James Baldwin, La Chambre de Giovanni, traduit de l’américain par Élisabeth Guinsbourg, parution originale 1956, édité en France par Payot.
Un petit roman très émouvant.
Le narrateur, David, se trouve dans le Sud de la France, avec une bouteille de vin rouge, et il parle d’Hella, une jeune femme à qui il avait proposé le mariage, et de Giovanni, un jeune homme qui va bientôt mourir. Alors David raconte son histoire. Son attirance pour les hommes, suivie aussitôt du rejet de ses désirs, son hétérosexualité assumée, sa haine des « tapettes » n’est-ce pas, son mal-être, son départ de New York pour Paris, sa rencontre avec Giovanni, Giovanni encore et toujours.
Au cours des jours à venir – que Dieu m’accorde la grâce de les vivre –, dans la clarté de ce matin gris, la bouche amère, les paupières rougies et enflammées, les cheveux ébouriffés et moites d’un sommeil tourmenté, regardant, à travers la fumée de mon café et de ma cigarette, le garçon sans intérêt, indifférent, de la nuit précédente, qui bientôt se lèvera et disparaîtra comme la fumée, je reverrai Giovanni, tel qu’il était cette nuit-là, si attirant, si vivant, toute la lumière de cet antre sombre accrochée à ses cheveux.
C’est l’histoire d’un jeune homme qui ne sait pas qui il est, ou qui le sait mais ne veut pas le savoir, ou qui le cache, plus à lui-même qu’aux autres, qui fuit tout ce qu’il est, en laissant loin de lui sa famille, en ne s’attachant ni à rien ni à personne, en se bardant d’égoïsme et de petites remarques acerbes et dans cette solitude, c’est le portrait de chacun d’entre nous. Qui ne s’est pas retrouvé à boire seul un verre de vin et à espérer malgré tout un nouveau matin ?
C’est un roman déchirant, où l’amour est sans issue. Il n’y a pas là l’espoir qui portait, malgré tout, les personnages d'Un autre pays. Il y a le portrait de New York et de Paris (de la Seine et des Halles, le ventre de Paris). La misère affective des homosexuels obligés de se cacher et se subir les regards et les moqueries et les insultes. Les relations humaines polluées par les secrets et les non-dits. Il y a la fin, terrible, qui évoque la mort brutale de l’être aimé. La scène déchirante des adieux entre David et Giovanni, et malgré tout, continuer à vivre.
Je me tiens debout à la fenêtre de cette grande maison, dans le sud de la France, tandis que tombe la nuit, la nuit qui mène à l’aube la plus terrible de la ma vie. J’ai un verre à la main, une bouteille devant moi. J’aperçois mon image dans la lueur de plus en plus obscure de la vitre ; mon image est élancée, un peu comme une flèche, mes cheveux blonds brillants. Mon visage ressemble à un visage que vous avez vu maintes fois. Mes ancêtres ont conquis un continent, ils ont traversé des plaines jonchées de morts jusqu’à un océan qui, tournant le dos à l’Europe, faisait face à un plus sombre passé.
C’est le premier paragraphe.
Le matin fait peser sur mes épaules un espoir insoutenable et, prenant dans ma poche l’enveloppe bleue que Jacques m’a envoyée, je la déchire lentement en mille morceaux que je regarde danser dans le vent, le vent qui les emporte au loin. Mais, tandis que je me retourne et m’avance vers le groupe qui attend, le vent m’en rapporte quelques morceaux.
C'est le dernier paragraphe.
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Retour dans l'oeil du cyclone
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Tu vas devenir une véritable spécialiste de Baldwin ! Je n'ai malheureusement aucun des titres que tu cites sur mes étagères, seulement Harlem Quartet et Si Beale Street pouvait parler, sur lesquels j'étais tombée en bouquinerie... mais je note pour plus tard..
RépondreSupprimerSpécialiste, non, mais très enthousiaste. J'ai encore un titre sur mes étagères mais je ne sais plus son titre...
SupprimerUn roman vraiment désespéré et on le comprend, s'il a été écrit dans les années 50 ! Et bien, non, c'est un écrivain que je n'ai pas encore lu !
RépondreSupprimerMets le sur ta liste ! Un auteur indispensable !
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