La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



Affichage des articles dont le libellé est Challenge Breton. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Challenge Breton. Afficher tous les articles

samedi 4 octobre 2014

Humeur de rocher


À Rothéneuf, à côté de Saint-Malo, il n’y a pas que le manoir de Jacques Cartier, il y a aussi les rochers sculptés.
Adolphe Fouré (1839-1910) était un prêtre breton qui déjà pendant son ministère sculptait sa maison, le bois et la pierre. Mis à la retraite pour surdité, il a sculpté les rochers de la falaise. Des dizaines de personnages et d’animaux et de créatures diverses suivant les formes compliquées de la pierre… Le lieu se visite, même si l’eau, le sel, le vent, les embruns, les mouettes, les visiteurs font que cela s’érode petit à petit.
Un gros lézard serpente entre les êtres humains pour les engloutir...

C’est une visite que je vous conseille. On hésite à mettre le pied en avant, perdu dans le fourmillement de personnages que l’on peine identifier. On voit des formes bizarres, on essaye de les reconnaître. On trouve la petite grotte où s’asseoir…


Le père Fouré était une star en son temps : des milliers de visiteurs et des cartes postales, des entretiens dans la presse française et étrangère. C’était une curiosité. Et aujourd’hui, l’exégèse pour identifier ce petit monde se poursuit. Mais on peut se laisser simplement guider par les formes simples et mystérieuses.


Le père Fouré pose devant la postérité aux côtés du facteur Cheval et de Pierre Martelanche.



 Vu d'en bas, on pense à un temple exotique, peut-être hindou. La falaise semble mouvante.

mardi 13 août 2013

Comme un poulain en liberté, le regard galopait dans la campagne et se roulait sur l’herbe fraîche.


Gustave Flaubert et Maxime Du Camp, Nous allions à l’aventure, par les champs et par les grèves, Le Livre de Poche, 2012.
Voyage en Bretagne effectué en 1847, récit rédigé en 1847-48, publié en extraits en 1885 sous le titre Par les champs et par les grèves, d'où sont tirés les extraits de la présente édition.

Une fois passée le fait qu’il s’agisse d’extraits et non d’une œuvre intégrale (et moi je lirai bien la partie qui se déroule dans le Val de Loire), j’ai adoré le livre.

Cela s’en allait doux et triste sur la mer, comme dans une âme un souvenir confus qui passe.

Les deux compères visitent la Bretagne durant un bel été. Ils cherchent :
- des beaux paysages et des promenades bucoliques. L’essentiel du livre est la description de leurs marches dans les forêts, les champs, les campagnes, sur les falaises, les rochers, les plages à marée basse. Ils aiment herboriser et se déplacent beaucoup à pied. La description de Belle-Île par Flaubert est absolument magnifique : l’attention portée aux couleurs des rochers ou des plantes, aux eaux, à la lumière. On y est. L’imparfait de Flaubert donne une impression d’éternité à cette évocation.
- des lieux pittoresques, c’est-à-dire empreints d’un charme ancien. Ils aiment les villes anciennes (et pas du tout le Brest rectiligne de l’armée et du bagne), les églises anciennes (sus aux restaurations modernes) dont ils détaillent à loisir les chapiteaux et les sculptures, les ruines, les lieux évocateurs (de la vie de Chateaubriand par exemple)
- un pays ancien et disparu datant d’avant l’ère du bourgeois boursouflé, du préfet et de l’administration imbécile. Ils aiment les costumes des paysans, leurs fêtes, leur patois.

Ah ! de l’air ! de l’air ! de l’espace encore ! Puisque nos âmes serrées étouffent et se meurent sur le bord de la fenêtre, puisque nos esprits captifs, comme l’ours dans sa fosse, tournent toujours sur eux-mêmes et se heurtent contre ses murs, donnez au moins à mes narines le parfum de tous les vents de la terre, laissez s’en aller mes yeux vers tous les horizons !

Ils se moquent :
- des lieux trop connus des autres voyageurs en Bretagne qui n'entraînent que des banalités déjà dites
- des questions historiques, que ce soit la reine Anne ou la Révolution (alors que le voyage est bien préparé et documenté)
- de la bêtise, celle des paysans ou celle des bourgeois, quoique les seconds soient pires, par leur prétention et arrogance. Les paysans et les pêcheurs témoignent au moins d’un temps disparu et leur piété simple et sans affèterie suscite en partie leur respect.
- de la mode pour les antiquités celtiques (auraient-ils lu eux aussi les notes de Mérimée ?) et surtout de la multitude d’hypothèses pour expliquer la raison d’être de ces pierres levées. À mon avis, les Bouvard et Pécuchet de tout poils sont de bonnes cibles.

Voici donc ce fameux champ de Carnac qui a fait écrire plus de sottises qu’il n’a de cailloux.


Nous comprîmes donc parfaitement l’ironie de ces granits qui, depuis les druides, rient dans leurs barbes de lichens verts à voir tous les imbéciles qui viennent les voir. Les savants ont passé leur vie à chercher ce qu’on en avait pu faire ; et n’admirez-vous pas d’ailleurs cette éternelle préoccupation du bipède sans plumes de vouloir trouver à chaque chose une utilité quelconque ?


Ils prêtent attention à la pauvreté et à la dureté de la vie dans ces campagnes. Ils visitent les monuments mais sans montrer de prétention scientifique, les vieilles églises (romanes donc) et les cimetières les fascinent pour leurs sculptures barbares et naïves, leur rapport à la mort, ce sont des curiosités historiques, archéologiques et mémorielles.
À cette époque, le tourisme et surtout ce goût pour la marche ne sont pas répandus en Bretagne et Flaubert et Du Camp sont eux aussi de véritables curiosités. On a donc alternance de belles description de la nature et des lieux et de bons mots à la virtuosité un peu rosse (surtout chez Du Camp).
On croise aussi des auberges de piètre qualité et toutes sortes de chevaux tirant de drôles de voitures.



Nous voulions jusqu’au bout abuser de notre plaisir et le savourer sans en rien perdre. Plus légers que le matin, nous sautions, nous courions sans fatigue ; sans obstacle, une verve de corps nous emportait malgré nous et nous éprouvions dans les muscles des espèces de tressaillements d’une volupté robuste et singulière. Nous secouions nos têtes au vent, et nous avions du plaisir à toucher les herbes avec nos mains. Aspirant l’odeur des flots, nous humions, nous évoquions à nous tout ce qu’il y avait de couleurs, de rayons, de murmures, le dessin des varechs, la douceur des grains de sable, la dureté du roc qui sonnait sous nos pieds, les altitudes de la falaise, la frange des vagues, les découpures du rivage, la voix de l’horizon ; et puis c’était la brise qui passait, comme d’invisibles baisers qui nous coulaient sur la figure, c’était le ciel où il y avait des nuages allant vite, roulant une poudre d’or, la lune qui se levait, les étoiles qui se montraient.

À marée basse dans les rochers, photos M&M. Challenge breton de Claudia Lucia. Destination PAL de Lili.

vendredi 5 avril 2013

Je ne dois pas exposer une mémoire qui m’est sainte aux jugements rogues qui font partie du droit qu’on acquiert sur un livre en l’achetant.


Ernst Renan, Souvenirs d’enfance et de jeunesse, publication en feuilleton dans La Revue des Deux-Mondes, en livre en 1883. Lu en Folio.

Le premier ouvrage de Renan que je lis. Je suis très intéressée par ce bonhomme ! Renan conte ici son enfance en Bretagne, avec l’éducation donnée par les moines d’un petit couvent. Destiné presque naturellement à la cléricature, il continue ses études dans divers séminaires parisiens avant de quitter la soutane. Le livre s’arrête à ses premiers pas dans le monde, allant ainsi jusqu’à cette jeunesse attardée.
La vision de la Bretagne (raison pour laquelle j’ai lu le livre) est très belle. C’est l’écho d’un monde disparu avec tous ces petits couvents, ces gens parlant breton, ce pays où la mémoire violente de la Révolution est toute proche. Par ailleurs, nous ne sommes pas dans les Chouans de Balzac et son romantisme, donc il y a peu de place au pittoresque breton.
Phénomène curieux : Renan a des préoccupations très éloignées des miennes mais il s’exprime dans une très belle langue et avec beaucoup d’humanisme, ce qui finalement rend le texte très intéressant et riche. Les termes sont choisis avec soin, et on sent de la retenue pour parler de soi. Je devine toute proche la langue du XVIIe siècle, les alexandrins venant naturellement sous la prose.


Les Hommes d'Aujourd'hui : Ernest Renan
par Cohl Emile, musée d'Orsay, image RMN
Autre interrogation : Renan est contemporain de Flaubert (2 ans les séparent) mais les différences d’éducation et de culture sautent aux yeux. Sont-ils vraiment de la même génération ? Je n’ai pu m’empêcher de penser à George Sand, qui est née presque 20 ans avant Renan, qui s’est beaucoup intéressée à la question de l’éducation et qui connaît bien la campagne mais qui est pleinement inscrite dans la modernité. Renan semble parler depuis une époque bien plus ancienne alors que ses autres écrits le campent bien dans son siècle. Il fait pourtant une fine allusion à Madame Bovary, ce qui montre son estime pour Flaubert. J’aime toujours remarquer que cohabitent ainsi des gens ancrés dans des mondes très différents.

Les dieux passent comme les hommes, et il ne serait pas bon qu’ils fussent éternels. La foi qu’on a eue ne doit jamais être une chaîne. On est quitte envers elle quand on l’a soigneusement roulée dans le linceul de pourpre où dorment les dieux morts.

La petite difficulté de ce livre, ne le cachons pas, est dans le détail des enseignements des différents séminaires. Ce sont des passages ardus mais où Renan montre sa grande attention aux êtres humains, en l’occurrence aux caractères de ses professeurs.
Je note son admiration sans borne pour le Parthénon athénien, comme une révélation.

LCA avec Claudia Lucia pour son challenge breton. Son avis.



  


dimanche 20 janvier 2013

De la grâce et de l’horreur, un poème plein de renaissantes magies, de tableaux sublimes, de délicieuses rusticités ! La Bretagne est là dans sa fleur.


Honoré de Balzac, Les Chouans, 1827.

Un très bon roman d’aventures écrit par Balzac, avant la grande aventure de La Comédie humaine.
On se situe à la toute fin du XVIIIe siècle quand un général Bonaparte auréolé de ses victoires n’est encore qu’un espoir possible à l’horizon d’une France dévastée. En Bretagne et en Vendée, la situation est difficile. L’armée républicaine tient les villes, mais les paysans occupent les campagnes, les chemins et les haies. Balzac place ici le récit d’une de leurs dernières luttes – dont je vous épargne le détail – dans une fiction s’insérant dans les événements du temps.
Ce roman est une réussite car il présente aux lecteurs du début du XIXe siècle un moment de l’histoire récente. La plupart d’entre eux ont certainement en mémoire ces mois où l’histoire a basculé, tanguant d’un bord à un autre, et où toutes les familles ont été touchées d’une manière ou d’une autre. Mais les personnages ne sont pas des allégories et plusieurs sont des portraits très réussis.

L’héroïne, Marie de Verneuil, est une grande héroïne balzacienne. J’ai particulièrement trouvé habile le fait que sa véritable identité ne soit pas tirée au clair pendant une grande partie du roman, ce qui lui permet toutes les ambiguïtés. C’est un procédé qui s’applique à d’autres personnages comme à Corentin (qui est présent dans d'autres romans), et le lecteur sent que ces personnages sont riches de possibilités et d’une personnalité sur lesquelles nous n’avons qu’un aperçu. Marie est une femme sensible, intelligente et rusée, ambitieuse, en proie à des désirs contradictoires, passionnée, maîtrisant les rapports de force d’une société. Elle est parée du prestige de l’aristocratie de l’Ancien Régime tout en étant du côté de la liberté et de l’égalité républicaine. Ce misogyne de Balzac a réussi là un vrai portrait. Le jeune héros fringant est loin d’être aussi réussi.
J’ai également aimé les membres de l’armée républicaine qui inspirent une évidente sympathie à l’auteur. Hulot est un brillant militaire, un héros républicain qui n’est pas sans faire penser (c’est étrange) à un personnage de la IIIe République, solide pilier d’un régime et d’idéaux encore vacillants, et aux grognards de Napoléon (le colonel Chabert par exemple).

Géricault, Portrait d'homme dit le vendéen,
 1815-1819, musée du Louvre, image M&M.

Et la Bretagne ? L’action se passe à Fougères et sa région (ville qui sera celle du peintre Pierre Grassou). Il y a de très belles descriptions des paysages, de la campagne, de l’organisation des cultures, des habitations qui montrent que Balzac a vu la région et a été sensible à la lumière, au climat et à la beauté particulière de cette région. La description du château de La Vivetière est celle d’un roman néo-gothique (telle qu’évoquée par Rêve de monuments), comme un lieu chargé de mystères, décor d’un épisode sanglant de l’histoire de France. Quant aux personnages des Chouans, ils sont assez réussis. On sent que Balzac s’est fait plaisir en brossant des portraits colorés d’hommes rusés et abrutis, tout à la fois bons sauvages et représentants vivants d’une culture primitive.
Un grand plaisir de lecture, je vous encourage vivement à vous lancer.

Mais elle marcha lentement, car elle avait jusqu’alors ignoré la sombre majesté qui pèse sur un être solitaire pendant la nuit, au milieu d’un site sauvage où de toutes parts de hautes montagnes penchent leur tête comme des géants assemblés. Le frôlement de sa robe, arrêtée par des ajoncs, la fit tressaillir plus d’une fois, et plus d’une fois elle hâta le pas pour le ralentir encore en croyant sa dernière heure venue.

Challenge Breton de Claudia Lucia et challenge Balzac de Marie qui organisait la LC. L'avis de Cléanthe, de MarieAutres romans de Balzac chroniqués ici : La Fille aux yeux d’orLa Duchesse de LangeaisFerragusMadame FirmianiCésar BirotteauVoyage de Paris à JavaLes Illusions perdues.
Je profite de cet article pour adresser un clin d’œil amical à Rachid et à sa famille.




dimanche 30 septembre 2012

Humeur du samedi-manche : on va se promener



Un pied en Bretagne, un autre en Provence cette semaine.
Je me suis autorisée une pause dimanche dernier pour aller faire un petit tour sur la Côte Bleue, où les paysages sont toujours magnifiques. Les plantations sont rases, adaptées à la sécheresse, mais au détour des rochers, se découvre une vue inattendue sur la rade de Marseille. Malheureusement, c’est aussi un coin à lapins et donc à chasseurs, les coups de feu en fond sonore raccourcissent un peu la promenade.




Qu'à cela ne tienne, je vais partir en Bretagne grâce au défi lancé par Claudia Lucia dont le très beau logo m’a convaincue (il faut savoir me parler). Je ne sais pas encore ce que je vais lire, mon programme n’est pas établi.
Bon dimanche !