Kenzabuô Ôé, Une existence tranquille, parution originale 1990, traduit du japonais par Anne Bayard-Sakai, édité en France par Gallimard (Folio).
Quelques mois dans la vie d'une famille de Tokyo, quand les parents sont partis en Californie. La narratrice est Mâ. Elle tient la chronique de cette « existence tranquille » avec Eoyore, son grand frère, handicapé mental et compositeur de musique, et Ô, son petit frère qui prépare ses examens d'entrée à l'université.
Si j'essaie rétrospectivement de clarifier les choses, je pense avoir éprouvé alors envers mon père deux sentiments différents. D'une part, j'étais irritée par son attitude que je trouvais veule, et ce quel que fût le caractère de cette « crise ». D'autre part, je me disais que décidément il avait vieilli.
La vie de Mâ s'organise principalement autour de celle d'Eoyore, qu'il faut accompagner à un centre spécialisé et à des cours de musique, mais le récit s'enrichit progressivement d'autres enjeux. Mâ fait aussi le portrait de son père, qui ressemble beaucoup à l'auteur, portrait peu sympathique, d'un homme un peu égoïste. Il y a aussi ses propres études en littérature française, sur Céline. Il y a surtout ses réflexions et ses réactions face à ce qui l'entoure : des petites filles agressées par un « détraqué sexuel », ce qui l'amène à s'interroger sur Eoyore, le goût de son père pour William Blake, l'attitude de sa mère, un film de Tarkovski, les obsèques d'un oncle, l'action d'un ami en soutien à la dissidence polonaise (on est à la fin des années 80), etc.Nicolas de Crécy, Kawabata Dori, fusain 2012, Coll. privée
J'ai entamé ce roman avec une certaine prudence. En effet j'ai découvert Ôé en lisant M/T les merveilles de la forêt, que j'ai beaucoup aimé, mais ma lecture de Dites nous comment survivre à notre folie a été plus compliquée. Voilà un auteur qui campe régulièrement des handicapés mentaux – c'est rare – et qui s'intéresse à des êtres peu accordés à la société, à l'irruption des pulsions incontrôlées, à la dépression. Le lire peut engendrer un certain malaise.
Mais finalement j'ai été prise progressivement par ce récit d'une existence, à la fois ordinaire et inhabituelle, où de nombreux sujets viennent s'ajouter au fil principal de façon parfois inattendue. Les ennuis ne proviennent pas toujours d'où l'on pense.
Mon frère, source pourtant de tous ces remous, demeurait impassible et, se dirigeant vers le bord de la route, pencha la tête vers les feuilles rouges, mouchetées de jaune, du plaqueminier de petite taille, émondé en vue de la récolte, qui poussait légèrement en contrebas dans le champ, pour y humer les gouttes brillantes laissées par une précédente averse.
Et il m'a semblé que peut-être ses gestes étaient trop lents et son expression trop bonhomme, mais qu'il était en tout cas traité comme quelqu'un d'ordinaire par les gens qui lui prenaient ses tracts. C'était aussi la première fois qu'il entrait en contact de manière aussi directe avec la société extérieure, mais j'ai eu le sentiment de découvrir la personne vraiment ordinaire, cette personne de rien du tout qu'il est.
Ôé a reçu le prix Nobel de littérature en 1994.
Ôe Kenzaburô sur le blog :
Dites-nous comment survivre à notre folie : des textes déroutants, malaisants, mais assez fascinants
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