La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 18 juillet 2023

À présent, l’air est inodore et je trouve cette fadeur oppressante.

 

Aharon Appelfeld, Katerina, parution originale 1992, traduit de l’hébreu par Sylvie Cohen.

 

Katerina est une femme âgée et elle raconte sa vie, maintenant qu’elle vit dans une petite maison au bord de l’étang.

Elle est née dans une famille pauvre, dans un village d’Ukraine, et très jeune elle est amenée à servir comme domestique chez des juifs. Jusqu’alors, pour elle, les juifs étaient des créatures du démon, des avares, des êtres méprisables. Voici qu’elle découvre la chaleur d’une famille, avec deux enfants adorables. Elle apprend un peu de yiddish et se familiarise avec les us et coutumes d’une famille juive. Elle vit aussi dans un monde où les violences contre les juifs sont monnaie courante. Ses patrons sont bientôt assassinés, l’un après l’autre.


Les bambins étudiaient du matin au soir. Dans mon village, on avait quatre heures de classe, au maximum. Chez eux, on colle un livre dans les mains du bébé qui vient de naître. Dans ces conditions, leurs frimousses roses et joufflues relevaient du miracle. Chez nous, les enfants se baignent dans la rivière, attrapent des poissons et enfourchent un poulain au galop. Je frémissais d’indignation quand je voyais ces pauvres petits qu’on trainait dans leur prison au lever du jour. Alors, je haïssais les juifs, ce qui n’était d’ailleurs pas très difficile.


Katerina mène une vie d’errance. Domestique chez des juifs, et sinon de taverne en taverne. Un enfant lui naît, un adorable enfant. Elle connaît pourtant bien des misères avant de revenir dans sa maison natale. Au cours de toutes ces années, elle trouve une sorte de refuge chez des juifs, plus faibles qu’elle, la solide ruthénienne, mais plus doux aussi, aux mœurs moins rudes. Elle se situe de plus en plus en décalage avec ses contemporains.

C’est le parcours de vie et l’apprentissage d’une femme simple qui essaie de s’arranger d’un monde violent et dénué de compassion. Il y a aussi la nostalgie de l’enfance et de la langue maternelle.


Le contact brutal avec ma langue maternelle me fit frissonner de plaisir. Ils rouscaillaient, beuglaient et s’époumonaient à qui mieux mieux. Les dons discordants me transportèrent comme par enchantement vers les calmes prairies de mon village natal, la rivière et les quelques bosquets qui dispensaient une ombre généreuse sur la vaste plaine.

Vitrail, Flagellation, 16e siècle, Rodez Musée Fenaille

Un jour les biens volés aux juifs commencent à affluer en ville. Où sont-ils partis ? Ils disparaissent les uns après les autres.

C’est un roman qui peint un monde âpre et violent. Il y a beaucoup d’alcool et de misère. Les pauvres dorment dans la gare. On abuse du corps des femmes. On tue les juifs. On se partage leurs biens. Les événements historiques ne sont pas évoqués précisément, mais ils constituent l’arrière-plan constant du roman. De la guerre il n’est pas question, des Allemands non plus, seulement des juifs qui disparaissent. Mais à la fin, quand il n’y a plus de juifs, la guerre est finie et les portes des prisons s’ouvrent.

Ce roman m’a fortement fait penser à La Stupeur, le dernier titre d’Appelfeld. Le personnage principal y est une femme, qui assiste sans s’y opposer au meurtre des juifs, et qui ensuite parcourt les campagnes. C’est le même monde où les hommes sont brutaux et les femmes tout à la fois complices et victimes.

 

Le parfum des champs de mon enfance ainsi que la promesse que je venais de faire me submergèrent au point que je fus incapable de retenir mes larmes. Je pleurai sur ma solitude, sur mes errances, sur cet endroit qui m’avaient laissée partir sans même une bénédiction.

 

Appelfeld sur le blog :

Histoire d'une vie : c'est le premier que j'ai lu, il est très beau, allez-y !
Des jours d'une stupéfiante clarté : pour moi, c'est le plus beau. Son titre dit tout.
Mon père et ma mère : des vacances avant la guerre au bord du Pruth

Les Partisans : pendant la guerre, la résistance des juifs

La Stupeur : les Juifs ont disparu et Irina erre sur la terre

 

6 commentaires:

keisha a dit…

Je n'ai lu qu'Histoire d'une vie.
Ici, temps et lieux ne sont pas précisés?

nathalie a dit…

C'est en Ukraine, au bord du Prout, comme dans d'autres de ses romans, et dans quelques petites villes. Je ne crois pas qu'une date soit mentionnée, mais il y a une guerre et les juifs disparaissent et partent par les trains.
Il faut absolument que tu lises Des jours d'une stupéfiante clarté !

keisha a dit…

Je te signale Dans le faisceau es vivants de Valérie Zenatti
https://enlisantenvoyageant.blogspot.com/2019/08/dans-le-faisceau-des-vivants.html
Bon, OK, pour cette stupéfiante clarté, je veux bien

miriam a dit…

Un Appelfeld que je n'ai pas lu! Il faut que je répare cette lacune .

nathalie a dit…

Ah oui le livre de Zenatti a eu un certain écho, il pourrait m'intéresser. D'ailleurs c'est de la ville de Czernowitz dont il est question dans Katerina.

nathalie a dit…

Il faut dire qu'il y en a quelques-uns !