La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 1 février 2022

Tous nos amis sont passés par les camps. Personne n’est comme lui.

 Art Spiegelman, Maus, parution originale de 1980 à 1991, traduit de l’anglais par Judith Ertel, lettrage d’Anne Delobel, édité en France par Flammarion.

 

J’ai relu ce grand chef d’œuvre de la bande dessinée récemment. L’auteur y raconte à la fois ce qu’a vécu sa famille, nés juifs en Pologne, et ses rapports difficiles avec son père. L’originalité est que les personnages sont représentés avec des têtes d’animaux : souris pour les juifs, cochon pour les Polonais, chat pour les Allemands, etc.

C’est un gros album très étouffant. Le récit du père Spiegelman n’en finit pas, de toutes les persécutions aux divers emprisonnements, fuites, caches, ghettos. Ce sont des années et des années, des jours et des jours qui se succèdent sans fin, chacun semblant aggraver l’autre. Il raconte les diverses combines et chances qui lui ont permis de survivre. Contrairement à Levi, ici le récit est très long. Le lecteur peut se perdre dans l’abondance de détails, de lieux et de personnages, mais il peut aussi comprendre comment une partie de l’Europe a ainsi été transformée en lieu d’extermination et saisir la quantité et la diversité de moyens mis en œuvre dans le but d’accomplir un génocide. On comprend aussi que les détails vécus par l’un peuvent ne pas avoir été vécus à l’identique par un autre.

L’auteur ne flatte pas son père, c’est le moins que l’on puisse dire. Radin, raciste, égoïste, perpétuellement sur les nerfs, mais il raconte. On devine que le recueil de cette parole a dû être long et épuisant. Spiegelman ne cache pas les difficultés psychologiques liées au fait d’être survivant, d’être fils de survivant, d’être le frère d’un enfant qui n’a pas survécu. Il s’agit d’un huis-clos familial difficile, la paix et l’espoir semblent inatteignable dans un tel contexte.

Le dessin est en noir et blanc et les personnages sont peu individualisés, se confondant dans un quasi-anonymat. Tout cela nous permet à la fois de conserver une certaine distance et de nous projeter dans l’un ou l’autre personnage. Le dessin des villes et des bâtiments évoque le graphisme des films expressionnistes allemands ou des gravures sur bois. L’ensemble est très saisissant et impressionnant, et très marquant aussi.

 

C'est une relecture. Mon premier billet.

 

Le livre fait l’actualité. Une école du Tennessee, aux États-Unis, a décidé de le bannir des programmes scolaires sous un prétexte à la noix – parce que ce sont des fachos.


Un billet qui participe aux lectures autour de l'Holocauste, semaine organisée par Passage à l'Et et Si on bouquinait.




14 commentaires:

keisha a dit…

Je l'ai lu, et relu. J'ai lu aussi Meta Maus.
J'ignorais la polémique au Tennessee. Mais si un parent veut offrir une arme à son gamin, là ça va? (sarcastique et écœurée, ce matin)

Ingannmic, a dit…

Je l'ai commandé après avoir lu l'article concernant son interdiction. ATTERANT !

nathalie a dit…

Tant que les armes ne sont pas nues et ne disent pas de gros mots et qu'elles tuent les gens pas comme nous, ça passe large.

nathalie a dit…

Oui il paraît qu'il est à présent en tête des ventes.

Marilyne a dit…

J'ai lu aussi cette histoire de censure, une aberration !! Je garde un souvenir fort de cette première lecture, pas seulement pour le sujet mais aussi pour ces portraits, notamment celui du père.

Dominique a dit…

un livre qui est bien plus qu'une BD une vraie leçon pour tout lecteur un très grand livre

nathalie a dit…

Oui, c'est vraiment marquant.

nathalie a dit…

Exactement. Il est d'une ampleur inégalée.

Passage à l'Est! a dit…

Merci pour cette nouvelle contribution, j'espère que tu as toi aussi fermé les yeux sur les huit gros mots et l’image de la femme nue...
J'aimerais bien savoir ce qu'en pensent les élèves de cette école. Je crains bien que ce ne soit pas eux qui bénéficient de la hausse des ventes. Les deux profs ont dû se sentir très très seuls dans ce débat de fous.

Nathalie a dit…

J’ai été frappée par le fait que l’auteur appelle son père par son prénom, même si je sais que cela se fait.

claudialucia a dit…

Je viens de lire le billet de Miriam sur ce livre et appris l'interdiction au Tennessee. C'est horrible, cette renaissance des idées nazies partout dans le monde !

Nathalie a dit…

Elles n’ont jamais disparu mais en ce moment elles font comme si elles étaient légitimes.

Patrice a dit…

Je viens également de lire le billet de Miriam sur ce livre qui est une vraie découverte pour moi. J'étais également passé à côté de cette polémique d'outre-Atlantique. Un grand merci pour ta contribution à la semaine thématique, qui plus avec un titre qui, pour moi, sort des sentiers battus

nathalie a dit…

C'est sûr que les BD de témoignage sur le sujet ne sont pas légion, mais j'en ai noté une sur le ghetto de Varsovie je crois également.