Raymond Chandler, Les ennuis, c’est mon problème, intégrale des nouvelles, édition Omnibus (plusieurs traducteurs).
C’est un grand plaisir de lecture, même si je me dois de préciser : ancien alcoolique, s’abstenir. Tout comme les anciens fumeurs. Et puis faut aimer le viril.
Mais vraiment, quel bonheur de se plonger dans cette écriture caustique et dans ces histoires de meurtres et d’escroquerie bien alambiquées.
Je préfère de beaucoup cette histoire-là. Je me demande si je pourrai la faire avaler.
Il ne s’agit pas réellement de nouvelles, mais plutôt de petits récits d’environ 50 pages, histoires majoritairement policières, en général sur la côte ouest des États-Unis, résolues par un grand privé à la mâchoire carrée. Je me demande à quoi tient leur réussite. La résolution en est le plus souvent incompréhensible, d’autant que le héros s’applique à proposer une explication qui convienne à son client, une autre à la police, encore une autre pour un vieil ami, etc. La vérité ici se dérobe et nous restons seulement avec un goût de malaise un peu gluant. Les gens bien sont rares dans ce monde-là. D’ailleurs le client du détective est lui-même souvent douteux (le héros est un privé, pas un salarié d’une agence) et personne n’est vraiment innocent.
- Si l’histoire doit être longue, on va boire un coup.
- Je ne bois jamais avant le coucher du soleil. Comme ça, on ne risque pas de mal tourner.
- Dur pour les Esquimaux, fis-je. Surtout en été.
C’est un monde viril, sexiste, raciste, homophobe et violent (le lien avec les films de cow-boys est évident). Le style d’écriture, sobre et ironique, caustique, contraste d’ailleurs avec la brutalité de ce qui est raconté. Il y a là beaucoup d’humour.
J’avoue avoir passé quelques nouvelles quand même. Certaines offrent la particularité de constituer des réductions des romans. Je me rends compte que ces courts récits sont davantage caricaturaux que les romans parce que tout y est plus concentré (même nombre de morts et autant de whisky que dans un texte cinq fois plus long), à la fois plus noir et plus ironique.
J’entrepris un inventaire attentif de mes sensations. J’avais le ventre noué et douloureux, la mâchoire sans doute enflée d’un côté. Mis à part cela, je n’avais pas l’impression d’être abîmé outre mesure. Je me levai. Une douleur vivre traversa mes temps de part en part. Je n’en tins pas compte et marchai d’un pas ferme vers la bouteille sur la table. Je la portai à mes lèvres. Une bonne rasade de ce liquide incendiaire me requinqua immédiatement. Je fus gagné par une humeur joyeuse et primesautière, prêt à me lancer à l’aventure.
Crécy, Hommage à Berenice Abbott : New York, sérigraphie 2009 |
C’est cette époque où un homme au fait des usages est capable de connaître la couleur de cheveux d’une femme simplement à partir du rouge à lèvres qu’elle porte (parce qu’il y a des couleurs qui ne vont pas aux blondes, figurez-vous) (tout un monde).
Le portier du Kilmarnock mesurait un mètre quatre-vingt-dix. Il était vêtu d’un uniforme bleu pâle et ses gants blancs lui faisaient des mains énormes. Il ouvrit la portière du taxi jaune avec la douceur d’une vieille fille caressant son chat.
C’est le début d’une des histoires (avouez que ça, c’est de l’évocation)
J’ai un petit faible pour « Fusillade au Cyrano » : à la première page le détective privé trouve une blonde venant d’être assommée dans un couloir d’hôtel. Il la ranime avec du whisky, l’embrasse de force et, cinq ou six meurtres plus tard, elle est conquise et rêve de lui en s’endormant.
J’ai besoin d’un homme assez beau gosse pour entrer en relation avec une fille capable de reconnaître la classe et assez coriace pour affronter une pelle mécanique. Il me faut un gars qui sache séduire, causer comme Fred Allen, mais en mieux, et qui pourrait se prendre un camion à bière sur le crâne en pensait que c’est jolie petite starlette qui lui caresse les cheveux avec un bretzel.
Mon avis, c’est que tout a déraillé quand les mecs se sont mis à prendre ce modèle au sérieux, au lieu de s’inspirer de l’humour et de l’intelligence et de la sobriété élégante de cette écriture.
Voici encore un bon paquet de bonnes nouvelles pour l’amie Je lis, je blogue.
Bon, là, je suis sûre d'en avoir lu! Faut aimer le viril (et ne pas prendre tout ça au premier degré, je suppose?); l'histoire du rouge à lèvres, oui, toute une époque...
RépondreSupprimerAu 3e degré, ça me semble bien.
SupprimerTon enthousiasme est communicatif. Merci pour cette proposition
RépondreSupprimerTu es super rapide ! Bon tu as vu, déjà 2500 pages de nouvelles.
SupprimerJ'ai cru l'espace d'un instant avoir déjà lu cet auteur, mais non, je confonds avec l'autre Raymond...
RépondreSupprimerMoi aussi je confonds les deux, c'est pour cela que j'ai relu les deux, pour mieux les identifier.
SupprimerIl faut en effet savoir prendre de la distance et replacer les textes dans leur contexte. Je vois parfois des blogueuses véhémentes qui lisent à l'aune de leurs préjugés actuels et ne veulent plus jamais lire ces sales sexistes et même plus d'auteurs hommes, c'est assez désolant...
RépondreSupprimerA contrario c'est important de dire clairement ce qu'il en est. Et selon le moment où on le lit et le vécu de chacun.e, je comprends que l'on puisse avoir une réaction viscérale de rejet.
SupprimerIl y a des scènes très gênantes.