La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 2 novembre 2021

Le vent galopait sans toucher terre, il soufflait à hauteur d’arbre.

 Jean Giono, Le Chant du monde, 1934, Gallimard.

 

Un très beau roman d’eau et de vie.

Antonio et Matelot, le pêcheur et le bûcheron, se mettent en route et entreprennent de remonter le fleuve, car le fils (le « besson ») du second a disparu. C’est l’automne, mais quand ils parviennent dans le pays de Rebeillard, une terre où l’on élève les bœufs et les taureaux, c’est presque déjà l’hiver. Le besson n’est pas mort, mais il y a une histoire de femme, de vengeance et de famille. Et puis, il y a Clara. Ils ne reviendront qu’au printemps.


Il avait regardé tout le jour ce fleuve qui rebroussait ses écailles dans le soleil, ces chevaux blancs qui galopaient dans le gué avec de larges plaques d’écume aux sabots, le dos de l’eau verte, là-haut au sortir des gorges avec cette colère d’avoir été serrée dans le couloir des roches, puis l’eau voit la forêt large étendue là devant elle et elle abaisse son dos souple et elle entre dans les arbres.


Le personnage principal, c’est le fleuve. Le fleuve, avec le vent, les arbres, leur odeur, leur bruit, leur vie qui nous dépasse et nous englobe. Les êtres humains sont en proie à un destin qui les anime et qu’ils ne décident pas, qu’il s’agisse de la mort des autres ou de la leur, ou de l’amour ou du désir de vie. Ils sont des archétypes, certains n’ont pas de nom, ou ont un surnom qui les signale à l’attention de tous (Bouche d’or, des cheveux rouges, un guérisseur nommé Toussaint…).

Il y a toute la vie de la nature au gré de l’hiver, de la neige, du froid, du gel, l’hiver inconnu pour nos deux hommes du Sud, surtout pour Antonio qui porte le fleuve en lui. Il y a la vie avec les animaux, avec les taureaux, avec le taureau nommé Aurore qui est plus important que l’armée de bouviers chargée de veiller sur lui.

Il y a des scènes étonnantes : du ski, un voyage en raquettes, des masques pour se protéger les yeux du soleil, un cortège funèbre où les chars sont tirés par les taureaux, un grand incendie…

Berger, Le Baigneur, 1940 privé

La nuit arriva dans un grand coup de vent. Elle n’était pas venue comme une eau par un flux insensible à travers les arbres, mais on l’avait vue sauter hors des vallées de l’est. D’un coup, elle avait pris d’abord jusqu’aux lisières du fleuve puis, pendant que le jour restait encore un peu sur les collines de ce côté-ci elle s’était préparée, écrasant les osiers sous ses grosses pattes noires, traînant son ventre dans les boues. Au premier vent elle avait sauté. Elle était déjà loin, là-bas devant, avec son haleine froide ; ici on était caressé par son corps tiède plein d’étoiles et de lune.


Cette vision mythique et panthéiste m’a énormément plu, mais je note qu’il ne faudrait pas grand-chose pour qu’on la trouve un peu lourde et datée, ou précieuse. Giono s’écoute un peu, fait le conteur. Je me suis laissé emporter par le voyage, mais je comprendrai que l’on préfère rester sur le bord en attendant un peu plus de sobriété. Un je-ne-sais-quoi d’équilibre précaire qui peut rebuter.

Il y a un homme qui nage avec un congre.

 

On ne voyait pas le fleuve. Il était sous la brume. Puis il commença à remuer ses grosses cuisses sous la glace et on entendit craquer et bouger et un bruit comme le frottement de grosses écailles contre les graviers des rives. On n’en pouvait pas douter : malgré l’hiver le fleuve s’échauffait dans de grands gestes.

 

Giono sur le blog :

Colline - Le Déserteur - Deux cavaliers de l'orage - Ennemonde et autres caractères - Le grand troupeau - L'Homme qui plantait des arbres - Le Hussard sur le toit - L'Iris de Suse - Le Moulin de Pologne - Le Noyau d'abricot et autres nouvelles - Un de Baumugnes



ADDENDUM ACTUALITÉ : Déménagement cette semaine, le fil d'internet risque d'être rompu. Retrouvailles prochainement.


10 commentaires:

keisha a dit…

J'avoue ne pas être très fan de Giono, mais je me soigne, j'en ai lu.
Bon déménagement!

Dominique a dit…

Giono c'est pour moi un compagnon depuis des années, même si ce roman n'est pas tout à fait mon préféré je l'aime énormément
il a un lien chez moi avec Henri Bosco et son roman Malicroix qui dit la force du Rhône, la peur qui va avec et la force de la nature
ce sont deux auteurs proches et quand on lit l'un il faut se précipiter vers l'autre pour avoir une vue de cette Provence si magnifiée dans leurs romans

nathalie a dit…

Ce n'est pas une maladie honteuse voyons !

nathalie a dit…

J'ai lu un truc de Bosco il y a des siècles mais je n'en garde aucun souvenir. Tu as raison, je devrais me rapprocher de lui.

Marilyne a dit…

J'ai plongé dans l'oeuvre de Giono l'été dernier, avec bonheur. Ce titre-ci m'attend encore, et bien d'autres, je m'en réjouis.
Bon courage pour le déménagement.

nathalie a dit…

Il y a plein de titres, c'est un bonheur de les découvrir tous !

Passage à l'Est! a dit…

Je note tes bémols mais surtout ton enthousiasme pour ce roman. Et comme j'ai déjà noté depuis longtemps Malicroix que mentionne Dominique, il ne me reste plus qu'à sauter le pas.
Bonne installation dans ton nouveau chez-toi! J'espère que les étagères sont solides pour accueillir tous tes livres.

miriam a dit…

Giono encore et toujours! je viens de lire L'homme qui plantait des arbres, celui-ci suivra!

nathalie a dit…

Les étagères ne ploient même pas !
Il faut décidément que l'on se penche sur ce Malicroix.

nathalie a dit…

Ah c'est un bijou celui-ci.