La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 6 février 2024

Voyager une dernière fois. Dire tout, inventer tout, ne pas s’affoler en face de l’indicible.

 

 

Antoine Volodine, Vivre dans le feu, 2024, édité au Seuil (oui, il vient de paraître).

 

Un Volodine léger, plaisant à lire, ironique, sans l’ampleur ni la poésie de Terminus radieux, mais un court roman qui donne un point de vue affectueux et presque malicieux sur tout son œuvre.

Au premier chapitre, Sam, le narrateur, se trouve dans un village sur lequel un avion déverse le napalm. Le feu s’apprête à tout envahir. Au moment de mourir, Sam se souvient de sa vie. À moins qu’il ne s’en crée une de toutes pièces.


Après tout, pour cet ultime pétillement d’agonie, plutôt que visionner le film de ma vie, cette suite apocalyptique que je connais par cœur et qui ne m’apportera aucun plaisir de découverte, autant composer un roman. Un petit roman hurlé en accéléré, à toute vitesse. À la va-vite.


Les chapitres suivants dressent le portrait de grand-mères et de tantes, légères et savantes, vivant dans la steppe après la dévastation du monde. Elles apprennent à Sam à vivre dans le feu. Sam dont l’âge est un mystère, entre 8 ans et plusieurs siècles, qui a survécu grâce à une sorte de coma, et dont on ne sait pas grand-chose des actes et des motivations. Il a l’air inoffensif, mais il peut être très inquiétant. Ces joyeuses tantes qui lui apprennent le sexe et le monde savent aussi comment entrer dans le feu et dans le monde des ténèbres. Le lecteur en vient à penser que grâce à leur savoir Sam pourra échapper au mur de napalm, avant de se rappeler qu’après tout il s’agit peut-être simplement d’une histoire. Le lecteur ne sait pas, alors il tourne la page suivante.

J’ai pris grand plaisir à lire ce roman qui, avec toute sa légèreté, laisse planer le doute sur l’existence même de cet œuvre romanesque. Mais tant qu’il reste une seconde, on peut encore largement imaginer tout un monde.

 

Mes tantes n’étaient nulle part. Je n’avais pas renoncé à les voir réapparaître. Elles s’en étaient allées d’une manière qui ne signifiait pas obligatoirement une fin tragique. De splendides femmes, qui se trouvaient à l’aise dans leur élément, onirique ou non, foulant le rêve et le noir avec une grâce incomparable. Courant à l’avant-garde du rêve et du noir. Je les avais vues se dissoudre dans le néant alors qu’elles conservaient le même rythme et la même aisance.

Soulages, plaque de cuivre d'une eau-forte, Rodez, musée Soulages.
 


Volodine est largement représenté sur le blog :

Écrivains : 1er billet et 2e billet : oui, lu deux fois !
Songes de Mevlido : un roman très réussi, qui campe l’univers de Volodine dans toute sa richesse - je vous recommande
Des anges mineurs
Frères sorcières
Lisbonne dernière marge un de ses premiers titres. Le langage y est un acte. Il y a des passages d’une grande poésie et beaucoup de mots inventés.
Les Filles de Monroe :
M
ême si la pluie tombe en rafales ou en fusillades, ce monde n’est jamais totalement effrayant. Il existe toujours une possibilité de se glisser dans les interstices de la pénombre (pénombre qui est beaucoup plus humaine que la lumière brutale).

Il y a aussi beaucoup de jeu avec le vocabulaire traditionnellement communiste, c'est toujours plein d'invention !

Terminus radieux : le long voyage de l’humanité, dans un bardo qui n’en finit pas. La monotonie des jours, des années et des siècles peut pourtant être interrompue par l’arrivée impromptue d’un individu ou d’un animal. Le lecteur se surprend à espérer que tout soit à nouveau possible.

Sous l'avatar de Manuela Draeger : KreeC’est un monde dévasté, où sont apparues de nouvelles espèces de plantes ou d’animaux, où les humains parlent un langage simplifié, où le chamanisme ne fonctionne plus très bien, mais reste vaguement utile. C’est une longue continuation et la mort n’est pas une fin. L’être humain montre une capacité d’adaptation sans limite, même dans sa version amoindrie ou éteinte. Un roman envoutant.

 


Volodine est le pseudonyme d’un écrivain, qui a plusieurs autres pseudonymes et qui construit un œuvre autour de cette constellation d’auteurs. C’est un point que l’on trouve en tête de la plupart des articles qui lui sont consacrés, mais que je ne mets pas en avant, sachant l’effet repoussoir de ce genre de propos soi-disant averti. Néanmoins, je reconnais aussi la cohérence d’un monde, créé par de simples mots.

Il est annoncé que ce Vivre dans le feu serait le dernier roman d’un ensemble, dont je n’ai lu que quelques titres. Quand le monde est sur le point de se consumer, on continue à vivre, dans le feu – et dans les mots.

Il y a un article du site En attendant Nadeau sur ce roman.




 

6 commentaires:

keisha a dit…

Noté le nom de l'auteur, mais jamais lu...

nathalie a dit…

@Keisha : en dépit d'une ardente propagande de ma part.

je lis je blogue a dit…

Je vois bien que le roman te tient à cœur et que tu aimes beaucoup son auteur mais j'ai l'impression que je n'arrivai pas à entrer dans son univers.

nathalie a dit…

@JeLisJeBlogue : oui j'avoue que c'est un des rares auteurs français contemporains qui me parle vraiment.

miriam a dit…

Je ne connais pas Volodine, essayer?

nathalie a dit…

@miriam : j'essaie de donner des pistes pour s'y repérer.