La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



samedi 9 mai 2020

La Crucifixion

Sur ce blog, depuis quelques semaines, un parcours en beaux-arts au fil des étapes de la Passion du Christ. Aujourd’hui, la Crucifixion.
Nous sommes le vendredi après-midi. Jésus est crucifié*, en même temps que deux larrons (un bon et un mauvais), en présence de quelques femmes, mais en l’absence de ses disciples.

Une pancarte, pardon un titulus, est fixée sur la croix avec l’inscription « Jésus roi des Juifs », INRI, acronyme du latin Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum. Le panneau est très souvent visible dans les peintures.
La page Wikipedia contient des indications techniques sur la taille de la croix et sur l'utilisation (ou non) des clous. Dans l'iconographie, les clous sont indispensables si on veut que Jésus puisse ensuite porter les stigmates. Néanmoins, les condamnés étaient plutôt liés à la croix.
Les soldats se partagent ses vêtements en les jouant aux dés.
Il y a l’épisode dit du Coup de lance : après la mort de Jésus, un des soldats (un certain Longin paraît-il) lui perce le côté avec une lance et il en sort du sang et de l’eau. Cette lance qui ne cesse jamais de saigner est détenue avec le Graal dans les légendes arthuriennes. Et Longin se serait converti après la mort de Jésus.
Joseph d’Arimathie, un notable, recueille le sang de Jésus dans un vase, le Saint Graal, toujours d’après les légendes arthuriennes – mais nous savons bien qu’il s’agissait d’un bocal à anchois, car nous avons vu Kaamelott. Joseph d’Arimathie, encore lui, réclame le corps de Jésus à Ponce Pilate pour lui procurer une sépulture (pour la suite de l’histoire il est en effet essentiel que le corps de Jésus ne rejoigne pas la fosse commune).

* La version où le héros entonne Always look on the bright side of life est légèrement apocryphe.

La version baroque de Hyacinthe Rigaud (1695, Musée Fabre)
Notons que Rome condamne à être crucifié, c’est-à-dire au crucifiement, mais que le crucifiement de Jésus prend le nom particulier de Crucifixion.

En peinture, deux grands axes : la toile qui représente un grand événement cosmique, le sacrifice d'un homme pour sauver l'humanité, la fin du monde (le fracas de Tintoret par exemple) ou la toile qui représente la mort d'un homme seul, abandonné de tous, y compris de son père (la sobriété de Velazquez par exemple). Entre les deux... tout est possible.

On commence juste avant la Crucifixion elle-même, avec ce Partage de la tunique du Christ, peint par Greco en 1577 pour la sacristie de la cathédrale de Tolède. Greco (et son atelier) a peint plusieurs versions de cette toile que vous pouvez donc aussi voir, avec des variantes, à Lyon et à Budapest. La tunique pourpre, réservée aux empereurs, dont Jésus a été revêtu par dérision, constitue véritablement un emblème royal, mais son reflet rouge dans la cuirasse du soldat est sinistre. Vous voyez les bras qui se tendent pour le dévêtir, les trois Marie en bas à gauche et la croix en train d'être préparée, le tout sous un éclairage dramatique, avec des couleurs éclatantes (ce jaune et ce mauve au 1er plan !).


Pas de Velazquez, mais le Christ sur la croix d'Alonso Cano (1640, Academia Bellas Artes de Madrid) : magnifique camaïeu de bruns, le corps du Christ constituant la seule source de lumière. Un corps saignant mais intact et magnifié. Au bas de la croix, on aperçoit le crâne d'Adam qui, dit-on, se trouverait au Golgotha.
J'ai toujours trouvé les statues des Christ espagnol extrêmement frappant (ici celle de l'église San Antonio de los Alemanes à Madrid) : des sculptures en bois peintes, avec des détails réalistes et franchement effrayantes.


Crucifixion d'Ugolino di Nerio (1330, tempera sur bois, Thyssen Bornemisza)


Le Calvaire de Ludovico Urbani (1466-1493, Petit palais d'Avignon)


La Crucixion de Quentin Metsys (1515 Ottawa).

Je rassemble ces panneaux parce que j'y vois ce qui me plaît le plus dans ces peintures : la représentation des proches de Jésus. Même si selon les Évangiles, seules les femmes étaient présentes, saint Jean y est souvent représenté (Keisha me fait remarquer qu'au moins un Évangile mentionne Jean, donc j'ai dû me tromper). Ugolino di Nerio place la Vierge et Jean, dans un beau manteau rose, en train de se tordre les mains, le visage sobrement affligé. Ludovico Urbani représente la Vierge évanouie dans les bras de Marie-Madeleine et un Jean superbe, vêtu de rose, de bleu et d'or, en figure archétypale de la tristesse, du chagrin et de l'abattement. Il a les cheveux dorés comme un ange. Quentin Metsys sépare nettement les trois figures: Jean en rouge et Marie-Madeleine, le corps arqué. Ce sont souvent ces personnages qui portent la dramatisation par leurs gestes ou leurs postures expressives.

C'est très évident dans cette Crucifixion de Rogier van der Weyden (1460, musée de Philadelphie). Ici, point de grands effets, genre ciel d'orage et lumière surnaturelle. Un mur nu et le rouge du sang et des empereurs suffisent. D'un côté, la croix (avec les os du Golgotha) avec une grande sobriété dans les effets, et de l'autre, Marie et Jean (dont on ne sait pas bien comment ils peuvent tenir debout). Le spectateur est invité à méditer devant la mort de Jésus et à partager la douleur de la Vierge.

Une crucifixion qui dénote : celle de Grünewald (1512), dans l'immense retable d'Issenheim conservé à Colmar : ici pas de corps lumineux ou glorieux. Les traces de l'agonie sont visibles (regardez les mains qui se tordent dans un spasme et les pieds complètement déformés). La croix est constituée de malheureux bouts de bois qui ploient sous le poids de Jésus (tous les péchés des hommes, c'est lourd). La peau porte les traces du martyre. La détresse des autres personnages s'exprime là encore par des mouvements du corps expressifs (et j'ai coupé saint Jean-Baptise à droite !).


Je ne résiste pas au plaisir de vous montrer cette image (tirée de Wikipedia) : Consummatum est, "Tout est accompli", dernières paroles de Jésus, et titre de la toile de Gérôme (1867, Musée d'Orsay). Les trois hommes sont morts, la foule s'en va et rejoint la ville de Jérusalem que l'on aperçoit à l'horizon, c'est le soir. C'est fini.

La Passion s’arrête ici... ou plus tard, avec la mise au tombeau.


(il est trop long ce billet, non ?)

Je vous ai montré des natures mortes (XVIIe et XIXe siècles) en prenant prétexte du Carême. Puis vous avez eu les RameauxLa Cène et le Lavement des pieds. Puis, la nuit au Jardin des Oliviers et l'arrestation du Christ. Le procès de Jésus (flagellation et couronnement d'épines). L'heure du Ecce homo. La montée au Calvaire ou portement de croix.
La semaine prochaine... Jésus sera encore mort, mais son corps fera l'objet de tous nos soins.

Point Confi... Déconfinement : Mon département est vert et avec une amie on s'est dit "à lundi". Yououu le soleil brille, au moins un peu.

10 commentaires:

  1. j'aime ce tableau consummatum est, je ne connaissais pas ce thème. En lien avec Es ist vollbracht, du génial Bach, complètement dans le thème de ton billet.
    Dis donc, tu es sûre qu'il n'y avait pas de disciples? Et quand Jésus dit Femme voici ton fils, il est où, Jean?

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    1. Ah la BO de l'histoire est extraordinaire. Stabat mater, aussi.
      Bonne remarque concernant Jean et je n'arrive plus à retrouver ma source concernant les femmes... Bon, on peut toujours conclure que les évangiles se contredisent entre eux ! Mea Culpa.

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  2. Je me suis replongée dans les textes et c'est exactement cela, ils ne disent pas tous la même chose : chez Matthieu et Marc, fuite des disciples lors de l'arrestation (sauf Pierre qui suit de loin), absence au moment de la mort ; chez Luc, rien sur la fuite, et les amis présents au loin avec les femmes ; chez Jean, rien sur la fuite, et avec les femmes "le disciple que Jésus aimait", Jean a priori.

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    1. Genre, y a que Jean qui dit que Jean était là et que Jésus lui a dit un truc spécial ? Ahhhh
      Je me contente de Wikipedia qui permet assez bien la confrontation entre les différentes sources. Il y a beaucoup de choses qui sont dans la tradition mais pas dans les Évangiles. Évidemment les peintres suivent surtout la ou les traditions...

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  3. Sachant que Jean n'est pas vraiment Jean... ça donne envie de revoir la série Corpus Christi !

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    1. Oh ça j'avais bien noté ! Tous ces gens, Jean, Jacques, Marie... mais selon que l'on adopte le point de vue historique, théologique, mythologique ou historien de l'art (et il faudrait varier selon les époques, car le Moyen Âge et la Contre Réforme ne suivent pas les mêmes traditions) les vérités sont contradictoires. C'est ça qui est bien.

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  4. j'ai bien aimé ce parcours
    j'ai lu il y a quelques mois un livre d'art sur les peintres et la bible que j'avais beaucoup aimé, je l'ai emprunté en bibli et je n'ai plus la référence mais il était d'une grande richesse

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    1. Il y a pas mal de beaux livres sur le sujet. Ce que j'apprécie pour le moment c'est de rapprocher des images très différentes, des vitraux du Moyen Âge tardif aux sculptures de la Sagrada familia.

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  5. Je suis allée regarder les textes (avant, je disais juste de mémoire). C'est normal que des témoins n'aient pas la même vision (d'ailleurs c'est à savoir quand il s'agit d'une affaire grave) car on est différents dans nos ressentis et nos personnalités. Jean était là, donc il se souvient d'un truc précis quand il relate. Pareil pour celui qui s'enfuit sans vêtements, on pense qu'il s'agit de Marc, il n'y a que lui qui en parle. En fait on se souvient mieux de ce qui nous a frappés.
    Une fois j'ai eu à donner des détails sur des gens qui avaient essayé de m'escroquer, j'ai été incapable d'en donner une description physique... mais en revanche j'ai pu décrire leur véhicule et donner le numéro (presque sans erreur)

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    1. La mémoire joue des tours, surtout dans le cas d'un événement qui a donné lieu à des tas de récits, déformations, transformations, oublis, etc. Encore une fois, ce n'est pas forcément ce qui importe du point de vue des peintres, qui sont loin d'avoir tous lu les évangiles.

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