La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 14 février 2023

Paléonazi, taré, rimailleur aux intentions crétinisantes, prophète de pacotille, violeur de la langue espagnole, etc.

 Roberto Bolaño, La Littérature nazie en Amérique, parution originale 1996, traduit par Robert Amutio.

 

Comme une encyclopédie, le livre rassemble des notices consacrées à des écrivains du continent américain qui ont été d’extrême-droite, nazis, fascistes, phalangistes, etc. Sauf que c’est un roman.

Bolaño invente des noms d’auteurs, des titres de livres, des titres de revue, des histoires, des écoles littéraires, des noms de critiques littéraires, etc. et tout ce qu’il faut pour reconstituer une vie littéraire complète. Pérec et Borges ne sont pas loin.

Aux notices biographiques, il ajoute quelques annexes indispensables : bibliographie sélective et notices sur les maisons d’éditions et les revues.


Arthur Crane, Nouvelle-Orléans, 1947 – Los Angeles, 1989. Auteur de plusieurs livres intéressants, mais lesquels Le Ciel des homosexuels et La Discipline des enfants. Il fréquentait les bas-fonds et les personnes de mauvaise vie comme une forme de suicide. D’autres fument trois paquets de cigarettes par jour.


Et à lire, me direz-vous ? C’est un peu étrange. Bien sûr, aligner les notices, même fausses, d’écrivains, c’est fastidieux et aride. Un jeu littéraire. Un jeu brillant et plein d’humour, car on ne tarde pas à repérer des points d’accroche. Tous ces auteurs sont avant tout médiocres, vains et snobs. Poètes hermétiques, goût pour le bizarre et pour la violence, rapport compliqué aux autres auteurs et à l’Europe, aucun n’est parvenu à la reconnaissance internationale dont peuvent se prévaloir plusieurs écrivains que nous avons l’habitude de lire. Je craignais un roman à clés, mais ce n’est pas du tout le cas, même si nous sommes naturellement enclins à trouver des échos ici ou là.

Après un passage à vide dans le milieu, je me suis accrochée. Tout semble prendre sens dans la dernière notice. Cet Hoffman dont la trace se perd en Europe et à Barcelone rappelle les écrivains évanescents des Détectives sauvages et de 2666Et puis apparaissent un « nous » et un « je » et Bolaño lui-même. Le voici qui participe à… on ne sait quoi, à cette recherche de l’écrivain fantomatique ou à son effacement final. Et voilà.


Là, Andrés Cepeda vit ses éphémères moments de gloire : ses articles, aussi variés que ceux du docteur Johnson, soulèvent des haines et des rancunes durables. Il donne son opinion sur tous les sujets, croit avoir des solutions pour tout. Il commet des erreurs, est traîné en justice avec le journal, et perd, l’un après l’autre, tous ses procès.

Lawrence, La Bibliothèque, 1967 PAFA

Il y a évidemment beaucoup d’humour et d’inventivité (Edgar Allan Poe en guide d’art décoratif, c’est surprenant). Il y a surtout tous les petits tics des écrivains, grands ou petits, de droite, de gauche ou du milieu, qui sont malicieusement montrés du doigt. Bolaño n’oublie pas les auteurs de SF, mais les poètes cryptiques sont les plus nombreux. Les voici ordinaires, nos écrivains violents, machos, arrogants, racistes...

Je note que dans ses romans Bolaño s’intéresse particulièrement à tout ce qui compose la vie littéraire : les auteurs bien sûr, mais aussi leurs débats enflammés et stériles, leur positionnement, leur médiocrité, leur postérité, leurs fervents disciples… plus qu’aux textes eux-mêmes. Comme si tout cela n’était pas uniquement fumée, mais avait une consistance. Le blabla de la littérature, c’est du réel, ce n’est pas la fiction.


Couto écrivit un livre de nouvelles qu’aucune maison d’édition n’accepta. La livre se perdit. Ensuite il entra dans les Escadrons de la mort, enleva et aida à torturer et vit comment on tuait certains individus mais il continuait à penser à la littérature et plus précisément à ce dont manquait la littérature brésilienne. D’avant-garde, c’est ce dont elle manquait, de littérature expérimentale, de dynamite, mais pas comme chez les frères Campos qui lui paraissaient ennuyeux, au contraire quelque chose de moderne mais plutôt dans son genre, quelque chose de policier (mais brésilien, pas nord-américain), un continuateur de Rubem Fonseca, pour bien nous faire comprendre. Ce dernier écrivait bien, même si on disait que c’était un fils de pute, ça n’avait pas d’importance.

 

Voilà. Le billet d'Ingannmic. Une lecture déroutante et déroutée, et je suis tout à fait ravie de continuer à découvrir l’œuvre de Bolaño. Bolaño sur le blog :

 

Deuxième participation au mois latino-américain d’Ingannmic.





18 commentaires:

keisha a dit…

Je crains que Bolano ne soit pas complètement pour moi, et ce livr e non plus (lire des passages, oui, mais pas tout)

nathalie a dit…

Ah je te confirme que tu n'as pas l'air d'être dans la cible. Cela me semble contre-productif pour toi ! (et va à Saint-Savin, les jumelles sont fournies, ne cherche aucune excuse).

Dominique a dit…

Un auteur que je ne parviens pas à aimer, c'est un grand auteur et je reste de marbre hélas j'ai fait plusieurs essais mais non pas d'accroche Dommage manifestement

Ingannmic, a dit…

Du coup je suis allée relire mon vieux billet, et j'ai souri en lisant le début, face au constat de notre ressenti commun (oui, on est dérouté, et oui, il y a la crainte que cela devienne barbant : (https://bookin-ingannmic.blogspot.com/2015/07/la-litterature-nazie-en-amerique.html).
Et heureusement que tu es là parce que j'ai un Bolano sur ma pile (il m'en reste 3/4 à lire), et que je n'ai même pas été fichue de le lire pour le mois latino... (c'est une réédition de son ou de l'un de ses premiers romans : L'esprit de la science-fiction)

Sandrine a dit…

Je n'ai pas encore lu toute l'oeuvre de Bolaño et c'est tant mieux. Ce titre-là est appétissant, tout comme le titre de ta chronique. Et je pense que Keisha pourrait bien trouver du plaisir à lire Bolaño, elle lit parfois des trucs bien plus étranges...

nathalie a dit…

Écoute, ce n'est pas grave, nous avons tous nos affinités !

nathalie a dit…

Ah je vois que tu es plus intéressée au côté moral de la chose et moi par ce qui est dit de la littérature. Chacune notre façon d'apprivoiser cet étrange roman.
Et j'ai moi aussi un autre Bolaño qui attend, je suis prête à rempiler.

nathalie a dit…

Il y a une série d'insultes tout à fait croustillantes !

keisha a dit…

Surtout l('église à côté qui m'a l'air fabuleuse, et puis aussi Chauvigny, et sur la route, Yzeures sur Creuse (découvre pourquoi). Une grande balade pour beaux jours, quoi. Et on passe pas loin de la Brenne;

keisha a dit…

Ben keisha a lâché Les détectives sauvages, a accroché avec 2666 jusqu'à page 300 ou 400, et puis boaf. Pourtant, oui, ces machins là sont dans mon créneau.

nathalie a dit…

Arf ça me donne envie d'y aller !

Anonyme a dit…

Le moins que l'on puisse dire c'est que tu ne donnes pas vraiment envie de le lire ! J'aime bien le côté exercice de style, à la Perec, mais finalement on se demande si le jeu en vaut la chandelle, autrement dit si cela vaut le coup de lire sur tous ces écrivains qui n'existent pas et dont on souligne la stérilité, la médiocrité etc.. Je passe mon tour mais bravo à toi de nous en rendre compte !

Nathalie a dit…

On accroche ou pas, mais c’est un roman. Ses personnages ne sont pas plus fictifs ou stériles que tous les autres personnages de romans (par exemple ceux des Faux-monnayeurs). C’est un roman sur la littérature.

keisha a dit…

Tiens donc, aux beaux jours? En une journée c'est jouable. Tu viens? ^_^

eimelle a dit…

ça a l'air très particulier, il faudrait que j'essaye !

nathalie a dit…

Ouiiii !!! C'est une expédition mais si on se retrouve à Tours ou à Châteauroux, c'est jouable !
Fais gaffe, tu vas devoir me supporter.

nathalie a dit…

Allez, on se lance.

keisha a dit…

A Châteauroux est plus simple et plus court.
Mon chat t'attend. ^_^