Abdulrazak Gurnah, Paradis, parution originale 1994, traduit de l'anglais par Anne-Cécile Padoux, édité en France par Denoël.
Le héros est Yusuf, 12 ans au début du livre, qui vit avec ses parents. Il raconte sa vie, ses voisins. Un jour, on lui annonce qu'il part pour quelque temps avec le riche Oncle Aziz, marchand, vivant dans une grande ville de la côte. Là, il apprend qu'en réalité son père l'a vendu contre le paiement de ses dettes.
Commence alors une nouvelle existence. D'abord le travail à la boutique. Puis la participation au grand commerce, avec des dizaines de porteurs, dans l'intérieur des terres. Mais on est au début du XXe siècle et les Européens (les Allemands en l'occurrence) s'installent et s'approprient les terres et le commerce (bravo, le passage où le colon annonce aux gens qu'il vient les délivrer des négociants et marchands d'esclave de la côte en s'installant chez eux).
S'il ne perdait pas courage, voilà ce qu'il deviendrait : un autre Khalil, nerveux et combatif, encerclé de tous les côtés et dépendant ; échoué au milieu de nulle part. Il se souvint de ses continuelles plaisanteries avec les clients, de son exubérance qui, il le savait, dissimulaient des blessures profondes. Comme Kalasinga, comme eux tous, immobilisés dans quelque endroit nauséabond, éperdus de nostalgie et consolés par des visions de leur intégrité perdue.
Comme souvent chez Gurnah, le roman raconte tout ensemble un certain nombre de choses.
Les années passent et Yusuf grandit. Il découvre sa propre personnalité, sa capacité à avoir des rêves différents de ceux des autres, le pouvoir de sa beauté, son audace et sa lâcheté. Il comprend les dessous de la société où il vit, avec les ravages de l'esclavage, où l'on vend et achète des enfants, où les sœurs et frères sont séparés, où les parents disparaissent, mais aussi une société diverse où se mêlent ceux qui parlent arabe et ceux qui parlent swahili et les Indiens. Plus encore, il découvre son pays (la Tanzanie), la beauté époustouflante des paysages et ceux qui l'habitent, qui sont à la fois crains et méprisés par les populations des côtes. Il y a de grands guerriers menaçants, des chefs qui vivent au milieu de la forêt, la menace des serpents, la chaleur et les insectes... tout ce qui est lui est inconnu, à lui, qui a toujours vécu en ville.
Les pêcheurs racontaient leurs aventures, leurs tribulations en mer. D'un ton solennel et paisible, ils évoquaient les démons qui, soudain, d'un ciel serein, fondaient sur eux déguisés en tempêtes, ou bien surgissaient, la nuit, des flots sombres, sous la forme de requins géants et phosphorescents.
Comme souvent là encore, la fin est ouverte, promesse de réalisation de soi ou révolte vaine, annonce de drames et d'espoirs, Yusuf prend sa vie en main et se rue sur les routes, tournant le dos à l'esclavage, mais plongeant dans le monde barbare colonial.
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Ousmane Sow, Le grand guerrier, devant la gare d'Angers. L'artiste est sénégalais mais quand les compagnons de Yusuf croisent de grands guerriers, sans doute des Massaï, ils sont entre admiration, fascination et peur. Ils viennent d'un autre monde. |
D'abord, le garçon. Il s'appelait Yusuf ; il avait quitté brusquement sa famille dans sa douzième année. Il se rappelait que c'était pendant la saison sèche, lorsque jour ressemble au précédent. Des fleurs inattendues s’épanouissaient et se fanaient. D'étranges insectes surgissaient de dessous les rochers, se tordaient et mouraient dans la lumière brûlante. Le soleil faisait vaciller les arbres dans le lointain, trembler et haleter les maisons. Chaque pas soulevait des nuages de poussière ; un calme intense enveloppait toutes les heures de la journée. Des souvenirs précis de cette saison lui revenaient ainsi.
Sur la montagne, la lumière est verte. Elle ne ressemble à aucune autre. Et l'air est pur, on dirait qu'il a été lavé. Le matin, quand les rayons du soleil frappent le sommet enneigé, on a une impression d'éternité. À la fin de l'après-midi, près de l'eau, le son des voix monte vers le ciel. Un soir, nous nous sommes arrêtés près d'une cascade. Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau. On entendait Dieu respirer.
Si vous ne connaissez pas Gurnah, vous pourriez commencer par ce roman.
Sinon j'ai aussi lu :
Adieu Zanzibar : grande traversée de Zanzibar au XXe siècle avec toute l'histoire d'une famille. C'est très riche. Mémoire du départ : l'apprentissage d'un petit garçon et la découverte émerveillée de Nairobi, un roman assez violent et désespérant L'avis de Kathel et de Miriam.
Je ne connais Abdulrazak Gurnah que de nom mais ton billet m'a convaincue que ses ouvrages pourraient me plaire
RépondreSupprimerOui il est facile à lire et ses romans sont vraiment très riches.
Supprimerj'ai beaucoup aimé ce livre. Lu en VO sur mon téléphone avec la très bonne surprise d'avoir la traduction des expressions en swahili. Ce que le papier ou la liseuse ne m'auraient pas donné.
RépondreSupprimerAh oui mais lire sur un téléphone, merci bien...
SupprimerJe pensais l'avoir lu mais je me rends compte que je confonds avec Afterlives/Les vies d'après parce que le contexte initial est le même. Je finirai bien par lire celui-ci aussi.
RépondreSupprimerAlors que moi je ne connais pas le livre dont tu parles !
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