La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 12 décembre 2024

Convaincu que madame la gauche mort était de la partie, Balbutiar ne pipait pas plus qu’un cœlacanthe en saumure.

 

Antoine Volodine, Nos animaux préférés (entrevoûtes), 2006.

 

Il y a tout d’abord Wong, un éléphant, qui vit dans une forêt tropicale et dans un monde où il ne reste pas grand-chose de l’être humain. Il rencontre pourtant une femme misérable qui lui demande quelque chose de très étonnant. Les humains lui demandent tous la même chose, il en a un peu marre et on le retrouvera à la fin du livre.

Il y a ensuite Balbutiar, un roi d’une espèce pas très bien définie, peut-être un crabe, rivé à la plage. Il ne réussit à sortir de ce maléfice que grâce à la puissance de son esprit et de ses rêves, mais la scène, racontée avec ironie, se rejoue sans cesse.

Il y a ensuite la Shaggå des sept reines sirènes, saga des souverains des poissons (Court-Brouillonne I, Cabillebaude II, Sole-Sole III, etc.), rois et reines assassinés dans des règnes cruels et des guerres civiles interminables et incompréhensibles.

Ces récits d’humour noir auraient été écrits par des anarchistes emprisonnés.


Il se tortilla de droite et de gauche, tandis que l’angoisse lui frigorifiait la panse. Mais rien n’y fit, et il dut se rendre à l’évidence : il avait le dos soudé au rocher par des fils et des tendons qui l’avaient emprisonné pendant son sommeil, et qui maintenant se refusaient à craquer. Dans le langage qui ici parfois sert de langage, on appelle ce cauchemar une croupille maligne numéro deux, et on dit de la victime qu’elle a l’échine bouldebrayée.


Ce n’est sans doute pas un grand volume, mais c’est un complément cohérent avec l’univers de l’auteur, où il existe une réelle porosité entre les animaux et les humains (notamment avec les oiseaux et les araignées). Nous lisons les récits d’existences difficiles à percevoir, imaginés par ceux qui ont été réduits à néant, dans un monde qui n’en finit pas de se détruire. Au milieu de tout cela, les mots laissent à l’humour, au grotesque, à la poésie et au tragique toute leur place – ce sont eux les plus importants.


Il ne sera pas ici traité des basses œuvres de cette reinette, car rien d’exécrable ni d’encrable n’est à retenir de son interrègne ; plus brève qu’un pet de poulpe fut son existence princière ; nulle fut sa descendance et aucunement auguste.


Le roman prend place dans le monde des forêts impénétrables, des océans vertigineux et des rivages vides parcourus par le vent – et par les rêves. Là des créatures s’agitent, peu sûres de leur existence.

  

Juste en dessous de lui ahanaient le flux et les rouleaux et rauquait le reflux. L’eau lui léchait les pieds, puis se retirait à petite distance, revenait lui humecter les sillons plantaires, de nouveau se retirait.

 

Tu émergeras longtemps après l’aube, mais encore dans l’ère géologique du petit jour, et tu seras lasse, misérablement oblique et lasse. Pour toi ce matin-là on aura éclairé le ciel avec des pierres, pour toi seule on aura déblayé les gravières de leur obscurité, afin qu’au moins soit visible l’empreinte de ton évasion : ainsi ta mémoire ne sera pas totalement vide.


Walter Vaes, Nature morte au poisson (Anvers Janssens).
Regardez cette incroyable mise en scène où le rouget pose comme une Vénus au miroir.


 

Volodine sur le blog (oups) :


Écrivains : 1er billet et 2e billet : oui, lu deux fois !
Songes de Mevlido : un roman très réussi, qui campe l’univers de Volodine dans toute sa richesse - je vous recommande
Des anges mineurs
Frères sorcières
Lisbonne dernière marge : un de ses premiers titres. Le langage y est un acte. Il y a des passages d’une grande poésie et beaucoup de mots inventés.
Les Filles de Monroe : 
La capacité de l'auteur à raconter de façon totalement simple et naturelle un truc très bizarre, mais en vérité, pas si loin de nos repères. 
Il y a aussi beaucoup de jeu avec le vocabulaire traditionnellement communiste, c'est toujours plein d'invention !

Terminus radieux : le long voyage de l’humanité, dans un bardo qui n’en finit pas. La monotonie des jours, des années et des siècles peut pourtant être interrompue par l’arrivée impromptue d’un individu ou d’un animal. Le lecteur se surprend à espérer que tout soit à nouveau possible.

Vivre dans le feu : le dernier roman ?

Sous l'avatar de Manuela Draeger : KreeC’est un monde dévasté, où sont apparues de nouvelles espèces de plantes ou d’animaux, où les humains parlent un langage simplifié, où le chamanisme ne fonctionne plus très bien, mais reste vaguement utile. Un roman envoutant.



3 commentaires:

  1. Cela m'intéresserait bien mais 900 pages!

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    1. Mais pas du tout, ça doit en faire 150 ! Et ça se lit très bien, ce sont de courts chapitres.

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