Nicolas-Edmé Rétif de la Bretonne, Les Nuits de Paris (extraits), première parution 1788, édition abrégée de Jean Varloot et Michel Delon pour Gallimard.
C’est comme une envie de 1001 nuits qui saisit les romanciers du XVIIIe siècle (il faut dire que le livre vient juste d’être traduit et découvert), mais aussi une envie de Paris, de marcher dans les rues et de raconter des histoires… on ne parle pas encore des « mystères de Paris », mais cela ne saurait tarder.
Hibou ! combien de fois tes cris funèbres ne m’ont-ils pas fait tressaillir, dans l’ombre de la nuit ! Triste et solitaire, comme toi, j’errais seul, au milieu des ténèbres, dans cette capitale immense : la lueur des réverbères, tranchant avec les ombres, ne les détruit pas, elle les rend plus saillantes : c’est le clair-obscur des grands peintres !
C’est le presque début.
Donc le narrateur, qui ressemble beaucoup à l’auteur, raconte ses déambulations nocturnes dans un Paris qui est bien plus petit que celui d’aujourd’hui. Ses pas le ramènent souvent aux mêmes endroits. Les anecdotes sont plus ou moins vraies ou romancées ou mises en scène. Il philosophe (en homme des Lumières) et grâce à l’appui d’une mystérieuse marquise il peut souvent se présenter comme un sauveur et un protecteur des affligés.
Dans le cours de 20 années, c’est-à-dire, depuis 1767, que l’Auteur est Spectateur-nocturne, il a observé pendant 1001 nuits, ce qui se passe dans les rues de la capitale.
Car si les histoires sont romancées, le fonds est tristement réaliste. La société du XVIIIe siècle est violente envers les pauvres, les femmes et les vieux et envers les vieilles femmes pauvres. Rétif dresse les portraits d’hommes et de femmes qui vivent de la débrouille, des rebuts des autres, qui se sont fait un coin sous l’escalier. Il raconte aussi comment les fêtes populaires sont autant d’occasion pour des viols, individuels ou collectifs, ou des vols bien organisés. En l’absence d’autorité publique véritable (et lui-même se défie de toutes les institutions d’État, de l’aveuglement et de la cruauté de la Justice), les jeunes femmes peuvent seulement se placer sous la protection d’une femme, ou à la rigueur d’un homme, en espérant que la confiance ne sera pas bafouée. Il y a aussi ce goût généralisé pour les très jeunes filles. Ne nions pas que Rétif est un peu voyeur et très moraliste aussi.
J’aperçus une jeune blonde très jolie, qu’amenait une espèce de monstre femelle. Elle lui offrit de l’eau-de-vie, et je m’aperçus qu’elle voulait l’enivrer. Je bénis l’Être suprême de me trouver là. La jeune fille ne put avaler l’eau-de-vie. Je m’approchai d’elle. Le monstre femelle me tint alors les propos les plus infâmes, en me faisant observer, que c’était un objet tout neuf. La jeune fille s’efforçait d’être effrontée, et ne pouvait y réussir.
(rassurez-vous, il n’abuse pas de la fille et la met à l’abri)
Vallière, Portrait d'homme, Grobet-Labadié |
L’édition proposée correspond à des extraits, car le volume complet est colossal. Elle intercale des pensées théoriques que j’ai passées sans complexe et des observations de la rue.
Avec les Tableaux de Paris de Louis-Sébastien Mercier, les Nuits de Rétif sont les modèles de tous les écrivains romantiques parisiens du siècle suivant (sans chercher, je pense à Balzac ou à Barbey d’Aurevilly) et à tous ces textes se présentant comme des déambulations nocturnes.
Il est aussi question de l’absence de toilettes publiques, mais également du fait que les petits immeubles possèdent en général des lieux d’aisance sur la cour ou sur le palier.
Il y a plusieurs histoires à base d’étudiants en médecine volant des cadavres pour s’exercer, et d’enterrés vivants qui ressuscitent grâce à ces jeunes gens (et là, on sent que l’auteur en rajoute). Il y a aussi l’évocation des bateaux-bains publics sur la Seine (et ça, c’est vrai).
À moi ! Ici la garde ! Ces mots firent fuir les quatre misérables, et nous trouvâmes Victoire seule, mais dans un état à faire horreur… Tous ses habits étaient déchirés ; elle était à terre les mains attachées… Nous la déliâmes, et la soutenant sous les bras, nous la conduisîmes. Arrivés à sa chambre, nous lui donnâmes des secours, et nous la mîmes au lit.
Ce billet prend évidemment toute sa place dans notre grande balade « Sous les pavés les pages », mené sous la houlette d’Ingannmic et d’Athalie. Mes billets m’ont emmenée à Paris (avec Émile Zola et Rétif), à New York (avec Vivian Gornick et László Krasznahorkai) et à York (avec moi-même). Merci à elles pour l'organisation de ces voyages !
Merci à toi pour toutes ces propositions variées...
RépondreSupprimerBigre, des morts qui ressuscitent... il y va un peu fort en effet (mais il a peut-être inspiré Hugo pour ses Misérables !).
Je pense aussi aux nouvelles de Stevenson, il y a exactement les mêmes récits avec les étudiants en médecine. Bon, on est en pleine veine gothique !
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