La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



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mercredi 18 mai 2022

Se tromper de chemin c’est rejoindre la neige.

 Federico García Lorca, "Gacela de la terrible présence", Divan du Tamarit traduit par Claude Couffon et Bernard Sesé, 1936.

 

Je veux que l’eau demeure sans lit.

Je veux que le vent demeure sans vallées.

 

Je veux que la nuit demeure sans yeux

et mon cœur sans la fleur de l’or ;

 

que les bœufs parlent aux grandes feuilles

et que le ver de terre se meure d’ombre ;

 

que brillent les dents de la tête de mort

et que la jaunisse inonde la soie.

 

Je peux voir le duel de la nuit blessée

qui lutte enlacée avec le midi.

 

Je résiste au couchant de vert poison

et aux arcs brisés où souffre le temps.

 

Mais n’éclaire pas ta nudité limpide

comme un cactus noir ouvert dans les joncs.

 

Laisse-moi dans une angoisse de planètes obscures,

mais ne me montre pas ta hanche fraîche.

 


Je suis en vacances, alors je vous laisse en poésie (avec une image d'une réalisation de Gaudí). Et avec un poème espagnol en l'honneur du mois espagnol de Sharon.


mercredi 11 mai 2022

Personne ne dort dans le monde.

 Federico García Lorca, "Danse de la lune à Saint-Jacques", Six poèmes galiciens traduit par André Belamich. 1935

 

Quel est ce galant tout blanc ?

Regarde comme il frissonne !

 

C’est la lune qui danse

Sur la Grand-Place aux Morts.

 

Regarde son corps transi

noir de morsures et d’ombres.

 

Mère, la lune danse

sur la Grand-Place aux Morts.

 

Qui blesse un poulain de pierre

aux portes mêmes du songe ?

 

C’est la lune ! C’est la lune

sur la Grand-Place aux Morts !

 

Qui regarde à la fenêtre

avec des yeux pleins de brume ?

 

C’est la lune ! C’est la lune

sur la Grand-Place aux Morts !

 

Laisse-moi mourir dans mon lit.

Je rêverai de fleurs d’or.

 

Mère, la lune danse

sur la Grand-Place aux Morts.

 

Ah, ma fille, l’air du ciel

m’a rendue toute blanche.

 

Ce n’est point l’air, c’est la triste lune

sur la Grande-Place aux Morts.

 

Qui brame avec ce plaintif

meuglement de bœuf énorme ?

 

Mère, c’est la lune, la lune

sur la Grand-Place aux Morts.

 

Oui, la lune, la lune

toute couronnée d’ajoncs

et qui danse, danse, danse

sur la Grand-Place aux Morts.


Je suis en vacances, alors je vous laisse en poésie (avec une image d'une réalisation de Gaudí). Et avec un poème espagnol en l'honneur du mois espagnol de Sharon.

lundi 19 octobre 2020

La rose ne cherchait pas l’aurore.

 Federico García Lorca, "L’Aurore", Poète à New York, 1930, traduit par Pierre Darmangeat.

L’aurore de New York

a quatre colonnes de vase

et un ouragan de noires colombes

qui barbotent dans l’eau pourrie.

 

L’aurore de New York gémit

dans les immenses escaliers,

cherchant parmi les angles vifs

les nards de l’angoisse dessinée.

 

L’aurore vient et nul ne la reçoit dans sa bouche

parce qu’il n’y a là ni matin ni possible espérance.

Parfois les pièces de monnaie en essaims furieux

percent et dévorent des enfants abandonnés.

 

Les premiers qui sortent comprennent dans leurs os

qu’il n’y aura ni paradis ni amours effeuillées ;

ils savent qu’ils vont à la fange des nombres et des lois,

aux jeux sans art, aux sueurs sans fruit.

 

La lumière est ensevelie sous les chaînes et les bruits

en un défi impudique de science sans racines.

Il y a par les faubourgs des gens qui titubent d’insomnie

comme s’ils venaient de sortir d’un naufrage de sang.




samedi 16 février 2019

Une nuit de vitres et de menottes glacées.

Federico García Lorca, Poète à New York, traduit par Pierre Darmangeat, écrit vers 1930.

1910

Ces yeux, les miens, de mil neuf cent dix
n’avaient pas vu enterrer les morts
ni la foire de cendre de qui pleure au petit jour,
ni le cœur qui tremble, traqué comme un petit cheval de mer.

Ces yeux, les miens, de mil neuf cent dix
avaient vu le mur blanc où urinaient les petites filles,
le mufle du taureau, le champignon vénéneux
et une lune incompréhensible qui éclairaient les coins
les morceaux de citron sec sous le noir dur des bouteilles.

Ces yeux, les miens, sur le cou du poney,
sur le sein transpercé de sainte Rose endormie,
sur les toits de l’amour, pleins de gémissements et de mains fraîches,
dans un jardin où les chats mangeaient les grenouilles.

Grenier où la vieille poussière agglutine statues et mousses,
boîtes qui gardent le silence de crabes dévorés
à l’endroit où le rêve se heurtait à leur réalité.
Là s’ouvrirent mes yeux d’enfants.

Ne me demandez rien. J’ai vu que les choses 
quand elles cherchent leur cours ne trouvent que leur vide.
Il y a une douleur de creux dans l’air inhabité
et dans mes yeux des créatures vêtues, sans nudité !

mercredi 13 février 2019

Ô ma voix libérée qui me lèche les mains.

Federico García Lorca, Odes, traduites par André Belamich, 1928.

Ode au Saint Sacrement de l’autel1. Exposition

Les femmes psalmodiaient le long du mur figé
quand je te vis, Dieu fort, vif dans ton Sacrement,
palpitant et tout nu comme un enfant qui court
poursuivi par les sept taurillons capitaux.

Et tu étais vivant, mon Dieu, dans l’ostensoir.
Lanciné par ton Père d’aiguilles de feu.
Battant comme le pauvre cœur de la grenouille
que les médecins mettent dans un bocal de verre.

Pierre de solitude où gémissent les herbes 
et où l’eau sombre perd ses trois modulations,
on dresse ta colonne de nard couvert de neige
sur un monde de roues et de phallus en marche.

Je regardais ta forme délectable flotter
parmi la plaie des huiles et le linge d’agonie,
les yeux à demi clos pour diriger leur doux 
tir sur ta cible d’insomnie sans oiseau noir.

C’est ainsi, Dieu ancré, que je voudrais t’avoir.
Tambourin de farine pour le nouveau-né.
Brise et matière unies dans l’expression exacte
pour l’amour de la chair qui ne sait pas ton nom.

Oui, ainsi, forme brève aux rumeurs ineffables,
Dieu dans les langes, Christ éternel et minuscule,
répété mille fois, mort et crucifié
par l’impure parole de l’homme en sueur.

Les femmes psalmodiaient sur le sable sans nord
quand je te vis présent dans ton saint Sacrement.
Cinq cents séraphins d’encre et de splendeur goûtaient
sous la coupole neutre au raisin de ta grappe.

O Forme sanctifiée, bissectrice des fleurs
où tous les angles prennent leur jour définitif,
où le nombre et la bouche construisent un présent
corps de lumière humaine aux muscles de farine !

O Forme limitée pour exprimer concrètes
la foule des lumières et la clameur des voix !
O neige couronnée de glaçons de musique !
O flamme crépitant dans les veines de tous !