La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



samedi 4 octobre 2025

En balade à Pont-Aven

 

Le blog est en vacances en Bretagne. Aujourd'hui, place à la peinture, expédition à Pont-Aven !

Le village de Pont-Aven est connu dans le monde entier. Et pourtant : qu’y a-t-il à y voir ? Rien. Enfin, depuis 40 ans, il y a un musée, mais foncièrement rien. C’est un joli village.

Le village est bâti sur les rives de l’Aven, fleuve côtier dont les eaux faisaient tourner de nombreux moulins (moulins →farine → galettes) et permettent toujours d’abriter un petit port, aujourd’hui de plaisance, mais anciennement des bateaux servaient au commerce régional de marchandises.

Dans les années 1863-1865, grâce au train, des peintres étrangers, notamment américains, commencent à y séjourner en été. Les paysages sont jolis, la vie bon marché. La Bretagne est alors vue comme une terre romanesque et mystérieuse, primitive (au sens de venue d’un lointain passé), apte à proposer des motifs pittoresques – c’est-à-dire dignes d’être peints. Ce sont plusieurs dizaines d'artistes, de toutes nationalités, qui affluent ainsi à la belle saison.

Cette porte a été peinte dans l'atelier Champy vers 1890-95, mais on ne sait pas par qui. Elle est exposée au musée de Pont-Aven.


Les autochtones (après tout) jouent les modèles et les aubergistes, cette clientèle bizarre n’est pas inintéressante. Ils ont remarquablement su s'adapter en ouvrant des magasins avec du matériel de peinture, des ateliers, des pensions, et en acceptant de prendre la pose en costume breton, contre menue monnaie.
Je note d’ailleurs les noms de plusieurs femmes commerçantes (Julia Guillou, Marie-Jeanne Gloanec, Angélique-Marie Satre), qui possèdent des auberges et tiennent des cantines.

Se crée ainsi une petite colonie d’artistes, un peu mouvante selon les années, dans un environnement propice à l’émulation, aux débats, aux tentatives variées. Tous ces artistes s'inscrivent dans des trajectoires différentes et ne poursuivent pas le même but en matière d’art. Ce qui importe, c’est le groupe et l’atmosphère favorable à la création qui permet l’émergence d’œuvres uniques et novatrices.

Moins d'un an sépare ces deux tableaux de Paul Sérusier. En 1888, en descendant du train, il peint cette Scène d'intérieur breton (prise sur ce site), plus traditionnel tu meurs, et en 1889, Les Porcelets, c'est du Franz Marc. Une moitié bleue, une moitié jaune, avec un cadrage qui coupe la figure humaine en deux et qui met en valeur une... diagonale.

Il n'y a pas à dire, il y avait quelque chose dans l'air de furieusement moderne.

Gauguin vient pour la première fois à Pont-Aven en 1886. La colonie artistique a déjà 20 ans d'existence. Tout est bien place pour le travail des peintres. À ce moment, Gauguin a déjà une certaine renommée et souhaite explorer autre chose, estimant avoir épuisé l’impressionnisme et peu intéressé par le pointillisme. Il s’engouffre dans les discussions avec ses collègues (ah les débats de bistrot) et c’est paraît-il sous sa dictée que Paul Sérusier réalise en 1888 ce Paysage au bois d’Amour (musée d'Orsay).


Photo prise sur la page Wikipedia. Le feuillage est fait de taches jaunes et vertes, les troncs sont des lignes bleu clair, les ombres sont rouges et bleues. C'est le primat de la couleur et de la vision, la dilution du motif et de sa compréhension.
Quand Sérusier revient à Paris, il montre l’œuvre à d’autres peintres et surtout aux critiques. Elle devient Le Talisman. Sérusier offre le tableau à Maurice Denis qui écrit la fameuse phrase manifeste : « Un tableau est essentiellement une surface plane, recouverte de couleurs, en un certain ordre assemblées. »


Par la suite, Sérusier a choisi de s'installer durablement dans le Finistère.
L'Averse (1893 Orsay) : un tableau entièrement traité avec des aplats, sans ombre, avec une palette très sobre (rouge, noir, gris, blanc). La silhouette de la femme est incroyablement graphique. Le souvenir des estampes japonaises est bien présent dans cette averse qui saisit l'image.
Jeune Bretonne au pot d'arum (1892, collection privée) : ce profil inexpressif rappelle les tableaux du Quattrocento et les portraits de Piero della Francesca. Cela pourrait être une estampe, avec les ombres posées en aplats. Et puis cette forme bizarre, incongrues, cet arum.

L’école de Pont-Aven n'existe pas en tant que tel. Il s'agit plutôt d'un regroupement d'artistes de différentes générations, qui choisissent chacun leur voie. Ils créent, ils sont amis, ils sont rivaux. Les artistes continuent à venir à Pont-Aven, un an ou deux, ou s'installent plus durablement.

Émile Bernard, Le Pardon ou Bretonnes dans la prairie (1888 Orsay). Les silhouettes semblent posées sur le fond vert, sans aucune profondeur. Le peintre est séduit par les costumes traditionnels, aplats noirs et aplats blancs. Gauguin apporte la peinture avec lui à Arles et la montre à Vincent Van Gogh qui la copie immédiatement.


Gauguin, Au-dessus du gouffre dit aussi Marine avec vache (1888 Orsay). Tableau réalisé en Bretagne. Le point de vue est étonnant, en surplomb, déformant les rochers qui en deviennent fantastiques, surtout avec ces couleurs. Coller le rouge contre le vert. Petite silhouette de vache, mais il n'y a presque rien dans ce paysage.


Donc voilà : Pont-Aven est un joli village, où les artistes viennent depuis longtemps. Et c’est pour cette même raison que d’autres artistes y viennent et que nous y venons aussi.

Après la balade dans le village, visite du musée (dans l'ancienne pension de Julia Guillou) qui est vraiment très bien. Il y a en ce moment une chouette exposition sur les sorcières dans l’art du XIXe siècle (vous pouvez écouter l'émission sur le sujet).

L’ancienne Pension Gloanec abrite la maison de la presse, avec un coin librairie et des salles d’exposition (lithographies d’Henri Rivière quand nous y étions).

Ensuite vous pouvez boire un café à la librairie et grimper jusqu’à la très jolie chapelle de Trémalo. Elle date du XVIe siècle et elle est plantée au milieu des arbres. Le crucifix en bois a servi de modèle au Christ jaune (1889) de Gauguin.

Et il y a des bêtes féroces sur les voûtes !


Ensuite, vous pouvez vous rendre en pèlerinage au bois d’Amour. C’est bucolique. Et si vous êtes véhiculés, d'autres jolies chapelles qui parsèment le territoire vous attendent.



Depuis Quimper, en été Pont-Aven est desservi par un bus par jour (bus Breizgo 943) (aller le matin et retour en fin d’après-midi), mais pas le dimanche. Il y a peut-être un rapport avec le fait que les quatre rues du village sont envahies par les voitures.

N’oubliez pas d’acheter des galettes avant de remonter dans le bus !

Le circuit breton 2025 : billet introductif 2025 ; Balade à Brest ; le grand calvaire de Plougastel ; balade à Camaret ; la côte des abers ; balade à Quimper

La semaine prochaine, une petite ville.


6 commentaires:

  1. Hé bien je suis ravie de ce reportage à Pont-Aven. (sont bonnes, les galettes?). Ravie aussi d'apercevoir un coin de ciel bleu sur tes photos.
    (j'ai pensé à toi hier lors d'une conférence -passionnante- sur Le Caravage. Autre époque mais bien aussi)

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    1. Les galettes étaient bonnes, snif, elles ont disparu.
      Ah Caravane ! Un maître.

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  2. ah, ah, j'ai tout de suite reconnu le resto sur la première photo. J'y ai même mangé. J'ai adoré Pont Aven et son musée bien sûr.

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    1. Nous on a fait dans le sandwich, mais on s'est payé des cafés et des sodas.

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  3. Je dois avoir à peu près cette même photo (avec un ciel peut-être un peu moins bleu..). Voilà qui me rappelle de bons souvenirs, notamment celui du goût beurré des galettes !
    Je vois que tu lis L'accordeur de silences, que j'ai adoré.... j'ai personnellement dû m'y reprendre à deux fois pour notre LC du 24. J'ai commencé un titre dont je n'ai pas pu dépasser les 50 premières pages ; mon 2e choix a été plus judicieux...

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    1. Ah mince ! Bon tu nous raconteras ça. Pour le moment j'ai lu un paragraphe, donc un peu tôt pour me prononcer.

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