La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



samedi 23 mai 2020

La Mise au tombeau et la Descente au Limbe

Dans la vraie vie, nous venons de passer le jeudi de l’Ascension. Sur ce blog, qui raconte la Passion du Christ au fil de quelques peintures, nous n’en sommes pas tout à fait là.

En tant que condamné à mort, le corps de Jésus aurait pu être déposé dans une fosse commune. Mais grâce à Joseph d’Arimathie, il en fut autrement. Le tombeau de Jésus est creusé dans la roche et une lourde pierre en ferme l’entrée.

En peinture, la Mise au tombeau se confond souvent avec la Déploration (par exemple, la peinture du Rosso que je vous ai montrée la semaine dernière a pour décor la caverne servant de tombeau).

C’est avec cet épisode que s’achève le vendredi.

Il est souvent difficile de s'y retrouver entre les versions différentes rapportées par les Évangiles et les diverses traditions suivies par les peintres. Je tiens quand même à souligner un point : Jésus meurt le vendredi et ressuscite le dimanche, tout en restant mort pendant 3 jours. Quand j’étais petite, c’était un vrai mystère insondable, qui se résout facilement si l’on songe que les Juifs, les Romains et nous-mêmes comptons les jours chacun à notre manière.
Panneau central du Triptyque de la Mise au tombeau de Maerten Van Heemskerck (1559, Musées royaux de Bruxelles). Un peintre hollandais qui s'est rendu en Italie. Ses peintures mêlent les grandes figures et les détails réalistes (la coiffe de notable de Joseph d'Arimathie voisine avec la couronne d'épines !). Ici, le corps de Jésus est superbe, traité comme un marbre antique. Les stigmates sont visibles mais sans une goutte de sang. Les mains entrelacées de la Vierge, presque au centre de la toile, sont impressionnantes. La caverne est devenue un sarcophage antique autour duquel tout le monde peut se regrouper.

Nouveau fragment du Retable d'Issenheim de Mathias Grünewald (1515, Colmar). Le panneau de la Mise au tombeau (qui est aussi une Déploration) se trouve sous la Crucifixion, montré il y a 2 semaines, et donc à la hauteur des yeux du spectateur. Ici, le spectacle est très effrayant : le corps de Jésus est verdâtre et couvert de sang. Ses pieds se sont déformés et ses mains ressemblent à des griffes de sorcières. Jean présente le corps à la Vierge dont le visage est caché et il n'y a aucun détail pour nous distraire de cette vue terrible. Le corps est montré dans toutes les souffrances de sa longue agonie.

Autre point : et que se passe-t-il durant ces trois jours ? Il y a un certain nombre de mythes ou de récits qui prennent place durant ce temps où Jésus (et donc Dieu) est absent de la Terre et pendant lequel les êtres humains accomplissent toutes sortes d'horreurs.
Mais Jésus ? Et bien, il est descendu au limbe !
Les Limbes… Sont une création scolastique du Moyen Âge et il en existe deux :
Le Limbe des patriarches qui accueille les âmes des justes mortes avant la Résurrection, c'est-à-dire tous les gens importants de l'Ancien Testament (prophètes, patriarches et d'autres), mais aussi les païens que souhaitent récupérer l'Église (pardon, qui ont eu la malchance de vivre avant la Révélation, mais ça n'en fait pas de mauvais bougres pour autant) et en premier lieu, Aristote. C’est ce qu’on appelle le sein d’Abraham.
Et le Limbe qui accueille les âmes des enfants morts sans baptême (qui ne peuvent pas aller au Paradis, mais qu’aucune âme charitable n’ose envoyer en Enfer). 
Sur le sujet, il faut lire Jacques Le Goff bien sûr.
Wikipedia m’apprend qu’en 2007 l’Église catholique romaine a indiqué que l’existence des Limbes n’avait aucun fondement théologique. Donc, ce n’est pas un dogme, mais c’est une option acceptable !

Aujourd’hui, c’est le Limbe des patriarches qui nous importe. En effet, Jésus est descendu au limbe pour délivrer les justes et leur permettre d’accéder au Paradis. Rappelez-vous : le Paradis a été fermé depuis la faute d’Adam et Ève. Cette partie du mythe permet donc de faire le lien entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Pas mal de gens sont surpris de voir des représentations où Jésus côtoie Adam et Ève, mais vous avez maintenant l’explication. À la suite de cet épisode, c'est au tour du Limbe des patriarches d'être fermé. Bon, cela donne lieu à des représentations très pittoresques.


Dans ce vitrail (fabriqué en Autriche, vers 1390, conservé aux Cloisters), Jésus, brandissant la croix et portant une bannière rouge, défonce joyeusement la porte des Enfers, écrasant sous son poids un horrible démon. Il délivre Adam et Ève (à droite) qui sont en train de l'implorant en les tirant vigoureusement par les poignets. Les dessins sont très réussis !

Descente au Limbe, panneau de Martin Schongauer et de son atelier (1480, musée de Colmar). Jésus, plus en retenue, recouvert de la tunique rouge, qui à présent celle de la victoire sur la mort et sur le mal, et non plus celle de l'ignominie, tenant la croix en bannière, à la tête d'une escorte d'anges (qui ressemblent à un groupe de gamins en excursion) est au centre. La porte de l'Enfer, qui n'est ni plus ni moins qu'une grosse porte d'auberge, a été arrachée de ses gonds. Un démon git sous la porte, tandis qu'un autre, particulièrement pittoresque, s'enfuit à la vue de Jésus. Adam et Ève sortent de l'Enfer et à l'arrière-plan on distingue d'autres Justes de l'Ancien testament. Les couleurs sont éclatantes !


Ici s’arrête la Passion du Christ, mais nous savons bien que l’histoire continue encore un peu.

Je vous ai montré des natures mortes (XVIIe et XIXe siècles) en prenant prétexte du Carême. Puis vous avez eu les RameauxLa Cène et le Lavement des pieds. Puis, la nuit au Jardin des Oliviers et l'arrestation du Christ. Le procès de Jésus (flagellation et couronnement d'épines). L'heure du Ecce homo. La montée au Calvaire ou portement de croix. La Crucifixion. La Déposition de Croix.
La semaine prochaine... et si Jésus n'était pas mort ? !

6 commentaires:

keisha a dit…

Ma marie madeleine (je suppose que c'est elle, à cause de sa longue chevelure) du retable fait très 'moderne' tu ne trouves pas?

nathalie a dit…

Tu parles du retable d'Issenheim, je suppose. Le dessin est légèrement schématique, et les aplats de couleur, presque sans ombre ni épaisseur, donne cette impression de modernité. Il faut dire qu'elle grimace de chagrin et a les yeux rouges, pas du tout embellie, très réaliste !

claudialucia a dit…

Je me souviens de l'impression (terrible )que m'a procurée le retable de Grünnewald ! Quel réalisme ! Et quelle souffrance révèle ce corps torturé !

nathalie a dit…

Oui ce retable est fabuleux !

Lili a dit…

Toujours aussi passionnant, merci ! Et puis ce teasing insoutenable : "et si Jésus n'était pas mort ?" ahahhhhh !

nathalie a dit…

Merci de remarquer mes gros efforts d'écriture !