort parce qu’ils sont très réussis et que j’aurais aimé connaître davantage leurs contradictions, leurs drames internes, leurs faiblesses inavouées. Nancy et Godefroy forme un joli couple, aimant et triste. Leur face sombre anime le roman et l’on pourrait un peu plus s’y arrêter. Priscilla me semble très intéressante, Dolly également. La pauvre Molly est traitée trop cavalièrement. Mais bien sûr, le côté « conte » favorise cette rapidité d’évocation, ces portraits esquissés et vivement tracés sans être détaillés. Il serait dommage d’alourdir le trait. Et puis on sent souvent la sympathie de la romancière pour beaucoup d’entre eux, même si elle n’hésite pas à critiquer leurs travers moraux.

Je suis sans doute influencée par ma lecture récente de Daniel Deronda, qui est un roman très ambitieux et qui m'a beaucoup impressionnée, mais avec des défauts un peu lourds. Silas Marner est d’un format plus petit, avec des défauts plus légers.

Il n’empêche que j’ai beaucoup aimé. C’est une très belle lecture, une plongée dans un petit monde aux personnages attachants. Il y a des biscuits avec des inscriptions chrétiennes et la description émouvante des soins apportés aux enfants tout petits pour les nourrir et les habiller.

 

Mme Crackenthorp – une petite femme clignotante qui jouait sans cesse avec ses dentelles, ses rubans et sa chaîne d’or, et tournait la tête de droite et de gauche en faisant entendre de petits bruits étouffés, tout à la manière d’un cochon d’Inde qui plisse son museau et soliloque indistinctement en toute compagnie – clignota et se trémoussa à l’adresse du squire en disant.

(Est-ce que ce portrait n’est pas formidablement réussi ?)

 

Je suppose qu’il en est ainsi de tous les hommes et de toutes les femmes qui atteignent un certain âge sans avoir saisi clairement que la vie ne peut pas être entièrement heureuse ; dans le vague ennui des heures grises, l’insatisfaction cherche un objet défini et le trouve dans la privation d’un bien dont elle n’a pas joui.

 

Le billet de Lili Galipette.


George Eliot sur le blog : 

Middlemarch : peut-être d'un esprit assez proche de Silas Marner.
Le Moulin sur la Floss : il reste mon préféré !
Daniel Deronda : un roman très impressionnant.

Turner, Matin glacé, 1813, Tate Britain

 Mona Ozouf, L’Autre George, 2018, Gallimard.

 

Il ne s’agit pas ici d’une biographie, mais d’une évocation des principaux romans d’Eliot. Autant le dire, je suis assez déçue. Le livre est peut-être destiné à des gens n’ayant jamais lu Eliot, à qui il faudrait donner cette envie (c’est réussi en ce qui me concerne, j’ai hâte de découvrir d’autres titres). Ozouf a le mérite de parvenir à synthétiser plusieurs des grandes thématiques des romans et c’est déjà assez fort, au vu de leur ampleur, de leur épaisseur et de leur complexité. Bref, c’est une bonne introduction à l’univers d’Eliot. Mais j’attends la biographie en français (la dernière date de 1933 !) qui s’appuierait sur les méthodes modernes de l’histoire et nous dirait qui est cette romancière, quelle est sa formation, dans quels cercles évoluait-elle, comment elle considère ses prédécesseurs et prédécesseuses, quel est sa place dans la littérature anglaise et dans la littérature du XIXe siècle, etc.

 

Dominique est plus indulgente que moi. 

 

Une romancière.



9 commentaires:

keisha a dit…

Ha bon, le livre de Ozouf est à la bibli, je voulais le lire, mais avant j'ai emprunté un roman que je n'avais pas lu (et pfou, en anglais, les tournures paysannes, ça ralentit, donc j'ai lâché)
Tout ça pour dire que oui, Silas Marner est court pour un roman de l'auteur!Je l'ai lu, mais avant blog, donc pas de traces sur le blog.

nathalie a dit…

J'ai Félix Holt sur l'étagère (en français), un gros machin centré sur les élections je crois. Mais je vais attendre quelques mois avant de m'y mettre, pour laisser décanter.

keisha a dit…

Il s'agit d'Adam Bede (et oups je n'ai pas lu Felix Holt non plus)

Dominique a dit…

Etant inconditionnelle de G Eliot je passe comme par magie sur les défauts mais tu as mille fois raison
il n'empêche que j'aime tous ses romans défauts compris :-)
Tu as vu qu'il vient de paraitre en folio un de ses romans qui n'avaient je crois jamais été traduits ou du moins qui était introuvable : Felix Holt le radical

nathalie a dit…

Et moi je ne connais pas Adam !

nathalie a dit…

Et je l'ai acheté !!! Je suis plutôt du côté des inconditionnelles également.

keisha a dit…

Oh je viens de l'apprendre par Dominique!

Passage à l'Est! a dit…

Je n'ai lu que Middlemarch, il faudrait que je le relise et lise les autres livres de George Eliot aussi attentivement que tu le fais. As-tu lu Anthony Trollope et Thomas Hardy?

nathalie a dit…

Non pour le moment je n'ai rien lu d'eux Hélas !!!