La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 30 décembre 2013

Tout ce qui s’accorde à la pensée de Mao Zedong est juste. Tout le reste est déraisonnable.


Harbin 1966 Séance d'autocritique
Li Zhensheng, Le petit livre rouge d’un photographe chinois, Phaidon, 2003. Traductions de Jiang Rong et Sabine Boulongne

Ce livre accompagnait une exposition de photos qui s’était tenue à Paris il y a quelques années.
Li Zhensheng est photographe chinois, il a vécu et documenté la Révolution culturelle en 1966. Ce livre rassemble son témoignage et ses photographies, celles parues dans la presse du temps et celles qu’il a cachées car montrant une face négative de l’événement. C’est vraiment intéressant. Si vous avez lu les romans de Qiu Xiaolong, vous avez une idée des traumatismes vécus par la société chinoise. Mais il s’agit ici d’un récit détaillé. Aucun Chinois n’a pu passer à côté de cet événement, chacun a été tour à tour victime ou bourreau, tout simplement parce qu’il n’était pas possible de faire autrement. Li Zhensheng raconte sa façon de travailler, ses stratégies de survie, les astuces pour traverser les séances d’autocritiques et pour, malgré tout, faire carrière. Il y a aussi des considérations matérielles sur la prise de photo (le rationnement des pellicules par exemple). 
Le livre donne enfin une vision chinoise sur la politique du pays et permet de voir d’où vient la Chine.


Harbin 1966. Des jeunes mariés décorent leur chambre à coucher avec des photos et citations de Mao. Critiqués par la suite pour avoir fait l’amour sous les yeux de leur leader, ils ont affirmé qu’ils éteignaient toujours la lumière.


Province du Heilongjiang, 1969. Soldats et pilotes de l’Armée Populaire de Libération étudient le Petit Livre rouge.


Commune de Chaoyang, 1974. Les équipes de travailleuses. Le sous équipement technique est affligeant. En 1974, pas de pelleteuse pour les travaux d’irrigation ou de mise en état des sols. Des pioches, des charrettes tirées par des chevaux ou des boeufs, les brouettes menées par les femmes...

Ce livre force à appréhender avec précaution cette période mal connue. Certaines photos relèvent de la propagande. Mais c’est le regard porté dessus qui a changé. Les photographies de milices d’enfants ne nous enthousiasment plus, au contraire. Celles illustrant le culte de la personnalité de Mao sont du même ordre : positives dans un contexte, négatives dans un autre. D’autres ont été tirées à partir de négatifs restés cachés car illustrant les violences des événements.

Dernier billet de 2013.





samedi 28 décembre 2013

Humeur du samedi qui se mange


Cela fait longtemps que les choses de la table n’ont pas été abordées ici.
Aujourd’hui, une entrée très simple, bonne et jolie.

Un bon avocat.
Dans un ramequin, confectionnez un mélange de crevettes coupées en morceaux, tomates séchées également coupées, coriandre émincée, huile d’olive (ou l'huile des tomates), quelques gouttes de citron vert.
Garnissez l’avocat. Une crevette pour la déco.
Et voilà !



jeudi 26 décembre 2013

Nous nous enfoncerons dans l’ambre de l’automne.


Jãnis Rokpelnis, L’Aborigène de Riga, traduit du letton par Alain Schorderet, édité en France chez Grèges.


je me rappelle les vaches
comme des poignées dans les prés
avec quoi l’on pouvait
ouvrir les portes
et la face frôlait de la terre
l’odeur bienveillante
à présent les portes sont blanches
sans poignées
parfois seulement les gonds grincent
comme des cloches
même ici
dans le matin lointain

Je vous avais cité une première fois ce recueil la semaine dernière.

mardi 24 décembre 2013

C’est, paraît-il, Noël.

Couronne de Noël réalisée l'année dernière sous la houlette de Syl.

Une fois n’est pas coutume, je vais un peu parler de moi (à force de fréquentations, je fais comme les hommes de lettres du XVIIIe siècle et me justifie quand il s’agit d’énoncer un avis personnel). L’année 2013 a été mauvaise. Exécrable. Une horreur.


Oui, je sais, j’ai emménagé dans un bel appartement ensoleillé avec un adorable Moustachu. Mais la santé de ce dernier, tant physiquement que psychologiquement, est bien fragile et il a fallu passer du temps en hôpital et en clinique psychiatrique. L’avenir est bien incertain. Difficile de savoir ce que ce « nous » va devenir.
Je me suis lamentée ici souvent d’être chômage. Il faut reconnaître qu’après une année vide et désespérante, de petites lumières semblent s’allumer de ci, de là. C’est déjà cela.
Enfin, mon père est mort, il y a deux semaines, après une fin de vie assez malheureuse. Mais c’est un nouveau vide.

Le ficus déguisé en sapin de Noël. Un koala est caché dedans, sauras-tu le retrouver ?

Vous ne savez pas le pire ? Je n’aime pas les gens qui se plaignent… Un comble ! Changeons donc de ton… J’espère qu’il ne va rien se passer du tout en 2014. Mon cerveau a besoin de repos.
Heureusement il reste les livres qui ne trahissent jamais et m’apaisent (voir ci-dessous la liste d’acquisitions), les amis qui sont toujours plus présents, même quand je suis pénible. Je n’ai jamais été déçue par la chaleur de l’amitié, saviez-vous ça ? En voilà une vraie bonne nouvelle !

Avec ça, comme je suis une fille qui a de la chance (où sont les apparences ?), après avoir gagné une box Explorotalogy grâce à Lire, relire, ne pas lire, j’ai remporté une thé box délicieuse grâce à Sophie.

Bref, bon bout d’an. Et continuons à lire et à manger.

Nos belles chaussettes attendent les cadeaux !

Les nouveautés :
Virginia Pésémapéo Bordeleau, Ourse bleue (on part chez les Indiens du Québec)
Alice Munro, Du côté de Castle Rock pour me joindre au Club des Lectrices de janvier
Anne Hébert, Les Fous de Bassan  (oh, encore un auteur québécois après Michel Tremblay)
Charlotte Brontë, Le Professeur  car je poursuis une logique
Loisel et Trip, Le Magasin général, tome 1. Vous voyez vers où se dirige ce blog… D’ailleurs je me suis aussi acheté le calendrier 2014 aux couleurs du Magasin général.
Et Métaphore m’a tentée, j’ai craqué pour le cahier de coloriage pour adulte de Johanna Basford !
J. H. Riddell, Une terrible vengeance et Amelia B. Edwards, Dans le confessionnal : deux recueils de nouvelles fantastiques écrites par des femmes à l’époque victorienne (cette description justifie tout).
Nicolas de Crécy, Période glaciaire parce que l’amie Ysabel l’avait vanté.
Et des livres d’histoire de l’art mais ça ne compte pas pareil.

De quoi m'occuper.


 Et ma bibliothèque s'est enrichie de cette édition très spéciale de Mrs Dalloway, selon un modèle qui nécessite encore d'être amélioré.






dimanche 22 décembre 2013

Humeur en noir et bleu


Picasso, Le Minotaure, 1935, tapisserie de laine et soie, Antibes, musée Picasso

Dernier week-end au Mucem. Après le Bazar du genre, restez à l’étage pour visiter la seconde exposition temporaire.

Les ¾ de l’étage sont en effet occupés par l’autre exposition (vous avez dit disproportion ?) Le Noir et le Bleu qui effectue une lecture historique de la Méditerranée au travers de deux pôles : le bleu des voyages et de la découverte, le noir de la guerre, de la colonisation et de l’esclavage. Là encore, le discours est un peu bateau (c’est d’ailleurs quelquefois redondant avec l’exposition permanente), mais les objets sont là encore très bien choisis.


Pendant la Seconde guerre mondiale, la destruction de la vieille ville à Marseille après la rafle les habitants (juifs, italiens, gitans et autres indésirables). Cette destruction a été opérée à la demande de l’occupant allemand, par les autorités françaises, pour le bénéfice des promoteurs marseillais.
Un épisode de la Guerre d'Algérie


Un tableau à la la gloire du Duce : Le grand nautonnier d'Ernesto Michahelles (dit Thayaht) de 1939.
Suivi d'une affiche de propagande détournée pour dénoncer les crimes de l’Italie en Éthiopie : Monument au Duce en Abyssinie par John Heartfield en 1936.



Ce très étonnant registre des indésirables du Caire colonisé. Halte aux prostituées, aux bolcheviks et autres gens bizarres !


Enfin, Beyrouth, les ruines de la guerre, photographiées par Gabriele Basilico en 1991.




Si, avec tout ça, vous ne venez pas à Marseille....


vendredi 20 décembre 2013

D’un coup de sa patte avant gauche, la plus puissante chez les ours qui, comme tout le monde le sait, sont tous gauchers, il défonça la porte.


Jørn Riel, Le Canon de Lasselille et autres racontars, traduit du danois par Susanne Juul et Bernard Bonnet, paru en 1988, traduit en 2001.

Riel est un auteur connu pour être celui qui raconte des histoires sur le Groenland d’il y a un certain temps, quand on se déplaçait en traîneau à chiens et que les « tinettes » étaient un objet de rare luxe, mais c’est le premier livre de lui que je lis.
Je suis ravie de ma lecture, c’était distrayant et dépaysant et j’en avais bien besoin à ce moment. Les histoires se déroulent dans une station de chasse, ravitaillée une ou deux fois par an par le navire de la « Compagnie », l’action se déroule surtout entre une douzaine d’hommes, des chasseurs qui, pour être frustres, n’en ont pas moins des désirs enfouis (écrire une épopée, avoir un animal familier, posséder un canon…). La nouveauté est que cette année, le directeur a décidé de faire venir des touristes dans ce Groenland – ça ne se passera pas tout à fait comme prévu. Le recueil s’ouvre avec un adorable veau bœuf musqué, Alice, lequel s’avérera être un beau taureau.
Un livre où on parle danois, esquimau, un patois groenlandais et islandais.

Photo piquée chez Dinosoria
Alice grandit. Et grandit. Elle devint plus grande et plus large que le commun des jeunes vaches, et au début Lodvig pensa que c’était à cause du régime gras. Et c’est seulement quand ses cornes se rassemblèrent en une cuirasse impressionnante et qu’elle atteignit un mètre cinquante de hauteur au garrot qu’il lui vint à l’idée qu’elle n’aurait peut-être jamais dû se nommer Alice. Lodvig n’avait jamais fait attention à ce qui se cachait derrière les longues franges de laine entre les pattes arrières, mais il se coucha un jour sous Alice pour vérifier. Et là, il découvrit certains accessoires qu’en aucun cas une Alice n’aurait dû arborer.






mercredi 18 décembre 2013

Ce qui fut dans le brouillard plongé...


Jãnis Rokpelnis, L’Aborigène de Riga, traduit du letton par Alain Schorderet, édité en France chez Grèges.

Au bord du lac

aux vagues non autorisées
l’accès au lac est interdit
une vague avec la dispense des averses cependant
se promène dans les prés

les barque flairent l’odeur de cette vague
et dans les cabanes se cabrent inquiètes
mais la vague fuit dans les champs de seigle
et débouche sur la grand-route


Parce qu'un peu de poésie, de temps en temps, pour faire une pause...

lundi 16 décembre 2013

Tout dans ce monde dépend du gouvernement.


Arthur Young, Voyages en France pendant les années 1787, 1788, 1789, paru en 1792, traduit par H. J. Lesage en 1882

Je vous préviens, j’ai été enthousiasmée par cette lecture (mais je vais essayer de rester sobre).

Young est un agronome anglais, agriculteur expérimentateur et voyageur observateur : il veut examiner l’état de l’agriculture dans divers pays et quadrille la France au cours de trois voyages. Nous lisons le journal d’un homme sympathique, d’un humour très pince-sans-rire, admirateur de Jean-Jacques Rousseau.
C’est un passionnant témoignage : l’état de l’agriculture d’un pays reflète sa richesse et Young note si les paysans vont chaussés ou pieds nus, si les chaumières ont des vitres, reflet de leur misère. Il fait le lien avec le mode d’administration et notamment le système féodal, critiquant férocement les seigneurs qui résident à la Cour, qui se détournent de leur domaine et n’ont pour agriculture que d’immenses forêts pour leurs chasses. Chaque paysan devrait pouvoir posséder sa terre. Il note de même l’état du commerce en mesurant le faible encombrement des routes, l’état des chemins, des transports, des auberges (déplorables) et conclut au faible développement économique de la France de la fin du XVIIIe siècle.

La campagne est déserte, ou si quelque gentilhomme l’habite, c’est dans quelque triste bouge, pour épargner cet argent, qu’il vient ensuite jeter dans les plaisirs de la capitale.

François Boucher, Passage de la rivière à gué, Saint-Pétersbourg, Musée de l'ermitage, M&M
Il y a peu de notes sur les villes. Il s’intéresse à leur activité économique (ports, industries) et Bordeaux, Le Havre le frappent particulièrement. En dépit d’une certaine culture artistique, en homme de son temps, il n’a aucun intérêt pour les villes médiévales (peu pratiques, pas rationnelles et sans hygiène) et ne loue que l’urbanisme moderne. Le seul point où l’on voit poindre le bout du romantisme est dans son appréciation des montagnes, des Pyrénées ou des volcans d’Auvergne, dont la vue l’impressionne.
Young écrit bien avant le tourisme et ne conçoit l’utilité économique de l’aménagement du paysage qu’en terme d’agriculture et de commerce : la terre doit nourrir le paysan, permettre de nourrir les villes à un coût correct et de permettre un commerce plus étendu (comme le vin et les parfums de Grasse). Le climat de la Provence le laisse donc sec, car peu propre à la culture.
C’est assez répétitif (c’est le principe d’un journal) mais les contemporains devaient s’intéresser à sa notation scrupuleuse des mérites et défauts respectifs de toutes les auberges. On voit d’ailleurs la façon de voyager propre aux gentilshommes de son temps : avec des lettres d’introduction pour rencontrer tel ou tel personnage. Avec la Révolution, c’est l’avènement de la bureaucratie et d’une classe d’hommes nouveaux exigeant le bon papier.

Quand il descend de son cheval, c’est pour rencontrer de nobles cultivateurs, des savants, des industriels ou toute personne chargée de l’aménagement d’une terre. Il prend beaucoup plus d’intérêt à la conversation de ceux qui ont une expérience pratique de l’agriculture et est plus sceptique avec ceux qui se contentent de la théorie. C’est un regard ironique sur la fameuse France des Lumières.

En bon anglais, il loue la libre industrie :
M. de la Livonière s’entretint longuement de mon voyage, qu’il loua beaucoup ; mais il lui sembla extraordinaire que ni le gouvernement, ni l’Académie des sciences, ni celle d’agriculture ne m’en payent au moins les frais. Cette idée est tout à fait française : ils ne comprennent pas qu’un particulier quitte ses affaires ordinaires pour le bien public sans que le public le paye ; et il ne m’entendait pas non plus quand je lui disais qu’en Angleterre, tout est bien, hors ce que fait le gouvernement.

Si l’Angleterre est généralement jugée supérieure pour son système politique garantissant les libertés, son développement économique des villes et des campagnes, le réseau de ses routes et de ses hôtelleries, ses chevaux et ses « commodités », la France l’emporte pour l’art de la peinture, du théâtre, le vin, la douceur des mœurs et l’ouverture d’esprit.

Fragonard, Le Taureau blanc à l'étable, avant 1765, Musée du Louvre, M&M

Le troisième et dernier voyage est particulièrement remarquable car il se déroule en pleine Révolution. Young se trouve à Paris en juin 1789 et il raconte particulièrement bien l’état d’esprit qui règne dans la capitale : l’effervescence des journaux, des cafés, des pamphlets, des conversations, le déroulement des débats dans les assemblées, les maladresses des uns, l’intransigeance des autres, avec le rôle des foules. Partant ensuite en province, il réalise que les journaux d’actualité sont peu présents dans les villes et qu’il est presque impossible de se tenir au courant des faits politiques. Il en est réduit aux lettres privées pour connaître l’actualité. Le contraste entre Paris et la province est saisissant. C’est ainsi que les rumeurs les plus alarmistes et les plus fantaisistes peuvent circuler, profitant de la peur et de l’ignorance dans lesquelles se trouvent les populations.

Il a alors souvent des difficultés à prouver son identité. J’ai été frappée du fait que puisque la population parle massivement patois, elle n’entend pas, au sens propre, son accent anglais et ne se rend pas toujours compte qu’il n’est pas français.

"La plus belle chose que j’aie encore vue à Paris, c’est la Halle aux blés, immense rotonde ; la couverture, entièrement en bois, sur un nouveau système de charpente, demanderait, pour en donner une idée, quelques planches accompagnées de longues explications ; la galerie a 150 pas de circonférence, par conséquent autant de pieds de diamètre : à sa légèreté, on la dirait suspendue par des fées. Des grains, des haricots, des pois et des lentilles sont emmagasinés et vendus sur l’aire centrale ; la farine est mise sur des plates-formes de bois dans les divisions qui entourent cette aire. On arrive par des escaliers tournants enlacés l’un dans l’autre, à de grandes salles pour le seigle, l’orge, l’avoine, etc. Le tout est si bien conçu et si admirablement exécuté, que je ne connais pas, en France ou en Angleterre, un monument qui le surpasse."

Vous l’aurez compris, ce n’est pas de la littérature mais un témoignage passionnant sur la fin du XVIIIe siècle français et sur les débuts de la Révolution française.

samedi 14 décembre 2013

Un samedi au Mucem (2e) : Galerie de la Méditerranée et Bazar du genre


Ce week-end, on entre à l'intérieur du Mucem.

Les collections du Mucem ont pour origine feu le musée des Arts et Traditions populaires dont les collections ont été scindées en trois : 
- les collections de préhistoire-anthropologie sont au Musée de l’homme (en travaux)
- la partie « exotique – nos anciennes colonies » sont au Musée du quai Branly en compagnie des objets de l'ancien Musée des Arts d'Afrique et d'Océanie
- et l’ethnologie de l’Europe, recentrée sur la Méditerranée, est à Marseille. À cela des dons, legs et diverses collectes se sont ajoutés pour former un ensemble des plus hétéroclites. 

Admettions que vous entriez au Mucem par le rez-de-chaussée.
Après avoir fait des centaines de photos de la ville et de la mer, vous ignorez superbement l’immense librairie et entrez bravement dans l’exposition permanente (en réalité de longue durée, elle sera là quelques années), qui est une sorte de galerie thématique sur la Méditerranée : l’agriculture, les céréales, l’eau, la civilisation urbaine, les monothéismes… C'est un peu bateau, mais le véritable point fort du musée se trouve dans ses collections. Une mention à ces chasseurs d’objets partis partout autour de la mer Méditerranée qui ont trouvé des raretés et des originalités. C’est un musée qui rassemble objets historiques (archives, photographies), œuvres d’art louvresques, œuvres d’art contemporain, objets relevant de l’ethnologie et ce rassemblement est très enrichissant. C’est cela la réussite du musée.


Une présentation bien faite de l’émergence de l’individualisme, avec l’art du portrait et la démocratie, autour de la naissance des villes.


Une évocation attendue des voyages et des mythologies marines. Ici une sirène fabriquée au XIXe siècle en Extrême-Orient à partir d'un poisson, d'un varan et d'un tas de trucs.



Une magnifique maquette de Jérusalem destinée aux pèlerins : elle représente les lieux saints du christianisme tout en se présentant comme un riche reliquaire. Elle date du XVIIe siècle, est en bois, ivoire et nacre.

Il y a également une partie sur le cirque et les arts forains au Fort Saint-Jean.

Point : la tablette pour les enfants est très bien faite d'après Maxime, 6 ans et demi.


Au bazar du genre (l'affiche)
À l’étage, les expositions temporaires qui finissent en janvier (bougez-vous donc pour y aller).
La plus petite : Au bazar du genre qui, comme son nom l’indique, se penche sur la question des sexes, des sexualités et des genres en mettant un peu le souk dans les certitudes établies : affiches, films, prothèses de toutes sortes, grigris divers... Il y a beaucoup d’objets présentés dans un trop petit espace, ce qui est problématique à visiter. Le charme de cette visite vient aussi des grognements mécontents de pas mal d’hommes alors que la majorité des visiteurs s’amuse bien !


En Israël hommes et femmes font leur service militaire. Une fois revêtu(e)s de leur uniforme, il n’y a plus guère de différence. Le film les montre en train de se préparer.
Les Kesh Angels, photographie d'Hassan Hajjaj, 201
Udaj se ! Marie-toi !Parmi les objets illustrant les luttes pour l’égalité entre les sexes, cette tenture de Sandra Dukié représentant une femme pendue aux tâches ménagères.

William Dupuy, le club de Safi au Maroc en 2010

La semaine prochaine, la dernière expo du Mucem. Photos M&M.

jeudi 12 décembre 2013

On tue de naissance dans notre famille.


George Sand, Mauprat, 1837.

Voici un livre qui répond en tous points à l’adjectif « romanesque » !
Le narrateur est Bernard Mauprat qui raconte sa vie et celle de sa famille. Le récit se situe dans les dernières années de l’Ancien Régime, où se côtoient les vieux préjugés et les idées nouvelles. La famille Mauprat est noble, connue pour sa cruauté et ses habitudes de brigands, vivant en dehors des lois et Bernard en est le dernier rejeton. Le début du roman donne ainsi lieu à une description d’un château perdu dans la nature sauvage, habité par des brutes, ce qui est plein de pittoresque gothique. Mais à la suite de péripéties, Bernard se voit sorti de là et admis au sein de la famille de ses proches cousins, gens vraiment nobles, tant d’idées que d’éducation. Il tombe surtout éperdument amoureux de sa belle cousine Edmée. Il veut au début se l’approprier, mais finalement comprend qu’il lui faudra se domestiquer et s’éduquer un peu avant de pouvoir la mériter. Nous sommes alors partis pour un roman d’éducation rendant un vibrant hommage à Rousseau et reflétant les préoccupations de Sand en la matière. Mais il y aura encore des bouleversements de situation avant la fin.

Narcisse Diaz de la Pena, Sous-bois de chênes,
château de Compiègne, image RMN.
Si j’ai été agacée par les hauts sentiments des personnages et leur manie de faire des phrases, je suis tout à fait séduite par l’ensemble du roman. Le rythme est très bien mené, avec des alternances habiles dans les actions. Sand a le sens des rebondissements. J’ai également aimé cette plongée dans un XVIIIe siècle plein de contrastes : les paysans asservis, le château enfoui, les nobles accrochés à leurs privilèges malgré leurs prétentions philosophiques, le rôle de l'Église dans le maintien de l'ignorance. À quoi se mêle la sensibilité romantique (les ruines effrayantes et les grandes passions) et une pensée politique issue de la Révolution : idéal d’égalité, vertus de l’instruction, le modèle américain. C’est un peu la quintessence de Sand que l’on trouve là. Ajoutons l’importance de la nature, de la végétation, des forêts profondes du Berry et il ne manque rien.

Nous étions deux caractères d’exception, il nous fallait des amours héroïques ; les choses ordinaires nous eussent rendus méchants l’un et l’autre.

Les avis de Claudia Lucia, de George, de Miss Bouquinaix, de Somaja. Un billet de Claudia Lucia rapprochant ce roman des Hauts de Hurle-vent. 




mardi 10 décembre 2013

Pas de panique ! Sur une autre Terre, c’est déjà arrivé.


Terry Pratchett et Stephen Baxter, La longue terre, 2012, traduit de l’anglais par Mikael Cabon, paru en France chez L’Atalante, 2013.

Un livre prometteur mais décevant.
Le récit : un scientifique découvre un jour que la Terre est entourée par une multitude de Terres identiques, mais où l’homme est inconnu. Une infinité de planètes à explorer. Pour passer d’une Terre à l’autre il faut un appareil tirant son énergie d’une pomme de terre. Nous suivons le voyage d’exploration de Sally et Josué qui savent passer sans appareil, en compagnie de Lobsang, un ancien moine tibétain réincarné en super ordinateur, à bord d’un dirigeable nommé Mark Twain.

Vous l’avez compris, l’idée est fascinante. Toutes ces terres représentent des étapes antérieures ou avortées de l’évolution : y vivent des plantes et animaux disparus ou n’étant pas apparus sur notre bonne vieille terre, certaines planètes n’ont pas connu l’extinction des dinosaures, toutes ne connaissent pas le même stade de la dérive des continents, période glaciaire, forêt tropicale, océan recouvrant tout… Il y a plus de planètes que d’êtres humains et une foule de pionniers se lance dans une nouvelle vie. Il y a aussi des humanoïdes à différents stades de l’évolution. Ce roman est un hommage un peu fou à Darwin.
Mais… je me suis ennuyée. Il n’y a pas de vraie narration, on passe d’un monde à l’autre et puis voilà. Certes, on trouve des allusions à des musiques, à des films, des tas d’éléments font sourire mais cela reste assez plat.

-       Attendez, fit Josué, êtes-vous en train de nous dire que vous avez déjà vu un éléphant violet ?
-       Pas exactement. Dans une certaine Afrique, remarquez, il existe une espèce de pachyderme qui maîtrise à la perfection l’art du camouflage. Dans la Longue Terre, on finit toujours par trouver à peu près tout ce qu’on peut imaginer.

dimanche 8 décembre 2013

Humeur au Mucem, volume 1



Il serait dommage que l’année se termine sans que, moi aussi, je ne vous aie parlé du Mucem. Je sais, on vous a saoulé avec Marseille, cette année. Mais c’est pour la bonne cause ! Je ne sais combien de musées ont ouvert ou rouvert cette année (je vous conseille vivement le musée des arts décoratifs).
Quelques billets seront donc consacrés à ce tout nouveau bâtiment.


Aujourd’hui, place à sa plus grande réussite : l’architecture et l’aménagement du site.

Le Mucem consiste en deux sites : le cube de dentelles noires posé face à la mer et un ancien fort militaire construit au XVIIe siècle. Une passerelle relie les deux, une autre relie le musée à la vieille ville.
Pour les touristes qui viennent, c’est simplement un beau site. Pour les Marseillais, c’est plus que cela : c’est l’accès enfin possible à une zone longtemps interdite (zone militaire puis en travaux). Ils profitent donc pleinement de ce nouveau lieu de promenade. Le paysage urbain est magnifié. J’étais au Mucem le jour de l’ouverture et les Marseillais étaient heureux, heureux de voir leur belle ville. Cet effet s’est estompé maintenant, c’est presque dommage.



 Vous voulez un bémol ? La signalétique interne est… euh… discrète. 
Notez que la municipalité envisage de construire un casino à l'emplacement de la photo... Il y a une pétition pour s'y opposer !


Photos M&M.

vendredi 6 décembre 2013

« Très moderne », entre ses lèvres, était le comble de l’admiration.


Guy de Maupassant, Mont-Oriol, 1887.

Un roman étonnant et peu connu d’un de mes auteurs fétiches.
L’action est en Auvergne, dans une ville d’eaux (les vertus miraculeuses de l’eau des volcans d’Auvergne ne sont pas nouvelles). Cela offre à Maupassant l’occasion de dresser le tableau satirique d’une médecine flirtant avec la charlatanerie (conflits d’intérêt des médecins, expérimentations fantaisistes, vertus non prouvées des bains) et de cette riche société oisive et mesquine.

Le docteur Bonnefille affirma que les eaux d’Enval seraient souveraines et écrivit aussitôt ses prescriptions.
Elles avaient toujours l’aspect redoutable d’un réquisitoire.

Le roman s’intéresse plus particulièrement à une famille : Christiane, jeune femme timide, son père, son frère et surtout son mari, Andermatt, un banquier juif. Ce personnage est particulièrement intéressant. Si l’on craint au départ de tomber sur un nouveau stéréotype antisémite (et plusieurs personnages portent en effet ces préjugés), Andermatt s’avère être un homme, certes obsédé par le profit, mais ayant bon cœur. En outre, sa figure fait écho à une autre, familière des romans de Maupassant, celle du vieux paysan riche et radin (comme dans le Pays de Caux). C’est ici le père Oriol qui manie intelligemment les terres, les dots de ses filles et le papier timbré. Le roman décrit aussi le passage d’une richesse basée sur la terre à un capitalisme moderne, celui des sociétés par actions. Oriol et Andermatt, tout en s’affrontant, se comprennent parfaitement. Le banquier réussit parce qu’il a parfaitement compris les besoins et les attentes de son époque. Est également évoqué le passage du pouvoir de l’ancienne noblesse corrompue et incapable à des hommes d’action nouveaux. Mais Maupassant n’est pas Balzac et ne décrit pas les mécanismes financiers de ces affrontements, se contentant des répliques et des états d’âme des uns et des autres.

J.-A. Bernard, Vue du Puy-en-Velay à l'aurore,
1901, Le Puy-en-Velay, musée Crozatier, image RMN
Il montre également une nouvelle corde à son arc en écrivant un roman d’amour via les personnages de Christiane et de Paul. Un amour passionné, romantique, avec tout l’attirail poétique : promenade de nuits dans les ruines, nature sauvage et inconnue (les cratères de volcan). Un amour qui cite explicitement Madame Bovary à plusieurs reprises, ce qui permet très vite d’instiller le doute sur ces sentiments passionnés.
Si le roman n’a pas l’efficacité terrible des nouvelles, je note que sa lecture permet d’avoir une vision plus complexe de Maupassant.

Puis il se leva, salua et sortit avec tant de promptitude que tout le monde en demeura stupéfait. C’était sa manière, son chic, son cachet à lui, cette brusquerie dans le départ. Il la jugeait de très bon ton et de grande impression sur le malade.



mercredi 4 décembre 2013

Et c’est comme ça que, de but en blanc, je me suis retrouvé à aider aux finitions d’un manga.


Jirô Taniguchi, Un zoo en hiver, paru en 2008, traduit du japonais par Corinne Quentin, édité en France par Casterman.

Les mangas de Taniguchi sont bien connus en France, j’en ai lu plusieurs et j’ai parlé ici du Sommet des dieux dont les dessins m’avaient particulièrement impressionnée. Dans Un zoo en hiver, il est dans une veine plus intimiste et d’inspiration plus autobiographique, puisqu’il est question d’un dessinateur parvenant sa première histoire de manga dans une revue. Nous suivons le héros, Hamaguchi, jeune homme timide et renfermé, travaillant au début dans une fabrique de textile à Kyôto et dessinant pour lui-même les animaux du zoo. Il quitte cet emploi pour devenir assistant d’un mangaka à Tokyo. Il découvre ce mode de vie particulier, où il faut fournir des histoires dans des délais impartis, avec un maître qui crée l’histoire et des assistants qui complètent les décors, posent les couleurs, etc. Un travail d’équipe où certains s’effacent devant d’autres. Un lieu de concurrence aussi : il faut publier sa propre histoire, peut-on rester assistant toute sa vie ou avoir un jour son propre atelier ? Les rapports humains sont complexes.


C’est aussi le Japon de l’après-guerre où les jeunes filles ne sortent pas sans chaperon, où l’on habite sur son lieu de travail, où l’individualisme est timide.

Un manga beau et sensible. Tout passe par le regard silencieux et triste du personnage principal.