Olga Tokarczuk, Maison de jour, maison de nuit, traduit du polonais par Maryla Laurent, parution originale 1998, édité en France par Noir sur Blanc.
Dans un village en Pologne, la narratrice nous raconte des fragments de la vie du coin. La vie de sa maison, dont on comprend que son compagnon et elle ne l’occupent qu’à la belle saison, la vie des voisins, surtout celle de Marta, une femme âgée qui raconte des histoires, la vie dans le passé. Ces fragments ne racontent pas l’histoire du village (ou pas toute) ni celle des habitants (du moins pas de tous), ils sont lacunaires, mais entretiennent un lien étroit entre eux.
Ce livre se situe à mi-chemin des Pérégrins, mais ici avec tout tourne autour d’un centre, la narratrice ou peut-être les histoires de Marta, et Dieu, le temps, les hommes et les anges. Le fil du livre suit globalement le déroulement d’un été, mais avec de nombreux écarts, retours, zigzags. S’agit-il de parler d’une maison, de certaines personnes, d’une région ou d’un peu tout cela ?
Chaque soir, Bidule-Machin nous racontait l’hiver parce que l’hiver devait être raconté pour que puisse venir l’été.
La narratrice n’est pas parfaitement rationnelle. Ses pensées l’égarent sur la route des rêves et des hypothèses. À moins que le village ne comporte quelques touches de surnaturel (et dans ce cas elle ne déraille pas du tout). Qu’en est-il par exemple de cette vie d’hiver de Marta, racontée comme une hibernation ?
Il y a plusieurs récits de rêves.
Il est souvent question des champignons. On les ramasse, on les cuisine, on est malade, ou pas. On raconte à leur sujet des histoires de forêt. Des êtres un peu mystérieux, ni plantes, ni animaux.
Si je n’étais pas un être humain, je serais un champignon. Un champignon indifférent, insensible, à la peau froide et douce, à la fois dur et délicat. Je pousserais sur les arbres tombés à terre. Dans le silence, les ténèbres et l’hostilité, mes doigts de champignon en éventail, je sucerais des troncs ce qui leur resterait de soleil.
C’est un monde volontiers absurde.
Il y aussi la légende d’une sainte chrétienne pas homologuée par le Vatican (mais qui existe) sainte locale, devenue barbue pour échapper au mariage, dont l’histoire est racontée par un jeune homme un peu perdu dans son identité, homme ou femme ou un peu les deux.
Il est quelquefois question des autres habitants du village : cet homme qui sombre dans l’alcool, un couple, un professeur de latin devenu loup garou, et puis, plus loin encore, de ces Polonais venus s’installer dans les maisons des Allemands à la fin de la guerre, et puis la frontière n’est pas très loin. Et puis, à la fin du XXe siècle, voilà des touristes allemands qui reviennent.
Pas facile de parler d’un tel livre ? Oui, car rien n’est très net. C’est le portrait composite d’un lieu et de ses habitants, qui forment un tout hétérogène et fragmentaire, propre à s’émietter tout en conservant une identité originelle, parce qu’il existe des fils ténus et néanmoins très solides entre tout cela. C’est très représentatif de ce que fait Tokarczuk.
Ce n’est pas le livre d’elle que je préfère, loin de là, je le trouve un peu difficile à lire. Et pourtant le charme est indéniable.
Macke, Promenade en forêt, 1913 privé |
Le soleil disparaissait lentement de la terrasse. L’ombre sur les planches changeait, chaque instant était différent du précédent. Elle avança jusqu’à nous prendre le dos et ainsi diviser nos corps en deux, une partie sombre, une autre claire. Ensuite elle nous avala tout entières. Ce fut imperceptible et sans douleur.
J’ai choisi ce passage, car il montre bien comment l’écriture de Tokarczuk peut créer le malaise chez le lecteur, avec ce sentiment trouble d’une menace ou de l’existence d’un monde inconnu qui nous frôle, et aussi parce que l’on voit bien la proximité que son écriture entretient à certains moments avec celle d’Herta Müller, avec la description d’un monde où les objets inanimés ou inconsistants peuvent vous trancher en deux.
Mais le plus souvent, l’eau faisait semblant d’être autre chose, elle pénétrait les objets et les plantes, de sorte qu’elle devenait invisible. Elle couvrait les visages, les chandails, toute chose d’une fine couche de gel, elle tuait. Ou encore, elle restait suspendue dans les nuages, pareille à un péché éternel.
Une autrice. Tokarczuk sur le blog :
Les Livres de Jakób : un grosse épopée historique en plein XVIIIe siècle ! Forcément, j'ai beaucoup aimé.
Sur les ossements des morts : un livre qui a eu beaucoup de succès, mais que je n'ai vraiment pas aimé.
Les Pérégrins : il est bizarre, mais j'ai bien aimé.
Dieu, le temps, les hommes et les anges : le livre qui est le plus facile à lire si vous ne connaissez pas. Sa lecture est formidable ! Je recommande.
Lecture commune approximative avec des gens dont il faut que j'ajoute les liens des blogs : Passage à l'Est a lu Les Pérégrins (lisez son billet, il vous donnera envie de lire Tokarczuk).
Il me semble que je l'avais commencé, pas au bon moment semble-t-il... ^_^
RépondreSupprimerIl n'est pas évident à lire, surtout le début, c'est assez déstabilisant.
SupprimerMaintenant que j'ai lu, Dieu, les hommes... et Les pérégrins, je vois que je vais devoir me tourner vers celui-ci. J'apprécie moi aussi son écriture, que j'ai trouvée plus évocatrice dans Dieu, les hommes... que dans Les pérégrins (mais le sujet s'y prête davantage dans le premier). Merci de ta compagnie pour cette lecture!
RépondreSupprimerIl me reste un titre sur l'étagère, Récits ultimes, ce doit être des nouvelles pour le coup. C'est une autrice très intéressante et novatrice je trouve !
Supprimerj'ai aimé deux livres d'elle mais celui là je n'ai pas accroché
RépondreSupprimerJe comprends très bien.
RépondreSupprimerJe suis très triste d'avoir loupé cette LC, d'autant plus que "Les pérégrins" m'attendent depuis un moment (il m'effraie un peu, et m'intrigue en même temps, notamment pour cet aspect "bizarre" que tu évoques)..
RépondreSupprimerOh mais c'est bien Les Pérégrins, plus prenant que celui-ci à mon sens. Ne t'inquiète pas, tout ira bien.
SupprimerPassage à l'Est! m'a également rassurée sur ce point.. en attendant de lire Tokarczuk, je vais essayer de me joindre à votre LC du 01/12 autour de Svetlana Alexievitch.
Supprimerje voudrais découvrir cette auteure mais je ne sais pas trop par où commencer
RépondreSupprimerEt bien suis nos conseils et commence par Dieu, les hommes, etc. Cela devrait te plaire.
SupprimerJe tourne autour de ses livres en librairie depuis un bon moment. Il va falloir moi aussi que j’entre dans cette écriture.
RépondreSupprimerJe crois que des billets sont prévus sur d'autres blogs prochainement, cela te décidera peut-être !
SupprimerCelui-ci m'attend, je suis prévenue. Peut-être devrais-je différer la lecture pour me tourner d'abord vers Les Pérégrins ou Les Livres de Jakob. ( maintenant que je suis de retour, je vais pouvoir lire tous tes billets québécois :))
RépondreSupprimerAh ah bon retour chez toi et sur les blogs. Les Livres de Jakob est le premier que j'ai lu, avant qu'elle ait le Nobel (cet instinct ! J'ai grave pu me la péter à la librairie ensuite) et il m'a convaincue de continuer à la lire.
SupprimerJ'avoue préférer les Pérégrins à celui-ci, même si ici le thème du village apporte une unité à l'ensemble.