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jeudi 7 mars 2019

C’est une vérité universellement reconnue qu’un célibataire pourvu d’une belle fortune doit avoir envie de se marier.

Jane Austen, Orgueil et préjugés, traduit de l’anglais par V. Leconte et Ch. Pressoir, parution originale 1813.

Et me voilà enfin, à lire ce classique. Je pars du principe qu’Orgueil et préjugés est atteint du syndrome Dr Jekill et Mr Hyde et que tout le monde sait en gros de quoi il retourne : l’avenir matrimonial des filles Bennett, notamment celui d’Elizabeth.
J’avoue avoir ouvert le livre avec une certaine méfiance. Ayant vu l’adaptation de la BBC, je craignais d’avoir du mal à m’intéresser à ces thés et ces bals (et qui parle avec qui, et qui danse avec qui, et qui regarde qui et comment et pourquoi). À ma propre surprise, j’ai dévoré le roman en trois jours. Alors… à quoi ça tient ?
Indubitablement, au style d’Austen, à cette langue si particulière, pleine de détails fins et précis, mais qui devient très sobre quand elle le veut, à cette ironie parfaite. C’est un roman sur l’amour certes, mais surtout sur le mariage et l’argent. À cet égard, le texte est parfaitement réaliste sur la condition des filles, des femmes : pas d’héritage si vous n’avez pas de fils, les Bennett courent le risque d’être expulsées de chez elle, aucun avenir autre que le mariage, la préséance des femmes mariées sur les femmes célibataires. Il y a également la situation des fils cadets qui n’héritent pas, obligés d’adopter un métier, qui ne se marient pas comme ils le souhaitent, alors que les aînés peuvent suivre leur volonté. Et le mépris contre les commerçants. Ce roman est incontestablement un grand portrait de société.

- J’avais toujours été habitué, dit Darcy, à considérer la poésie comme l’aliment de l’amour.
- Oh ! d’un amour vrai, sain et vigoureux, peut-être ! Tout fortifie ce qui est déjà fort. Mais lorsqu’il s’agit d’une pauvre petite inclination, je suis sûre qu’un bon sonnet peut en avoir facilement raison.

Furse, Diane dans les landes, une certaine idée de l'orgueil, 1903 Tate.
Par ailleurs j’ai apprécié le fait, comme souvent chez Austen, que peu de personnages soient totalement sympathiques. Elizabeth, par exemple, est d’une lucidité quant à ses propres sentiments et à ceux de Darcy digne d’Emma (c’est dire). Il est d’ailleurs assez cocasse de noter que tout le monde est intimement convaincu qu’elle déteste son fiancé. Et si elle ne se marie pas uniquement pour l’argent et le confort social (vu qu’elle refuse des demandes solides), elle semble tout de même trouver que le parc et le château de Pemberley ajoute pas mal de dignité à Darcy (je partage tout à fait ce point de vue). Austen ne la fait nullement passer pour une amoureuse passionnée et transie. On n’est point ici dans la sentimentalité ou l’embrasement, mais bien dans la brillante comédie de mœurs. Il faut dire également que Darcy n’est pas tout d’un bloc, contrairement à beaucoup de personnages masculins des autres romans, c’est un héros complexe, mais qui attache la plus haute considération aux critères sociaux. Mrs Bennett est certes pénible, mais elle est consciente du monde dans lequel elle évolue, contrairement à son mari, certes très sympathique, mais qui n’a rien fait pour assurer l’avenir de ses filles, voire qui a négligé l’éducation des plus jeunes. Quant à Jane et Bingley, ils ressemblent à l’héroïne de Persuasion, à deux doigts de passer à côté du bonheur par manque de personnalité. Cette complexité constitue bien évidemment un point positif, car on suit l’intrigue avec beaucoup d’intérêt en se demandant comment l’autrice va rebondir sur ses pattes.
Dans ce roman, l’ironie est élevée au rang de chef d’œuvre. Ici le lecteur s’attache aussi bien aux personnages qu’à la petite voix de la narration qui commente, comme en écho, les actions, pensées et discours des uns des autres. Un art subtil du langage.

Mrs Gardiner et Elizabeth, pendant leur retour, parlèrent de tout ce qui s’était passé pendant la visite, excepté de ce qui les intéressait davantage l’une et l’autre. Elles échangèrent leurs impressions sur tout le monde, sauf sur celui qui les occupait le plus. Elles parlèrent de sa sœur, de ses amis, de sa maison, de ses fruits, de tout, excepté de lui-même. Cependant Elizabeth brûlait de savoir ce que sa tante pensait de Mr. Darcy, et Mrs Gardiner aurait été infiniment reconnaissante à sa nièce si elle avait entamé ce sujet la première.


 Jane Austen sur le blog :

8 commentaires:

  1. j'ai lu tout Jane Austen sauf celui là que je ne connais qu'à travers les films alors je me réserve cette lecture comme une petite récompense pour un de ces jours

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    1. On connaît tellement l'histoire à travers les films que j'étais méfiante (il faut dire que la série de la BBC est tellement réussie qu'elle marque), mais finalement, oui, c'est une pépite !

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  2. Ok je suis tombée dans la marmite austénienne il y a longtemps, lu, relu, tous les romans, lu des biographies, etc, puis ensuite lu , relu en VO. bref j'ignore où j'en suis dans mes relectures. Orgueil et Préjugés c'était en 2007 (long voyage en train)tiens il serait temps de s'y remettre. J'ai vu deux versions , donc celle de la BBC.
    Bref, ton article est parfait, bien sûr qu'Austen n'écrit pas des romans d'amour, toujours on tient compte du niveau social et de l'argent!

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    1. Je n'ai pas ta familiarité ! Pour une raison qui m'échappe, je l'ai découverte très récemment, grâce aux blogs et aux réseaux sociaux, je ne sais pas pourquoi, il n'y en avait pas dans ma famille. Il me reste encore quelques petites choses à lire heureusement !

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  3. Vais-je recevoir des pierres si je dis que je ne l'ai toujours pas lu? Ce ne serait pas mon premier Austen, puisque j'ai lu Emma et Raison et sentiments(j'ai préféré le deuxième au premier, Emma... comment dire... c'est une tête à claques, quand même! :D )
    Bref, tout ça pour dire qu'il faudrait que je m'y mette un de ces jours!

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    1. Mais pourquoi des pierres ? Je viens de le lire et je n'étais pas infréquentable jusqu'à présent que je sache ! Quant à Emma, l'héroïne est une tête à claques, mais le roman me semble très réussi (Austen a le chic des héroïnes pas très sympathiques).

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  4. Toi qui as lu tous les autres Austen, tu avais donc gardé le plus connu pour la fin ! Je rejoins totalement ta conclusion : l'ironie est élevé au rang de chef d'oeuvre, tant elle est subtile et le lecteur apprécie autant les personnages que le narrateur. Je n'aurais pas mieux dit !

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    1. Il me reste une petite double chose en fait... mais oui j'avais gardé le poids lourd pour la fin.

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