La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mercredi 28 janvier 2015

Rentre immédiatement, tigre dans la cuisine.

Villy Sørensen, Histoires étranges, traduit du danois par Sophie Grimal et Frédéric Gervais, paru en 1953, édité en France chez Ginkgo.

Ce recueil porte extrêmement bien son titre, car difficile de faire plus étrange en effet (= je me demande bien ce que je vais vous raconter).
Ces nouvelles peignent un monde sinistrement absurde, où l’ironie frôle la tragédie de façon la plus glaçante. Le récit le plus long, Le Meurtre, porte comme sous-titre Fantaisie kafkaïenne : le narrateur participe à une enquête sur un meurtre dont il ne connaît ni la victime, ni le lieu, ni rien, mais qui le concerne étroitement. Les inspecteurs manient une langue de bois virtuose, faisant passer les personnages d’un rôle à un autre. Plusieurs récits prennent place dans un monde discrètement totalitaire, où l’armée est omniprésente, où l’individu n’existe pas, remplaçable, sans destinée particulière. Ceci n’empêche pas la magie, le fantastique et aussi plus généralement l’inconnu de côtoyer la modernité. Si le lecteur est plus effrayé par cette atmosphère de contrôle urbain, les personnages, eux, craignent le passé et les souvenirs, les bêtes sauvages et les passions. Le dernier récit est celui que j’ai préféré : les tigres envahissent la ville (plus exactement, les cuisines) suscitant angoisse, affolement et adoration. À la fin, le problème est résolu et puis, tout recommence.


Bien sûr, les noms de Kafka et Orwell viennent naturellement à l’esprit. Mais je renverrai plus exactement à Dino Buzzati et à son recueil, Le K, au climat extrêmement proche.

Allons, courage, fit le médecin-major en le tapant si fort sur l’épaule que ses larmes réintègrent immédiatement leurs glandes lacrymales. Il n’est pas rare de voir des gamins mourir à cet âge-là. Allez, vieille branche, laisse les morts dans leurs tombes, et puis, avant de croquer ta belle, n’oublie pas de te brosser les dents !

Merci aux éditions Gingko pour cette lecture.

L’avis de Pucksimberg.


4 commentaires:

Tania a dit…

Je ne lis pas souvent de nouvelles, mais quand tu cites Kafka et Buzzati, je dresse l'oreille, évidemment.
1953 ! Etrange que ce titre ne soit pas plus connu, à moins qu'il vienne seulement d'être traduit en français ?

nathalie a dit…

Pour être honnête, j'ignore le degré de notoriété de l'auteur au Danemark ! Donc je suppose qu'il s'agit bien en effet de la première traduction en français. Les 1e nouvelles sont sinistres, mais après on plonge plus vers l'absurde.

Reynald Mongne a dit…

Bonjour,

En fait, l'auteur est un philosophe
(Voici sa fiche Wikipedia)
Villy Sørensen, né le 13 janvier 1929, mort le 16 décembre 2001 est un écrivain, un critique littéraire et philosophe danois. Il est généralement rattaché au mouvement littéraire du modernisme. Philosophe fortement influencé par l'existentialisme allemand (Heidegger, Kierkegaard), ses nouvelles de fiction sont à cet égard parfois comparées à celles de Franz Kafka. Il est l'un des philosophes danois les plus importants et influents depuis Kierkegaard.

nathalie a dit…

J'avais lu la fiche française Wikipedia, pour rédiger l'article, mais je trouve que ça ne m'avait pas vraiment renseignée.