Jón Kalman Stefánsson, Le Cœur de l’homme, traduit de l’islandais par Éric Boury, parution originale 2011.
Seulement six jours après la fin de La Tristesse des anges, le gamin reprend ses esprits dans une maison inconnue, mais où se trouve une jeune femme rousse aux yeux verts. Pas question pour autant de s’éterniser, le voici bientôt de retour au Village. C’est le printemps. Le roman se déroulent pendant quelques semaines du printemps et de l’été, dans un Village où les tensions se font plus aigües, à mesure que la lumière étend son empire.
Les mots produisent certains effets sur les gens, tu devrais le savoir, surtout lorsqu’ils sont écrits, en réalité ils entrent au plus profond de toi et ne te laissent plus aucun répit, c’est difficile, et pendant ce temps-là on doit continuer de vivre sa vie comme si de rien n’était.
Un volume qui me laisse un goût en demi-teinte. Peut-être que je me lasse un peu du style de l’auteur, des phrases qui s’enroulent, des images un peu appuyées ? À cet égard, la dernière page est d’un symbolisme ridicule, il aurait mieux fait de s’arrêter plus tôt.
C’est surtout que les personnages se trouvent confrontés à toute la violence de la société. Le pouvoir, la domination, l’argent, l’alcool… Une femme contrainte de se marier, une femme dont on n’accepte pas la richesse et l’indépendance, une autre qui veut échapper au poids de l’homme qui se sent le droit de se coucher sur elle, une autre qui craint que ce jeune homme ne devienne une brute épaisse… Et la ruine d’un marchand, la misère morale d’un couple… On n’est pas dans un joli village, même si la lumière est belle et que l’on boit du café derrière la vitre. À cet égard, j’avais peut-être préféré l’interminable marche dans la neige du volume précédent.
Et pourtant, les personnages se débrouillent. Une femme fuit et trouve un refuge, une autre trouve une astuce pour ne pas se soumettre, deux âmes perdues se réconfortent, un homme a le courage de ses sentiments…
Il y a bien longtemps, nous étions tous enfants, les étés étaient plus chauds, plus longs, le monde s’étendait, vaste, incompréhensible et plein de promesses.
Existe-t-il formule qui soit plus triste que celle-ci : il y a bien longtemps ? Il était une fois, mais il n’est plus. Il y a bien longtemps, j’étais enfant. Nous laissons la vie rancir, s’alourdir.
Gallen-Kallela, Les skieurs, 1909 privé |
La réussite de ces trois romans provient du fait qu’il n’est pas possible d’en tirer une leçon, un espoir ou un désespoir. La vie avance, les morts sont là et prennent la parole, il faut tenter de rester debout face à soi-même, fidèle à l’idée que l’on se fait de soi-même, avec ses faibles moyens. On n’y parvient pas toujours, mais cela ne fait pas de vous un monstre. L’espoir peut se refermer ou se rouvrir si rapidement. Et la poésie ne viendra pas vous sauver. Cette ambivalence et ce balancement me semblent particulièrement réussis.
Pour moi, ces romans me laissent toujours un peu triste et isolée.
Les ténèbres sont malgré cela mille fois meilleures que la lumière, laquelle est si légère qu’elle ne vous procure aucun appui, elle n’accroche ni les pensées ni les rêves. Elle s’étend de toutes parts dans la voûte céleste, claironnant comme le goéland marin, et tout ce qui vit semble condamné à entonner les louanges de l’existence : c’est en vain que ceux dont la voix ne se prête pas au chant cherchent un refuge. Et leur été se passe à attendre la nuit.
Le billet de Miriam.
Stefánsson sur le blog :
D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pieds
Ásta- vous pouvez aussi commencer par celui-ci, un des meilleurs à mon goût.
Ah ! C'est magnifique... J'ai aimé tous les romans de Stefansson et tout particulièrement cette trilogie exceptionnelle. Mon cœur va pourtant à La tristesse des anges.
RépondreSupprimerBonheur du Jour (http://bonheurdujour.blogspirit.com)
Je partage ta préférence pour le volume du milieu, c'est celui que j'ai préféré.
SupprimerAh c'est une trilogie? Ah ça plomb un peu? Je suis moins enthousiaste, alors...
RépondreSupprimerAttends ? Tu n'as jamais lu l'auteur alors qu'il doit être présent à de multiples reprises dans ta bibliothèque ? Tatata, ne fais pas ta feignasse et lis au moins le premier. Ou Asta. Tu vas adorer.
SupprimerJe serai honnête : oui, il y en a plein à la bibli! ^_^
Supprimer"La vie avance, les morts sont là et prennent la parole, il faut tenter de rester debout face à soi-même, fidèle à l’idée que l’on se fait de soi-même, avec ses faibles moyens." Oui !, c'est exactement ce que j'ai ressenti à la lecture d'Asta (l'une des citations que j'ai mis dans mon billet exprime bien cette idée). En tous cas, une très belle découverte de mon côté, j'ai adoré. Je vois que tu es une experte de l'auteur... je note la trilogie.
RépondreSupprimerExperte, experte... je commence à en avoir lu plusieurs. Celui n'est pas mon préféré comme tu le vois, mais la trilogie, dans son ensemble, est superbe.
SupprimerEtant une inconditionnelle je ne peux qu'approuver lorsque l'on encense l'auteur, vrai parfois que l'on éprouve un peu de tristesse mais cela ne me contrarie pas du tout
RépondreSupprimerune oeuvre splendide qui est toute entière dans ma bibliothèque
La tristesse ne me contrarie pas, mais on a quelquefois un peu le coeur lourd. C'est une lecture très prenante. J'ai lu La Tristesse des anges en 2-3 jours.
SupprimerJ'ai adoré les deux premiers, j'espère être plus enthousiaste que toi pour le dernier tome. As-tu vu l'exposition Gallen-Kallela au Musée Jacquemart-André ? Elle était superbe !
RépondreSupprimerOuiii ! Je connaissais déjà le peintre, entre un voyage en Finlande et l'expo du musée d'Orsay d'il y a quelques années, mais l'expo de Jacquemart-André était très bien. Et c'est là où j'ai photographié le tableau.
Supprimerque j'ai aimé cette série! Même lue dans le désordre, mieux vaut lire dans l'ordre.
RépondreSupprimerJ'imagine que c'est plus facile oui.
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