La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 25 février 2020

Toi aussi tu avais changé, ton cœur sentait le besoin d’être réchauffé.

Dino Buzzati, Le Secret du Bosco Vecchio, traduit de l’italien par Michel Breitman, parution originale 1935, édité en France par Robert Laffont.

Une fable.
Un homme, un colonel, devient le nouveau propriétaire d’une forêt de montagne, du Bosco Vecchio, une très ancienne forêt, dont nul n’a jamais coupé les arbres. Une sorte de monument naturel et historique. Le colonel a des idées bien précises sur la question et entend bien soumettre la nature.

Le colonel descendit au rez-de-chaussée, une lampe électrique à la main, et demeura un instant devant la porte, l’autre main sur la poignée. Puis il se décida à ouvrir.
C’étaient cinq cauchemars. L’immense tête gélatineuse de l’un d’eux semblait à tout instant se fondre, se dissoudre, formant d’épouvantables visages.

Vous pensiez avoir affaire à un genre de roman écologique avant la lettre, mais vous voici dans un conte. C’est que la forêt abrite des génies, que les oiseaux parlent, tout comme les souris, et que les vents se battent pour conserver leur territoire. Il paraît que seuls les enfants peuvent entendre ces voix, mais en réalité le colonel y parvient parfaitement. Il décide de se servir des génies de la forêt pour devenir le maître du domaine. Il y parvient en partie, par la ruse.
C’est un point assez réussi. Il aurait été tout à fait convenu que le méchant colonel soit imperméable à la magie. Le fait qu’il puisse dialoguer sans peine avec le vent (dénommé Matteo) et avec la pie et avec les différents génies lui donne un rôle tout à fait intéressant. Le voici en train d’utiliser à son profit les forces de la nature. Ou du moins d’essayer. Il ne répugne ni à la magie ni au surnaturel, ce qui lui donne une épaisseur supplémentaire. Néanmoins, sur la forêt, comme sur le colonel, le temps passe, qui transforme les êtres, sans que l’on s’en rende compte. Et c’est lui qui décide de beaucoup de choses.
 
E. Hannon, La Clairière 1897 photogravure Bruxelles.
Matteo était très orgueilleux et préférait jouer les gros bras dans la vallée plutôt que d’aller errer sur les larges plaines et les océans, où il aurait peut-être risqué de rencontrer des collègues bien plus forts que lui. De toute façon, il jouissait d’une grande considération, même auprès de certains vents qui lui étaient hiérarchiquement supérieurs. Les membres du puissant trust des vents de charge, qui monopolisaient le transport des cyclones, ne dédaignaient pas de venir bavarder avec Matteo. Et, même en leur compagnie, le vent de la vallée de Fondo conservait ses façons rogues et superbes.

J’en ai fini pour un moment avec Buzzati, dont j’ai lu un grand nombre de titres.
Un bémol. Dans tous ces excellents textes, je crois que j’ai croisé un personnage féminin avec un peu d’épaisseur (dans Un amour). Cet univers est un peu monochrome. Mis à part, j’ai beaucoup aimé quasiment toutes mes lectures !

Le K : le fameux recueil de nouvelles, plusieurs d'entre elles fantastiques. J'ai peu aimé.
Montagnes de verre : Recueil d'articles sur la montagne et l'alpinisme. Très intéressant.
L'Image de pierre : Un roman fantastique.
Le Désert des Tartares : Le chef d'oeuvre à lire et à relire. Un must !
La fameuse invasion de la Sicile par les ours : Un conte pour enfants. C'est très réussi !
Un amour : Un beau roman d'amour triste.
Sur le Giro 1949 : Indispensable ! Des articles sportifs comme une grande tragédie vieille comme la condition humaine !
Le Régiment part à l'aube : Magnifique également. Des textes écrits par Buzzati peu avant sa mort.
Bàrnabo des montagnes : Assez proche de celui-ci, avec une forêt impénétrable, des brigands et des militaires.
Vous remarquerez qu'il est souvent question du temps et de la mort que les hommes passent leur vie à attendre. Et il y a beaucoup de militaires - des hommes plus soumis que les autres à un monde absurde (celui des ordres), vivant dans un monde à part et clos, les yeux fixés sur l'horizon, vers la guerre qui ne vient pas, au lieu de vivre. C'est rare que ce corps de métier - l'armée - devienne ainsi l'allégorie même de l'existence humaine.

6 commentaires:

eeguab a dit…

Comme tu t'en doutes je ne peux qu'acquiescer à tout ce que tu dis sur cet auteur. Seul m'ont échappé les articles de Sur le Giro 49. J'ai lu aussi les nouvelles des recueils Les sept messagers, En ce moment précis, Les nuits difficiles, Le rêve de l'escalier, Bestiaire magique, Nouvelles inquiètes, L'écroulement de la Baliverna, Panique à la Scala. Mais je pense que dans les éditions en français certaines nouvelles doivent doublonner.
Et l'attente, le temps...tu as tout à fait raison. A bientôt et bonne suite à toi.

nathalie a dit…

Oui il y a beaucoup de nouvelles mais comme je n'ai pas trop aimé le recueil du K. du coup je suis méfiante (peut-être à tort).
Merci de ton passage !

keisha a dit…

Ah j'hésite. Les contes et le fantastique, c'est moins mon truc. Voir ce que je trouve. Le K, de mémoire ne m'avait pas déplu (je me souviens en particulier d'une nouvelle...)

nathalie a dit…

C'est un panorama très subjectif. Comme tu le vois, il y a le choix, il a pas mal produit et je n'ai pas tout lu.

Dominique a dit…

Buzatti j'ai aimé tout ce que j'ai lu mais je suis loin d'avoir lu autant que toi
un écrivain à lire un peu oublié aujourd'hui

nathalie a dit…

Robert Laffont a réédité quelques titres, mais oui, il est un peu tombé dans l'oubli, à part le classique "Désert des Tartares".