La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 23 mars 2021

Les cerfs-volants mettent longtemps à mourir.

  

Virginia Woolf, La Chambre de Jacob, traduit de l’anglais par Jean Talva, parution originale 1922.

 

Ah je ne l’avais pas encore relu celui-là ! C’est donc fait.

Ce court roman raconte la vie de Jacob, vue à travers les yeux de ses proches. Sa mère, ses camarades d’université (Cambridge, cher au cœur de Woolf), les femmes qui tombent amoureuses, ses amis. Mais qui est-il ? Cet être imperturbable, nonchalant, rêveur, mélancolique… ou est-ce que tous les êtres humains apparaissent ainsi aux autres ? Est-ce que chacun n’est pas un être insaisissable pour peu que l’on prenne le temps de s’interroger sincèrement ?


L’horloge sonna le quart.

Les frêles ondes sonores s’éparpillaient parmi l’ajonc rude et l’aubépine, lorsque la cloche de l’église divisait ainsi le temps par quarts d’heure.

Sans mouvement et sans réponse, à moins que le frémissement d’une feuille de ronce n’en fût une, la lande aux vastes ondulations accueillait la nouvelle que depuis quinze minutes, l’heure était dépassée.


C’est que la vie de Jacob est marquée par l’éphémère et le fragile. Une collection de papillons, le décor de ruines d’un camp romain, un parfum de violettes… À plusieurs reprises nous entrons dans sa chambre de petit garçon, d’étudiant, de jeune homme. Il reste des vêtements abandonnés là, des lettres, des objets sans raison d’être en l’absence de celui qui les a rassemblés.

Le début me rappelle La Promenade au phare, avec ce bord de mer et ce peintre qui ajoute une touche à son portrait. Il y a également le charme des lettres et de la correspondance, ce que nous y mettons, ce que nous y taisons, un voyage à Athènes et au Parthénon et des portraits attachants de toutes les petites manies humaines.


Dans tous les cas, la vie n’est qu’une procession d’ombres, et Dieu sait pour quelle raison – puisqu’il s’agit d’ombres – nous nous y cramponnons si fort, et les voyons disparaître avec une telle angoisse ! Et pourtant, si cela est vrai et plus que vrai, pourquoi nous arrive-t-il encore d’être surpris, dans l’embrasure d’une fenêtre, par la soudaine révélation que ce jeune homme, dans ce fauteuil, est de toutes les choses de ce monde la plus réelle, la plus consistante, la mieux connue de nous ?


Une tombe à Devizes.
C’est un roman qui n’est pas sans rappeler Les Années ou Nuit et jour : le temps passe, le cycle des saisons se poursuit, sans s’interrompre pour les petites péripéties, les êtres humains s’effacent très vite. La répétition des mêmes choses, avec quelques variations. Il reste la grande ville de Londres, la mer et ses vagues, le ciel, le vent et le souvenir d’une personne que l’on a bien connue.

C’est un roman d’une grande poésie et d’une grande délicatesse.

 

La lande chère à Clara était de toute beauté. Les restes mortels des Phéniciens dormaient sous leurs entassements de pierre grise ; les vestiges visibles des mines de jadis montaient rigides, vers le ciel ; déjà le vol des phalènes jetait un frémissement sur les bruyères. Sur la route, en contrebas, on entendait grincer les roues des charrettes ; et l’aspiration et le soupir des vagues montait avec douceur, obstiné, éternel.


Mon premier billet.

Woolf sur le blog :

Entre les actes1er billet et 2nd billet
Mrs Dalloway
La Promenade au phare1er billet et 2nd billet


 Une écrivaine.




8 commentaires:

keisha a dit…

Tu sais quoi? Je suis en train de lire Nuit et jour (le seul je crois manquant à mes lectures...)

Marilyne a dit…

Oh, je n'ai lu que Un lieu à soi, il y a quelques mois. Je ne savais trop comment poursuivre, sans passer immédiatement par Mrs Dalloway, tout ce que tu dis de ce roman, son atmosphère me séduit.

nathalie a dit…

Heureusement il me reste quelques titres à découvrir. Et comme je relis, je vais encore plus lentement. Ouf !

nathalie a dit…

Pas facile de rendre l'atmosphère de ses romans à ceux qui ne connaissent pas. L'essai ne permet pas vraiment de s'en rendre compte. J'espère que l'un des titres te plaira !

Dominique a dit…

Longtemps j'ai hésité entre celui là et la promenade au phare comme mon roman préféré de VW
j'ai aimé toute la délicatesse du propos, toute la douleur que l'on sent et qui a été bien réelle hélas un ode magnifique à frère

nathalie a dit…

Oui c'est un roman très beau, plein de retenue et de discrétion.

Bonheur du Jour a dit…

C'est le premier roman de Virginia Woolf que j'ai lu et je dois dire que dans ma vie il y a eu l'avant La chambre de Jacob et l'après La chambre de Jacob.
Merci pour votre article. Je m'en vais de ce pas refeuilleter ce grand roman.

nathalie a dit…

Moi j'ai commencé par Mrs Dalloway et ça m'a fait le même effet. Je crois qu'il y a tout simplement dans la vie des lecteurs un avant et un après Virginia Woolf !