Alejo Carpentier, La Harpe et l'ombre, première publication à Mexico en 1979, traduit de l'espagnol par René L.-F. Durand, édité en France par Gallimard.
À la fin du XIXe siècle, le pape Pie IX décide de faire canoniser Christophe Colomb, tout en étant conscient que ce ne sera pas facile.
C'est ainsi que j'allai d'une cour à une autre, sans qu'il m'importât de savoir pour le compte de qui je naviguerais. Ce dont j'avais besoin, c'était de navires, quelle que fût leur provenance.
Carpentier nous livre donc une interprétation très intéressante du personnage de Colomb, intéressante parce qu'elle donne la parole à plusieurs points de vue contradictoires et parce qu'elle date maintenant de quelques années.
Je fus sincère quand j'écrivis que cette terre me sembla la plus belle que des yeux humains aient contemplée. C'était une terre indomptée, avec de hautes montagnes, variée, puissante, comme sculptée en profondeur ; plus riche en verts-verts, plus étendue ; ses palmiers avaient poussé plus haut dans le ciel, ses cours d'eau étaient plus opulents, ses crêtes plus audacieuses et ses ravins plus encaissés que tout ce que j'avais vu jusqu'ici, dans des îles qui me faisaient l'effet, je l'avoue, d'îles folles, errantes, somnambules, étrangères aux cartes et aux notions qui m'avaient nourri.
Îles, îles, îles... Des grandes, des petites, des revêches et des douces ; île chauve, île hirsute, île de sable gris et de lichens morts ; île aux graviers polis, qui montent, qui s'affaissent au rythme de chaque vague ; île brisée – profil en dents de scie –, île ventrue – comme femme enceinte –, île pointue au volcan endormi ; île que chevauche un arc-en-ciel de poissons perroquets...
Je ne doute pas que Carpentier a lu le Journal du navigateur, de façon à nourrir son roman d'éléments historiques, qu'il manipule ensuite à loisir. D'ailleurs l'histoire invraisemblable de la sépulture du navigateur est vraie (même si Carpentier écrit sans connaître le dernier rebondissement en date).
Alejo Carpentier, Concert baroque, parution originale 1974 à Mexico, traduit de l'espagnol par René L. F. Durand, édité en France par Gallimard.
Au début du XVIIIe siècle, le héros, un richissime propriétaire du Mexique, entreprend le voyage vers l'Europe et la terre de ses ancêtres espagnols. Si Madrid lui semble franchement minable, le séjour à Venise est bien plus enchanteur. Ici Carpentier reprend tous les clichés des voyageurs français à Venise (les prostituées, le Carnaval, la déliquescence d'une grande cité), mais en les assortissant d'une sorte de florilège musical. C'est que l'on se retrouve sur la tombe de Stravinsky à boire du vin avec Vivaldi et Haendel, puis à écouter un solo de trompette de Louis Armstrong, avec l'écho des rythmes afro-cubains. Ici le héros prendra conscience de sa mexicanité – le voici prêt à s'affranchir de cette vieille Europe.
En un gris d'eau et de ciels embrumés, malgré la douceur de cet hiver-là ; sous la grisaille de nuages colorés de sépia lorsqu'ils se reflétaient, en bas, sur les larges ondulations, molles et arrondies – alanguies en leurs flux et reflux sans écume, qui s'amplifiaient ou s'entremêlaient quand elles étaient poussées d'une berge à l'autre, parmi les teintes vaporeuses d'aquarelles très délavées qui estompaient le contour des églises et des palais, dans une humidité qui se définissait en tons d'algue sur les perrons et les débarcadères, en reflets de pluie sur le carrelage des places, en taches brumeuses plaquées le long des murs léchés par de courtes vagues silencieuses...
Un très court roman plein d'humour et d'érudition, qui met Venise à l'honneur (et c'est pour cette raison que je l'ai relu). J'ai commis un premier billet.
Alejo Carpentier sur le blog :
Le Partage des eaux : une histoire de musique et de forêt vierge
Le Siècle des Lumières : la Révolution aux Antilles et en Guyane, magistral
Bon pour le mois hispano-américain de Sharon.
ça fait longtemps que je veux lire Alejo Carpentier mais il y a toujours d'autres tentations pour faire obstacles. Je vois que tu as apprécié l'humour et l'érudition et je n'ai rien contre les belles plumes, au contraire. Par contre quand tu dis que la langue est interminable et volontiers précieuse, cela me fait un peu peur.
RépondreSupprimerLes phrases sont interminables mais les livres sont courts (surtout Concert baroque et Chasse à l'homme, environ 100 pages). Lance-toi, tu verras bien !
SupprimerMerci pour cette découverte ! Je n'ai encore jamais lu cet auteur.
RépondreSupprimerIl a en effet un succès mitigé.
SupprimerJ'ai eu une véritable passion pour l'œuvre de Carpentier il y a de très nombreuses années, puisque j'ai lu alors tous ses romans en un été, à part Chasse à l'homme, que je n'ai toujours pas lu d'ailleurs. Mon préféré: Le Siècle des Lumières.
RépondreSupprimerAh Le Siècle des Lumières est impressionnant ! Ça fait plaisir de voir un fan de Carpentier, ils ne sont pas si nombreux.
Supprimerj'ai seulement lu La harpe et l'ombre que j'ai beaucoup apprécié . Il m'en reste donc plein à lire.
RépondreSupprimerAh bah oui, comme tu vois !
SupprimerCommandé le Siècle des Lumières, il est en route!
SupprimerJ'espère qu'il te plaira.
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