La semaine dernière, je vous présentais succinctement la ville de Québec et je concluais mon billet sur les autochtones.
Aujourd’hui, je m’arrête sur un événement et une date, 1701.
1701 : la Paix de Montréal dont je n’avais jamais entendu parler avant ma visite de je ne sais quel musée de Montréal il y a quelques années. Il s’agit même du traité de la Grande Paix de Montréal.
Alors de quoi s’agit-il ? Je vous résume la page Wikipédia.
La première page du traité |
Champlain fonde la ville de Québec en 1608. Dès l’installation des Européens dans la région, le contrôle des réseaux de la traite des fourrures constitue un enjeu de rivalité entre les différentes nations autochtones. Chaque peuple essaie de se placer de façon à récupérer de nombreux biens européens (armes à feu, munitions, vêtements, outils de métal, service des forgerons, etc.). Par ailleurs, les Hurons et les Algonquins, alliés des Français, sont en guerre quasi incessante avec les nations iroquoises regroupées dans la Ligue des Cinq Nations, ligue elle-même soutenue par les Anglais. Or sans paix pas de commerce de fourrure et sans commerce de fourrure pas de colonie en Nouvelle-Français. Tout au long du XVIIe siècle, plusieurs paix séparées et distinctes ont été signées, mais sans réel effet. L’élaboration d’une paix globale et durable profiterait donc à l’ensemble des parties.
Callière, représentant de Louis XIV |
Les premières négociations débutent dès 1697 et accélèrent tout au long de l’année 1700. C’est ainsi que les Iroquois organisent une première conférence entre eux à Onondaga (situé dans l’actuel état de New York), en présence d’ambassadeurs français, et trouvent un consensus (malgré la venue d’un émissaire anglais). Les Cinq Nations iroquoises sont décidées à conclure une entente. À partir de septembre 1700 (tenue d’une conférence préliminaire) des émissaires envoient les invitations aux différentes nations. Plusieurs d’entre elles craignent ce déplacement en raison d’une épidémie signalée à Montréal. Leur venue, malgré ce risque mortel, souligne leur détermination à aboutir à une paix.
Les délégations autochtones arrivent donc à Montréal en juillet 1701 après des voyages qui pouvaient être longs et pénibles (depuis les Grands Lacs ou depuis le Mississippi !). On signale 200 canots, entre 700 et 800 délégués appartenant à environ 30 ou 40 nations différentes. Ils s’installent à la Pointe à Callière, un endroit à l’extérieur de la ville. C’est parti à la fois pour la diplomatie et pour de riches échanges commerciaux. Les autochtones peuvent en effet circuler librement en ville et faire des affaires. Le gouverneur Callière a pris la précaution d’interdire toute vente d’alcool pendant toute la durée de la conférence. Malgré la bonne volonté générale, la situation est difficile du fait d’une épidémie qui tue de nombreux délégués autochtones.
Une perche et un scalp pour le village Pangichéas |
Les discussions sont initiées à partir du 25 juillet à la résidence du gouverneur Callière, représentant de Louis XIV, discussions qui suivent à la fois les codes européens et les codes autochtones.
Sur quoi les discussions portent-elles ? L’alliance politique, le prix des produits français, la sur-chasse des animaux à fourrure, les problèmes causés par l’alcool, sans oublier la libération des prisonniers. Le gouverneur est assisté par des religieux et des militaires, notamment des Français qui ont été adoptés par certaines nations présentes et qui servent d’intermédiaires.
Malheureusement Kondiaronk de la nation Huron-Petun, appelé Le Rat, est touché par l’épidémie et meurt le 2 août après avoir obtenu des promesses sur son lit de mort. Or c’est une figure charismatique, reconnue par tous pour son intelligence politique et son éloquence. Il veut surtout éviter une paix séparée entre Français et Iroquois et toute son action amène donc les Français à organiser cette paix globale. Comme Kondiaronk est catholique, il a droit à des funérailles grandioses à Montréal et son cortège rassemble Français et Hurons et diverses personnalités dans un moment de communion propice à l’entente.
Le rat musqué, signature de Kondiaronk. Du fait de son décès, on a signé pour lui. |
Le traité est finalement signé le 4 août lors d’une grande cérémonie publique organisée en plein air. Les historiens estiment qu’entre 2 000 et 3 000 personnes y ont assisté, dont 1 300 représentants autochtones et les divers habitants de Montréal, et surtout 5 traducteurs, dont 4 jésuites. Je cite le gouverneur Callière, car il prend soin de reprendre les termes de ses interlocuteurs : « J’attache mes paroles aux colliers que je vais donner à chacune de vos nations afin que les anciens les fassent exécuter par les jeunes gens et vous invite tous à fumer dans ce calumet de paix où je commence le premier, et à manger de la viande et du bouillon que je vous fais préparer pour que j’aie comme un bon père la satisfaction de voir tous mes enfants réunis. » Après lui s’expriment divers orateurs autochtones tous vêtus de leurs plus beaux atours (et franchement la théâtralité des autochtones ne devait rien avoir à envier à celle des Français avec leurs perruques, leurs bas et culottes, l’ensemble devait être clinquant). En premier vient Hassaki, chef des Kiskakons (Outaouais), vêtu d’une robe de castor qui traîne jusqu’à terre. On note Miskouensa, orateur des Renards, qui reprend à son compte en guise d’hommage les signes ostentatoires des Français : il est coiffé d’une vieille perruque dont il se sert comme d’un chapeau pour saluer Callière. Le dernier orateur est Iroquois, c’est Aouenano.
Et les représentants de toutes les nations présentes (France comprises) signent le fameux traité.
Les pages des signatures. |
Il y a aussi des danses rituelles auxquelles participent trois Français et un Te deum, un banquet, un échange de calumets et une distribution de présents.
Je cite Wikipedia :
L'entente est importante. Elle met fin aux guerres entre les Français et les Iroquois, ainsi qu'entre ces derniers et les autres nations autochtones alliées des Français. Trois clauses ressortent particulièrement :
· Tous les captifs, autochtones ou non, sont libérés et retournent dans leur nation.
· Les territoires de chasse sont mis en commun et partagés entre les autochtones. Cette clause a toujours valeur juridique.
· Les nations amérindiennes demeurent neutres en cas de conflit entre les colonies françaises et anglaises.
Le traité permet au commerce et aux expéditions de reprendre dans la paix (par exemple un monsieur de Cadillac fonde Détroit et les jésuites repartent en mission) (malgré quelques reprises belliqueuses de-ci de-là). Cette paix durable (jusqu'en 1760 et la conquête anglaise) apporte un grand soulagement aux colons et marque la fin des guerres iroquoises au Canada, malgré quelques conflits qui perdurent.
Un chevreuil, signature du chef des Gens de la Montagne |
Ce traité constitue un événement unique dans l’histoire de l’Amérique et de la colonisation. Il montre un moment où les Européens sont obligés de négocier avec les Premières nations d’égal à égal et où les autochtones font valoir leurs intérêts. Sans idéaliser l’événement (parce que la colonisation continuera), on a quand même l’impression qu’en 1701 une autre histoire était possible. Les rituels diplomatiques européens et autochtones se sont mêlés pour aboutir à une création originale, qui a été bien oubliée après. Il n’était pas alors question d’extirper la culture autochtone et de faire comme si elle n’avait jamais existé. Il fallait alors compter avec ! La France reconnaît de fait la souveraineté de 40 nations autochtones qui font valoir leurs intérêts et participent activement à l’élaboration de la paix. Cela montre également que les épidémies, seules, ne sont pas la cause de l’extermination des cultures autochtones puisqu’elles n’empêchent pas la tenue de cette grande conférence. Cette disparition résulte bien d’un ensemble de décisions politiques. La France a de quoi être fière d’avoir participé à cet événement collectif qui gagnerait à être davantage connu (même s’il souligne a contrario tous les moments où elle s’est conduite avec indignité avec les peuples colonisés).
Wikipedia m’apprend qu’après la conquête anglaise le texte est totalement tombé dans l’oubli. On comprend bien que la politique indienne suivie par le Canada aux XIXe et XXe siècles ne pouvait pas tolérer pareil souvenir. Il a fallu attendre les années 1990 pour que les historiens et les responsables politiques autochtones redécouvrent le texte.
Un renard, signature du représentant des Renards (Meskwakihug). |
Le mot wampum désigne à la fois les perles fabriquées à partir de coquillages marins et les colliers et ceintures confectionnés avec ces perles. La taille du wampum, la couleur, les motifs créés par l’alternance des grains blancs et pourpres ont toujours une signification. Une ceinture a une valeur symbolique importante lors d’une telle négociation. Le wampum permet de valider de façon ritualisée le message transmis : sa remise accompagne la transmission de la proposition et son acceptation ou son refus son important. C’est une sorte de support au message, il le matérialise. Il a une fonction mnémotechnique et peut être utilisé plusieurs années après un événement pour en rappeler le contenu. En 1701, les Français ont fait fabriquer plusieurs dizaines de wampum par les femmes amérindiennes. |
C sont les signatures qui attirent mon regard (bien plus chouette et personnel qu'une croix)
RépondreSupprimerCe sont les signatures qui font l'originalité du document (personne n'a signé d'une croix).
SupprimerJe me demandais pourquoi on parlait de Jerusalem dans les comm du billet précédent, oui, j'ai compris! Le BD sont notées, à la bibli.
RépondreSupprimerJe pensais aux croix, qui émaillent les actes naissance décès mariage de mes ancêtres. Merci à Jules Ferry; un dessin m'aurait plu!
Je connaissais les traités entre Louis XV et les anglais mais je ne me doutais pas de la participation des nations autochtones encore moins des signatures . Pour les Wampums il y a eu (peut être encore maintenant) une exposition au Quai Branly
RépondreSupprimerLe quai Branly doivent conserver quelques wampum.
SupprimerEn l'occurrence on est bien avant l'ère de Louis XV.
En effet, quel beau document en soi, et quel témoignage sur une autre manière d'envisager les relations entre civilisations. Tu ne nous mets pas de liens vers tes autres articles parlant d'épidémies?
RépondreSupprimerCe n'est pas le sujet principal du billet et puis je n'ai pas grand chose sur les épidémies ayant décimé les autochtones.
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