Radu Țuculescu, Mère-vieille racontait, parution originale 2006, traduit du roumain par Dominique Ilea, édité en France par Ginkgo.
Une relecture de village.
Le narrateur, qui est aussi l’auteur, rencontre mère-vieille, la grand-mère très âgée de sa petite amie, qui vit dans un village et qui raconte les histoires des uns et des autres.
Le soleil se retire derrière l’église, en nage, le visage congestionné par l’effort fourni au long de la journée. Il y a traînaillé avec un enthousiasme de plus en plus mitigé, signe que l’automne s’apprête à nous quitter.
Un hameau en train de perdre son souffle. Un hameau grouillant d’étranges histoires insensées, qui allaient me happer telle une toile d’araignée. Insensé n’est peut-être pas le mot le plus juste, mais, là, j’en ai nul autre qui me vienne à l’esprit, et du reste je tiens pour oiseuse, voire absurde, toute définition correcte des faits ou des récits.
Les couples qui se font et se défont, les femmes et le sexe des hommes, les hommes et l’alcool, les racontars et les légendes familiales, le tout étrangement nimbé de réminiscences de différentes lectures – mère-vieille a un peu lu Le Maître et Marguerite. Les habitants du village prennent peu à peu des dimensions mythiques, comme cette femme dont le métier est de castrer les porcs, cette autre femme qui est la sensualité même, cet étrange berger des abeilles, etc. Ce passé plein de sève et de vigueur sexuelle contraste fortement avec l’état présent du village, maisons vides et abandonnées, vieillards se traînant doucement dans des rues désertes. La vie semble être partie – quand ça ? Peut-être après cette fameuse noce qui dura trois jours et dont on attend le récit pendant tout le livre. Que l’on ne pense pas pour autant être tombé dans un livre bucolique. Le bourdonnement des abeilles au grenier laisse penser bien des choses au narrateur, qui se gardera soigneusement de les vérifier quand il en aura l’occasion. Et quand le voile se déchire, tout à la fin, la clarté est d’une brutalité insoutenable.
Un grand plaisir de relecture.
Camille Claudel, Les Causeuses, 1893 plâtre Roubaix Piscine
C’est au détour de ce paragraphe, à la centième page, que le lecteur comprend que ce village est situé dans un entre-deux, entre la vie et la mort, entre la réalité et la fiction, bien sûr, mais aussi, à la frontière de deux langues.
De fait, le narrateur invente lui aussi, et vous ne serez pas étonnés que le village se transforme en une peinture de Chagall.
Mon premier billet. Et l’avis de Miriam.
j'ai un peu de mal avec ce genre de récit, mais je me soigne alors je note
RépondreSupprimerTu as titillé ma curiosité et je suis très tentée par la lecture de ce roman. Deuxième auteur d'Europe de l'Est en quelques jours... tu poursuis l'ancien Challenge du Mois de l'Europe de l'Est ?
RépondreSupprimer@Dominique : tu es libre !
RépondreSupprimer@JeLisJeBlogue : oui exactement, je garde mes habitudes. Encore deux billets la semaine prochaine.
cela m'intrique aussi! A voir!
RépondreSupprimer@Eimelle : cela peut te plaire, c'est original.
RépondreSupprimerDeux lectures enthousiastes et je vois que tu as particulièrement aimé que le soleil, en nage, le visage congestionné par l’effort fourni au long de la journée, se soit retiré derrière l’église!
RépondreSupprimer@Passage : Oui c'est amusant quand je reprends la même citation à plusieurs années d'intervalle. Celle-ci est quand même parlante.
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