La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 22 avril 2025

J'avais l'impression de tenir le destin d'un être humain entre mes mains.

 
Mary Jane Gold, Marseille année 40parution originale 1980, traduit de l'américain par Alice Seelow, édité en France par Phébus (2001).

Vous avez peut-être entendu parler de Varian Fry, mais sans doute pas de Mary Jane Gold. Et pourtant. Cette jeune et riche héritière américaine raconte dans ce livre enjoué quelle fut sa vie à Marseille, au début de la seconde guerre mondiale.

J'achetai un journal et me mis à en lire tout haut quelques extraits.
- Écoutez ceci : « Nous, Philippe Pétain, maréchal de France, ordonnons... » - vous savez, cette vieille chèvre a plus de pouvoir que Louis XIV. Et il est encore plus à droite.
(Avouez qu'elle est indéniablement très sympathique.)

Avant cela, il y a sa formation en Italie, dans les bals et les musées, la vie des jeunes filles délurées, mais quand même puritaines, et puis son installation à Paris et l'arrivée de son caniche Dagobert.
Et puis le début de la guerre, la fuite sur les routes avec ses amis et l'arrivée à Marseille. Dès lors la vie de Gold est marquée par deux pôles distincts : sa liaison avec Raymond, dit Killer, miliaire, déserteur de la Légion, petite frappe, escroc, et l'aide qu'elle apporte au Centre américain de secours, en finançant l'existence et le départ de plusieurs centaines de réfugiés et en effectuant certaines missions. Elle est jeune et élégante, on la croit inconséquente, mais cette année marquera sa vie à jamais.
On croise dans le livre les récits de la fuite des réfugiés, leur terreur, les emprisonnements arbitraires, le travail avec les membres du Centre de secours, la rencontre avec les surréalistes à la Villa Air-Bel, mais aussi les marches dans Marseille, les visites au prisonnier au fort Saint-Nicolas, le mistral et les policiers. Il y a des scènes d'anthologie : l'écoute de Radio Londres dans la chambre d'hôtel, la destruction des papiers dans les toilettes du commissariat, les descentes à la pâtisserie, les réfugiés qui se planquent dans les bordels.
Ce récit est bien plus vivant et facile à lire que celui de Fry, qui cherchait à justifier son action auprès de ses contemporains et notamment du Département d'État. Ici le ton est enlevé et plein de vie. Il est aussi plein d'humanité, parce que la riche Américaine s'interroge sur ce qu'elle doit faire et sur ses motivations personnelles. Je trouve que toutes les questions qu'elle se pose sont très intéressantes et sa position un peu distante vis-à-vis des événements rend son point de vue tout à fait riche.
Une lecture que je vous conseille.

À noter que son Killer a eu une incroyable carrière militaire au service de la France Libre (et comme mercenaire dans les guerres coloniales d'après 1945).

Les ex-voto à la Bonne mère. L'espoir et la reconnaissance.



Je le vois encore, debout, le corps très droit, les épaules rejetés en arrière ; le mistral lui soufflait dans le visage. Il avait une petite trentaine d'années, le visage carré, et portait des lunettes à monture d'écaille. Je lâchai d'une façon ambiguë que j'avais entendu dire qu'il y avait de quoi faire ; je me félicitais de savoir quelqu'un dans cette ville capable de faire face à ce travail.
Il s'agit de la première rencontre avec Fry – ce n'est pas le même spirit et pourtant ils seront alliés et amis.

Je ne pus jamais choisir entre les deux. J'aurais pu me dévouer complètement à Killer et ouvlier le Centre américain de secours. Mais cela aurait été une autre histoire, et non la mienne. Ou bien j'aurais pu laisser tomber Killer, mon deux-fois déserteur, avec sa folie, son panache, son absence de principes et ses fragilités attachantes. Cela, aussi, aurait été une autre histoire. Ou encore j'aurais pu rentrer chez moi. Au lieu de cela, je me suis toujours trouvée coupée en deux.

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Et jeudi nous poursuivons sur ce sujet.


4 commentaires:

  1. Quand j'ai commenté le livre de Fry, chez toi, je signalais le livre de Gold à la bibli... mais, je ne l'y trouve plus! Pas glop ce truc!
    Sinon, j'ai fouiné pour voir ce john lewis stempel, qui m'a l'air très bien..;

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    1. Est-il utile de préciser que j'ai repéré Lewis-Stempel chez Dominique ?
      J'espère que tu trouveras le livre de Gold, il est intéressant et facile à lire !

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  2. Je ne connaissais pas l'histoire de Mary Jayne Gold. Certaines personnes ont des destins étonnants et qui méritent notre admiration

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