La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



dimanche 31 août 2014

Humeur du Caravage

Rome, c’est la ville du Caravage. Pas que de lui, bien sûr. Aussi celle de Raphaël, de Michel-Ange, de Bernin, mais quand même celle du Caravage. On peut admirer ses œuvres au musée duVatican, au musée du Capitole, à la Galerie Pamphilj, à la Galerie Borghese et dans de nombreuses églises où son étude de l’ombre et de la lumière prend tout son sens.
Loin de la légende romantique, admirons les oeuvres...


Le Repos pendant la fuite en Égypte (galerie Pamphilj), une toile étrange où un ange, un de ces adolescents à l'élégance fragile et négligente, joue du violon. Le tableau est plein de détails étonnants, je suis restée un moment devant.


La Madone des pèlerins, église Saint-Augustin, où l'on a le nez sur les pieds sales de ces pauvres gens et où une femme sort de la nuit avec ce gamin nu.


David, Galerie Borghese, un tableau saisissant, la tête nous est brandie et jaillit d'une ombre qui fait un peu peur.


Ah les Jean-Baptiste du Caravage ! On s'y perd un peu, il y en a au musée du Capitole, à la Galerie Borghese, à la Galerie Pamphilj, ces garçons à peine pubères, aux poses suggestives, appuyés sur un animal aux cornes étranges et sur un tissu rouge. On les regarde longtemps.


Saint Jérôme (Galerie Borghese) saint patron d'un ami à moi. Mais ici, les taches de blanc du livre et du linge, le grand bras dont le nerf et le muscles sont au centre de la toile et le vieillard qui sort de ce tissu rouge vif.

À l'église Saint-Louis-des-Français, un cycle consacré à Saint Matthieu. De grandes toiles.


 La Vocation de Saint Matthieu, avec une lumière qui traverse la toile pour venir frapper un Matthieu étonné : "Qui, moi ?"


 Deux détails du Martyre, le saint renversé et l'enfant de choeur qui s'enfuit en criant. J'avoue avoir un peu de mal à me repérer dans ce tableau.
Je n'en dis pas plus, je n'ai pas mis toutes les photos des tableaux admirés. Il faut aller devant eux et étudier les corps, l'ombre et la lumière.

Photos MNG, RMN, WGA.
Je suis absente d'internet pour quelques jours. Laissez plein de commentaires, j'y répondrai à mon retour.

samedi 30 août 2014

Humeur de scones


Je fais souvent des pancakes, vous le savez (une amie québécoise m’a offert une grosse boîte de sirop d’érable, il faut bien en manger) grâce au livre de Rose Bakery. Mais je fais aussi des scones de temps en temps. En écho à un voyage récent dans la verte Angleterre, aujourd’hui le tea sera donc accompagné de scones.

Les Gourmandises 14/20 : les scones

Pour un peu plus de 12 scones
500 g de farine
2 bonnes cuillères à soupe de levure chimique
2 bonnes cuillères à soupe de sucre en poudre
1 cuillère à café de sel
110 g de beurre ramolli (je pense que j’en mets moins, mais le risque est alors l’émiettement du scone)
160 g de raisins secs (là j’en mets moins)
30 cl de lait

Mélanger farine, levure, sucre et sel. Ajouter le beurre et malaxer, ajouter les raisins secs. Ajouter le lait au fur et à mesure, en travaillant à la main. Arrêter de verser quand la pâte est une boule homogène.
Sur une plaque de cuisson farinée / papier sulfurisé, faire des ronds de pâte (en gros 3 cm de haut, 5 cm de diamètre). Vous pouvez badigeonner avec de l’œuf pour qu’ils soient dorés.
Enfourner dans un four chaud, à 200°, pendant 15-20 minutes.

 Manger !


Rose Bakery (de son vrai nom Rose Carrarini), Breafast, Lunch, Tea, Paris, Phaidon, 2007. 

Je suis absente d'internet pour quelques jours. Laissez plein de commentaires, j'y répondrai à mon retour.

jeudi 28 août 2014

La longue nuit semblait avoir commencé ; les petits airs grignoteurs, murmurés par le vent, les souffles visqueux et tâtonnants paraissaient avoir triomphé.

Virginia Woolf, La Promenade au phare, traduit de l’anglais par Lanoire, parution originale 1927.

Une maison au bord de la mer, avec une famille nombreuse et des invités, dans une Angleterre un peu ancienne, mais pas trop. Ils rayonnent tous autour de la mère, Mrs Ramsay, si belle, si attentive à donner aux autres ce qu’ils demandent et ce dont ils ont besoin, comme si les sensations des uns et des autres la traversaient. Face à eux, une vieille maison qui craque, la mer et un phare, but d’une promenade qui se fera… peut-être. C’est un monde de lumière, d’odeurs et de couleurs – il y a une peintre parmi les invités qui recherche l’équilibre d’une vision.

Elle voyait tout avec une irrésistible netteté lorsqu’elle regardait : c’est lorsqu’elle prit son pinceau que tout changea. Dans cet instant de fuite, inséré entre sa peinture et sa toile, elle subit un assaut de ces démons qui faisaient souvent monter les larmes à ses yeux et rendaient ce passage de la conception à l’exécution aussi terrible que peut l’être pour un enfant celui d’un couloir ténébreux.

Bord de mer. M&M.
Le fil narratif est des plus minces : une soirée à parler de la promenade au phare et des années plus tard le souvenir de ce moment et de Mrs Ramsay. C’est une plongée au cœur des émotions et de ce qui fait le vide et le plein des relations humaines, ainsi qu’une exploration des souvenirs.
Mrs Ramsay fait indubitablement songer à Mrs Dalloway, dont elle pourrait être la sœur. Mais elle est une sorte d’élément solaire qui se pose à côté des autres et qui est une éponge imbibée des émotions des autres. Elle ressent ainsi violemment le silence qui se fait en soi quand les autres s’en vont.

Avec un mouvement qui, chose étrange, rappela à celle-ci le grand morse du Jardin zoologique lorsqu’il bat lourdement en retraite après avoir avalé ses poissons et barbotte avec tant d’énergie que l’eau de son bassin bascule d’un côté à l’autre, il plongea dans l’air du soir qui, déjà moins nourri, empruntait leur substance aux feuilles et aux haies, mais, comme en échange, rendait aux roses et aux œillets un éclat dont ils avaient été privés pendant le jour.

La nuit était maintenant tenue à l’écart par les vitres et celles-ci, au lieu de donner une vue exacte du monde extérieur, le gondolaient d’étrange façon, au point que l’ordre, la fixité, la terre ferme semblaient s’être installés à l’intérieur de la maison ; au-dehors, au contraire, il n’y avait plus qu’un reflet dans lequel les choses, devenues fluides, tremblaient et disparaissaient.

Sous la pression du besoin particulier qui vous fait parler à un moment déterminé on manque toujours le but essentiel. Les mots dans leur agitation perdent leur direction et s’en vont frapper le but beaucoup trop bas.

Un livre dont il est difficile de parler et que je compte relire dans quelques années.


mardi 26 août 2014

Comment cela est-il fait ? C’est plane et pourtant on sent des reliefs.


Nicolas de Crécy, Période glaciaire, 2005.

Une bande d’explorateurs s’avance sur la glace, à la recherche des traces d’une civilisation disparue – la nôtre. La troupe comprend notamment Hulk, un chien croisé de cochon qui parle comme un humain. Un séisme, et Hulk bascule dans le Louvre, enfoui sous la neige. Quel est le rôle de ce palais où sont conservées des images ? Personne n’y comprend rien.


 Cette bande dessinée se moque tout d’abord gentiment du travail des archéologues qui tente des interprétations élaborées à partir d’un bout de rien (ce grand bâtiment marqué « Rungis » est sans doute un temple, non ?)*. Elle rend également hommage aux œuvres du Louvre et à la capacité humaine de faire de grands efforts pour sauver ces chefs d’œuvre de l’humanité. Les explorateurs ne connaissent pas réellement la peinture figurative et ne comprennent pas comment un objet plat peut donner l’illusion de la profondeur, de la vie, de la chair… Pour eux, c’est un mystère.

Le côté « roman d’aventure et d’exploration » m’a plu bien sûr. J’avoue cependant être légèrement restée sur ma faim, je trouve que Crécy effleure son sujet, avec beaucoup de poésie, certes, mais voilà…

* Pour reprendre les mots d’une amie archéologue, « quand on ne sait pas ce que c’est, c’est rituel ».

Destination PAL. Le point sur LA LISTE. L'avis de Miss Bouquinaix.

dimanche 24 août 2014

Humeur borghesienne

Bernin, Scipion Borghese
Autre collection privée indispensable, la Galerie Borghese. La famille tout entière est remarquable mais la collection est principalement redevable à Scipion Borghese, cardinal et neveu du pape qui avait plutôt bon goût et a construit un palais pour abriter sa collection d’œuvres antiques et modernes.
Disons-le : la profusion de chefs-d’œuvre est telle qu’on en loupe la moitié, attirés par la lumière de quelques-uns. Il faudrait pouvoir revenir sans cesse – faire du tourisme à Rome, c’est apprendre la frustration. On y croise Fra Bartolemeo, Raphaël, Andrea del Sarto, Lucas Cranach l’Ancien, Bellini et beaucoup d’autres. Mais les deux grandes stars des lieux sont Caravage (qui aura bientôt son billet) et Bernin avec cette somptueuse série.



Bernin, Apollon et Daphné. Daphné est saisie au moment de sa transformation en laurier, les bouts de ses doigts de pieds deviennent de l'écorce, ses cheveux des feuilles et tout est suspendu. Une oeuvre magique et fascinante.


 Deux détails de L'Enlèvement de Proserpine par Bernin avec ces fameuses mains du dieu agrippant la chair de la jeune fille. Ah, le marbre est bien vivant !


 Le David de Bernin avec sa bouche serrée, juste avant de lancer la fronde sur le géant.



Io par Corrège : vous reconnaissez Zeus déguisé en nuage qui envahit voluptueusement la nymphe...
Et La Dame à la licone de Raphaël, une beauté silencieuse et mystérieuse.




Titien, L'Amour sacré et l'amour profane et ses couleurs...

La Galerie Borghese est chère, se visite sur réservation uniquement, est située au fond d’un parc, les photos y sont interdites et il y a peu de cartels (oui, ils ont une rente sur le dos du Caravage et du Bernin). Mes images proviennent du site de la RMN, de la WGA et de Wikipedia.

samedi 23 août 2014

Humeur de galerie

À Rome, je me suis pris quelques heures pour visiter la Galerie Doria Pamphilj, installée dans le palais familial romain, famille avec papes et cardinaux, qui collectionne l’art depuis le XVIe siècle.
La collection est immense et éclectique, avec plein de choses connues.
 
L'Annonciation de Filippo Lippi

La Lamentation sur le Christ mort d'Hans Memling - un jour j'ai donné cette oeuvre à un examen ! Donc identifiez bien tous les personnages et la scène à l'arrière-plan pour avoir tous les points.

Saint Jérôme par Ribera 
Salomé et la tête du Baptiste par Titien


Innocent X (un cousin de la famille) par Velazquez - un chef d'oeuvre !

Il y a aussi un Double portrait de Raphaël, une Vierge à l’enfant du Parmesan, le Paradis terrestre de Jacopo Bassano, plusieurs tableaux de Caravage (lequel aura droit à un billet rien qu’à lui), des tableaux de Guerchin, du Dominiquin, de Jan Gossaert, de Bruegel l’Ancien, etc. Je vous en conseille la visite !


Prendre des photos y est interdit, mes images proviennent donc du site internet de la Galerie et de la WGA.

jeudi 21 août 2014

La vérité des hommes est un clou auquel tout le monde accroche son chapeau…

Svetlana Alexievitch, La Fin de l’homme rouge, traduit du russe par Sophie Benech, publication originale 2013.

Le livre indispensable sur la Russie, tout simplement !
Svetlana Alexievitch a recueilli des témoignages de Russes (ou de ressortissants de la CEI) de diverses générations et milieux sociaux. Elle ne leur a pas demandé de parler de leur vision de la Russie, mais de raconter leur vie, leur enfance, leurs amours. La Russie est là. À moins que ce ne soit l’URSS.

Ça fait rien si je vous parle de moi, si je vous raconte ma vie ? On a tous eu la même vie. Seulement, faudrait pas qu’on m’arrête à cause de cette conversation. Y a encore un pouvoir soviétique, ou c’est complètement fini ?

500 pages de témoignages, on peut s’y immerger complètement ou les lire doucement, car ce n’est pas facile. Ceux qui sont nés dans les années 20, qui ont libéré l’Europe, connu les camps et n’ont plus rien en commun avec leurs petits-enfants. Ceux qui sont nés dans les années 60 et ont tant attendu la perestroïka, qui ont suivi, tout excités les débats à la radio, sont allés contre les tanks avec Elstine en 1991 et qui ont tout perdu. Ceux qui sont nés plus tard et ont vécu le capitalisme comme une période folle, échangeant des téléviseurs contre des sous-vêtements, contre des épilateurs pour parvenir à récupérer un peu de nourriture. Ceux qui regrettent le communisme, ceux qui voulaient un socialisme plus humain, ceux qui hésitent, les plus nombreux. Tous, des soviétiques.
 
Sur la route à Saint-Pétersbourg. M&M
On en apprend sur la période soviétique bien sûr et le mode de vie quotidien de l’époque. On en apprend surtout beaucoup sur la façon dont a chuté l’URSS et sur la façon dont l’ont vécu les gens normaux sans exaltation fracassante sur la liberté : les magasins vides, plus de travail, plus d’argent, la mafia, les guerres civiles dans les anciens satellites, l’espoir et la déception, les magasins vides, puis l'irruption de gadgets en plastique de toutes les couleurs.
 Le ton se fait plus grave quand il est question des jeunes hommes d’aujourd’hui, de ceux qui sont revenus d’Afghanistan et de Tchétchénie et qui sont presque fous. La vodka, la vodka, la vodka et ses ravages, encore.

C’est toute une civilisation qui a été flanquée à la poubelle…

Le récit de ces événements permet de comprendre la réticence des Russes devant les révolutions obtenues à coup de manifestations populaires dans les pays arabes ou en Ukraine, le rapport compliqué au pouvoir et à l’empire, à Poutine, aux hommes forts, au peuple.
Le livre n’exprime pas aucun jugement en laissant la parole libre. On n’entend presque pas la voix de l’auteur, celle qui compte est celle des anciens de l’URSS.
Il n’est pas question non plus de nostalgie pour un régime disparu, personne ne nie les horreurs des camps, au contraire. Mais certains les justifient, car le pays avait alors un destin et comptait dans le monde. Les Russes ont le sentiment d’avoir été bradés.

L’homo sovieticus est une espèce en voie de disparition, incomprise des autres êtres humains. Mais entre soviétiques, on se comprend.
 
La grandeur soviétique. M&M
Le mot le plus fréquent dans le livre est peut-être « saucisson ». Le monde entier tourne autour du prix du saucisson, produit préféré de bien des Russes. Et il est question des conversations dans les cuisines, le lieu où l’on se rassemble pour discuter et échanger, le lieu où se mêle vie intime et réflexion politique.

Je suis un pauvre ringard de Soviet, hein ? Mes parents sont des ringards, et mes grands-parents aussi. Mon grand-père ringard est mort devant Moscou en 1941… Et ma grand-mère ringarde était chez les partisans. Mais il faut bien que messieurs les libéraux méritent leur pâtée ! Ils voudraient que l’on considère notre passé comme un trou noir.