La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



samedi 18 février 2023

Jésus, Marie, Joseph

 Série iconographique sur l’enfance de Jésus. Aujourd’hui, je triche un peu (encore) en reprenant des tableaux qui sont des Vierge à l’enfant, mais qui représentent davantage la relation entre Marie et Jésus.

Raphaël, La Vierge de Lorette (1510, Musée Condé). Et oui, c'est un des trois Raphaël du château de Chantilly. Nous y voyons Marie et Jésus qui s'amusent, avec un voile transparent. Le bébé gigote, Marie est attentive. La scène est charmante et délicate. Une vraie maternité.

Valerio Castello, La Madone au voile (17e siècle, Gênes Musei di Strada nuova). Là encore, un tableau charmant, avec un Jésus endormi, des fleurs dans les cheveux, et sa mère en adoration devant lui, hésitant à le couvrir ou à le regarder. C'est plein d'humanité. Et le coloris est d'une grande douceur, très harmonieux, avec ces tons de bruns.

Voilà, un modèle iconographique, c'est ça. À gauche, tableau de Gérard David, La Madone à la soupe (15e siècle, Gênes Musei di Strada nuova) (mais il y a presque le même aux musées royaux de Bruxelles) et à droite, un tableau d'après Gérard David (et oui, dans sa manière), La Vierge à la soupe au lait (collection privée, en dépôt au Musée des Flandres de Cassel). David est un grand peintre, qui a inventé un sujet, à savoir cette charmante Vierge à l'enfant à la soupe, et qui l'a reproduit pour ses clients. D'autres peintres (élèves, atelier, collègues ?) ont également repris le modèle, avec à chaque fois des variations.
La différence peut porter sur la position de l'enfant, qui regarde sa soupe ou sa mère, sur la petite nature morte du premier plan ou sur le paysage à l'arrière-plan ou aussi sur la chemise qui couvre le petit. On comprend que la formule ait eu du succès. C'est vraiment doux et charmant, quotidien et plein de finesse.

Puget, La Vierge apprenant à lire à l'Enfant Jésus (Marseille BA). Le titre nous permet de comprendre que, contrairement à ce que l'on pourrait croire, le machin blanc n'est pas une chemise que la mère essaierait d'enlever ou d'enfiler à son enfant, mais du papier. La main supérieure de la Vierge me semble d'ailleurs particulièrement maladroite. Ceci mis à part, je suis séduite par le coloris et par la simplicité de la scène. Marie, avec son turban, Jésus en chérubin. C'est frais, c'est charmant.

Max Ernst, La Vierge corrigeant l'enfant Jésus devant trois témoins (1926, Cologne, Museum Ludwig, photo piquée sur le site internet du musée). Merci à Passage à l'Est de m'avoir suggéré cette peinture, même si elle l'attribuait à Otto Dix. Dans un décor de film expressionniste, qui n'est pas sans rappeler certaines oeuvres de Giorgio De Chirico, sur un socle qui assure un équilibre instable aux personnages, Marie (bleu, rouge et auréole) flanque une bonne fessée à un gamin qui a perdu son auréole. Goût pour la satire et la parodie propre aux surréalistes. Rappel du caractère humain, profondément humain de Jésus - après tout, on ne sait pas grand-chose de son enfance. Les visages sont impénétrables et muets. Les couleurs acides, le déséquilibre et le décalage avec l'iconographie habituelle engendrent aussi bien l'humour que le malaise. Brillant.


Georges de La Tour, Saint Joseph charpentier (1640, Musée du Louvre, image Wikipedia) (et là, c'est une suggestion de Keisha). Car il n'y en a pas que pour Marie. Ici, Joseph, en vêtements de travail, est en train de percer une pièce de bois (tout comme dans le tableau que je vous avais montré, issu de l'atelier de Campin). Jésus est assis à côté de lui, tenant une bougie. Il y a des outils sur le sol. Le tout dans une tonalité brune. Est-ce que ce n'est pas beau ? Le traitement de la lumière, dans un clair-obscur savant, fait apparaître le visage de l'enfant presque blanc, tandis que des teintes dorées se répandent autour de lui, laissant l'atelier dans la pénombre.


John Millais, Le Christ dans la maison de ses parents (1849 Tate). Joseph et un apprenti dans un atelier de menuisier. La mère agenouillée console son fils, un petit garçon qui s'est fait mal à la main... celle-ci est percée, comme un stigmate, en anticipation de la Crucifixion. À l'arrière, la grand-mère, Anne, tient une pince pour enlever le clou de la main de l'enfant. Le garçon de droite, avec un short en peau de bête, pourrait être Jean-Baptiste. D'ailleurs il apporte de l'eau, comme annonçant le futur baptême. C'est une représentation réaliste et même triviale de l'enfance du Christ. L'oeuvre a été très critiquée lors de sa première exposition, mais elle est plutôt très réussie. Elle s'inscrit dans la droite lignée des peintures du 17e siècle, qui représentent les scènes religieuses et mythologiques dans des décors du quotidien, mais ici avec un coloris très sobre et un peu gris.

L'Enfance de Jésus : le début de la série ; Adoration des bergers ; Adoration des mages ; Vierge à l'enfant ; Vierge à l'enfant, second volet ; le Massacre des innocents ; la Fuite en Égypte ; Circoncision et Présentation au temple
La semaine prochaine, nous nous intéresserons au seul épisode documenté par les Évangiles de l'enfance de Jésus. Et ce sera le dernier billet de cette palpitante série.


9 commentaires:

  1. vive max Ernst qui me fait rigoler même si les punitions ne sont plus admises

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    1. En 2000 ans les principes éducatifs ont changé.

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  2. Je devine le sujet de la suite mais je ne vais pas divulgâcher.
    J'aurais juré avoir vu le Saint joseph charpentier à Nantes, il y a qq temps (aurait-on prêté entre musées?)
    Le millais et le chirico sont franchement intéressants (oui, jean Baptiste à droite, c'est quasi certain)

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    1. Oui heureusement les musées se prêtent des œuvres à l’occasion des expositions temporaires !

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  3. N'empêche que ces trois témoins me font l'effet de voyeurs et si le tableau est génial, c'est vrai qu'il crée un malaise.

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    1. Et c’est fait exprès. C’est brillant.

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  4. Je crois bien que ces tableaux avec Joseph sont les premiers où je le vois autre part qu'à l'étable ou sur la route, et ils sont bien sympathiques, de même que ceux avec Marie et la soupe.
    Je ne me souviens plus du tout où j'avais vu ce tableau qui n'est pas d'Otto Dix, et ça m'agace un peu de ne plus savoir.
    Une citation de Tokarczuk (Récits ultimes): "Les madones sont toutes pareilles: douces, lisses, parfois jolies, parfois laides, représentées systématiquement sans jambes, avec le buste virginal émergeant des draperies de la robe. Et puis, le petit Jésus ne ressemble guère aux bébés d'aujourd'hui."

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    1. J'ai aussi relevé cette citation de Tokarczuk (y aurait-il une LC en vue ?).
      Joseph est souvent mal traité par l'iconographie, c'est un peu dommage. Quant à la formule avec la soupe, oui, c'est une réussite ! Ça ne m'étonne pas que l'on en trouve plein de versions différentes.

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    2. Une LC Tokarczuk, tu dis? Je me demande bien qui a eu cette idée bizarre.

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