La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



samedi 27 avril 2024

Jésus, le portrait d'un dieu

 


 

Série iconographique sur Jésus adulte, aujourd’hui billet bric à brac ? Mon point de départ était de regrouper les images de Jésus en gloire, bénissant, lumière du monde… mais le contenu de l’ordinateur est assez hétérogène.

Parcourons donc un trajet depuis le Christ pantocrator à l’homme aux visage plein de douceur et d’humanité.


 

Le Christ pantocrator, « tout puissant » en grec, c'est la représentation d'un Jésus glorieux tel qu’il apparaîtra à la fin des temps au moment du Jugement dernier. Représentation en buste, hiératique, strictement de face, bénissant.

Ici une oeuvre du XIVe siècle du Maestro del San Paolo Perkins (Palais Barberini, Rome). Le fond d'or, le nimbe en léger relief, le visage parfait, la barbe, l'air sérieux, l'immobilité absolue. On est dans la culture des images byzantines.



Est-ce que je vous referai le coup du Retable de l'Agneau mystique des frères Van Eyck (1432, cathédrale de Gand) ? Et bien oui, parce que regardez qui se trouve au-dessus de la représentation de l'agneau...


S'agit-il tout bonnement de Dieu, ou de Jésus-Christ en majesté (et de toute façon Jésus est Dieu), ou de Jésus en grand pontife ? Toujours est-il qu'il s'agit bien de cette iconographie là. Cliquez sur l'image, agrandissez-la et détaillez : la triple tiare et ses joyaux, le vêtement et ses multiples ornements, perles, broderies ouvragées, la couronne et ses reflets... et le fond ! Une tenture de cuir tendue, elle aussi ornée. C'est de la grande peinture.

 


À gauche : un dandy élégant et nonchalant, non pardon Jésus-Christ lumière du monde de Paris Bordone (1500, Londres NG). Devant un riche palais à l'Antique, Jésus est presque de face, porte barbe et bénit, mais la pose de trois quarts ajoute donne quelque chose de plus dynamique. Ce n'est plus le Christ bénissant, mais le Christ saisi au moment où il est en train de bénir. Le vêtement est riche et élégant. Ce visage esquisserait-il l'ombre d'un sourire bienveillant ?

À droite : en apparence plus sobre sur un fond noir, Jésus bénissant de Bartolemeo Cincani dit Montagna (1502, Palais Royal de Turin). Fine tunique violette à liseré d'or, une chevelure blond vénitien qui fait ressortir les bouclettes, la barbe taillée à la dernière mode, les yeux gris... Ce Jésus me fait penser à l'autoportrait de Dürer (qui date de 1500). Le geste de la main me semble particulièrement précieux et élégant.



Un tableau que je tenais à vous montrer et que je case donc parmi ces portraits allégoriques... Das tischgebet (le bénédicité) ou Venez monsieur Jésus, soyez notre hôte, de Fritz von Uhde (1885 Berlin ancienne galerie nationale). L'intérieur es celui d'un simple appartement d'une famille modeste (le sol est nu, tout comme les murs). L'homme porte ses vêtements de travail et de lourds sabots de bois. La femme met la table et apporte la soupe. La famille dit la prière avant le repas et accueille le grand étranger qui s'avance, pieds nus, vêtu d'une longue tunique bleue, surmonté d'une légère auréole.
Nous avons à la fois la représentation réaliste et sans fioriture, mais digne et respectueuse, d'une famille modeste comme il y en avait tant, une scène de piété populaire et une scène religieuse, qui pourrait prendre place aux côtés des Pèlerins d'Emmaüs.
La page Wikipedia du peintre permet d'apprendre qu'il a réalisé plusieurs oeuvres dans cette veine.


Tête du Christ de Rembrandt (1648-56, Musée de Philadelphie). L'extraordinaire camaïeu de bruns, les longues boucles, le vêtement sans fioriture... Il n'y a de divin en lui que cette lumière du visage, émane du visage même.
Selon le dogme catholique, Jésus est constitué de toutes ces figures si dissemblables, tout-puissant et humble parmi les humbles. Les amateurs de peinture choisiront leur figure préférée.

Les semaines précédentes :  billet de lancement ; rappel des épisodes précédents ; Baptêmede Jésus ; Jésus soumis à la tentation ; enseignement et miracles de guérison ; miracles aquatiques ; le repas chez Simon ; le bon pasteur et l'agneau mystique

Pour les semaines suivantes, je vous propose un volume 2 du récit de la Passion. En effet, depuis 2020, j’ai eu le temps de photographier pas mal d’œuvres, qu’il serait dommage de laisser cachées dans l'ordinateur. L'idée sera donc de parcourir à nouveau la fin de vie de Jésus.



 


jeudi 25 avril 2024

Une créature ailée survola la salle. Elle s’appelait Hypocrisie. L’assistance buvait du petit-lait.

 


 

Christian Goudineau, L’Enquête de Lucius Valérius Priscus, 2004.

 

Après un prologue trop long où on trouve un manuscrit inédit en latin, nous plongeons dans l’histoire. Un militaire romain à la retraite est sommé par le palais impérial (on est sous le règne de Tibère) d’enquêter sur les événements récents survenus en Gaule : une révolte a récemment éclaté à Augustodunum – Autun – et même si tout le monde a été massacré – pas de problème de ce côté-là – ce serait bien de connaître les vrais motifs de l’embrasement. Voilà notre Valérius parti sur les routes, en compagnie d’un secrétaire.

Que voilà un roman plaisant ! Nous voici plongés dans la Gaule tout juste romanisée : les citoyens y sont peu nombreux, les villes nouvelles sont en cours d’aménagement, mais les cités gauloises, même si elles sont abandonnées, conservent leur prestige. Notre héros aura ainsi la chance de visiter Bibracte et de constater de visu le décalage entre les promesses de l’empire et la réalité du terrain – ça ne s’implante pas tout seul un decumanus ! Je trouve que Goudineau raconte assez bien la difficile mise en place du modèle romain dans les fins fonds des campagnes.

Heureusement, parce que le livre n’est pas exempt de défauts, entre l’interminable prologue (même s’il est assez bien récupéré grâce à l’épilogue, c’est d’un planplan), la présence d’un seul personnage féminin notable (héroïne tragique torturée et fatale) et une intrigue un peu prévisible – Valérius n’est pas le stylet le plus affûté de l’empire.

Je note quand même des jeux de langue très amusants sur le subjonctif latin.

C’est un roman que j’ai lu avec un grand plaisir.

 

Lorsque César Auguste augmente les impôts, ou plutôt non, il ne les augmente pas seulement, il décide aussi d’y assujettir des cités qui, jusqu’alors, en étaient exemptées en vertu d’anciens traités ou d’une décision du dieu César, tu t’attends à ce que les gens soient contents ? Tous ces Julius ceci ou cela, ce sont les enfants ou les petits-enfants des cavaliers qui ont suivi César ou son divin fils aux quatre coins du monde, recevant récompenses et privilèges – notamment ces exemptions.

 


(l’année prochaine à Autun pour revoir l’église romane, les musées et visiter Bibracte ?)

 

L’avis de Keisha sur ce roman.

De Goudineau j'ai également lu Le Voyage de Marcus.


Enfant esclave,  IIe siècle ap. J-C, marbre, Nîmes, musée Romanité



 

 

mardi 23 avril 2024

Son baiser me pique le cœur, et comme le miel nouveau il fait perdre la tête.

 


Longus, Daphnis et Chloé, parution originale entre le milieu du IIe et le milieu du IIIe siècle, traduit du grec par Romain Brethes.

 

Au début de l’histoire, un berger trouve un bébé allaité par une chèvre et décide de l’élever comme son fils, Daphnis. Et un autre berger trouve une bébé allaitée par une brebis et décide de l’élever comme sa fille, Chloé. C’est l’histoire de Daphnis et Chloé.

(Je peux vous dire qu’on n’a pas attendu le XIXe siècle pour relever le défi du roman sur rien, car ces deux-là s’aiment au début et à la fin et rien ne les sépare.)

Ils sont purs et innocents (contrairement au lecteur) et ils ignorent tout de l’Amour (contrairement à…), qu’il s’agisse du sentiment, car même s’ils éprouvent un attachement plus fort chaque jour l’un pour l’autre, ils n’ont lu aucun roman ou poésie élégiaque (contrairement à la lectrice), encore que Daphnis maîtrise bien les récits mythologiques, ou qu’il s’agisse du volet physique de l’affaire (contrairement à qui vous savez), car, à l'inverse de ce que l’on peut penser, l’exemple des chèvres et des boucs n’est pas totalement probant.


Chloé n’attendit pas davantage. Elle avait été séduite par ce compliment, certes, mais elle désirait embrasser Daphnis depuis si longtemps qu’elle bondit pour lui donner un baiser – un baiser de novice, un baiser sans artifice, mais tout à fait suffisant pour enflammer une âme. (…) Daphnis, lui, semblait avoir reçu une morsure plutôt qu’un baiser, et il offrit très vite un visage morose : il frissonnait souvent, essayait de réfréner son cœur qui s’emballait, et ne voulait pas regarder Chloré, car lorsqu’il la regardait, il rougissait.


Tout l’enjeu du roman consiste donc à raconter comment Daphnis et Chloé qui s’aiment depuis toujours sans le savoir réussiront à découvrir l’Amour. Le second enjeu repose entièrement sur le décalage entre nos héros et le lecteur, qui est invité à sourire malicieusement devant leur ignorance et à aimer ces êtres si innocents. Rien n’empêche le lecteur de rêver également à un supposé paradis perdu et à une ignorance qui a l'air si douce et aimable.

Vous me direz que tout cela est bien mince et vous vous tromperez lourdement. Le roman se lit avec grand plaisir, car, malgré tout, les rebondissements ne manquent pas. Des pirates et des imbéciles montrent quand même leur bout de nez. Toutefois, le grand rôle est tenu par les chèvres et les brebis (et aussi les vaches) – c’est pastoral, vous dit-on – ainsi que par la syrinx, c’est-à-dire la flûte de Pan dont le son résonne à toutes les pages.

 

On aurait dit une symphonie de flûtes qui jouaient de concert, tant la syrinx résonnait. Peu à peu, il joua avec moins d’ardeur et souffla une mélodie plus douce. Philétas déployait là toutes les facettes de la musique pastorale, en jouant l’air qui convenait à un troupeau de bœufs, celui qui entraînait un troupeau de chèvres, celui qui faisait les délices d’un troupeau de moutons. L’air était doux pour les moutons, prononcé pour les bœufs, perçant pour les chèvres. Et un mot, une seule syrinx imitait là toutes les syrinx qui existaient.


Pan, marbre, 2e siècle ap. J-C, Musée du Capitole




Ce roman fait partie de l’énorme gros volume de Romans grecs et latins édité par les Belles Lettres. J’ai déjà lu :

Callirhoé de Chariton dont je garde un bon souvenir, de roman romanesque d’aventure et d’amour.

Les Éphésiaques de Xénophon d’Éphèse, oubliable à mon avis.

Le Satiricon de Pétrone, mais oui, un classique à lire.

Leucippé et Clitophon ( ???) d’Achille Tatius dont je n’ai aucun souvenir. Et d'ailleurs je n'ai même pas rédigé de billet.

L'Âne d'or d'Apulée : un chef d'oeuvre


Et il me reste encore un roman ! Affaire à suivre.



 


 


 


samedi 20 avril 2024

Jésus et les petits moutons

 


Le blog est dans une série iconographique sur Jésus adulte. Aujourd’hui, Jésus et les moutons.

Plus sérieusement...

Tout d’abord, le bon pasteur.

C’est par cette expression que Jésus s’identifie lui-même : celui qui guide vers le salut, rassemble le troupeau, retrouve la brebis égaré… Un homme portant une brebis sur les épaules ou un agneau dans les bras.

Une imagerie très présente dès l’Antiquité, qui donne l’impression d’un dieu humain, proche des gens simples, doux et protecteur.

Par ailleurs, l’agneau est un animal traditionnellement promis au sacrifice et Jésus est désigné ainsi par Jean-Baptiste : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. » Une parole reprise dans plusieurs chansons, prières et messes chrétiennes. Le thème de l’agneau de Dieu constitue une annonce du sacrifice à venir au moment de la Crucifixion.

Je regroupe (artificiellement) les deux thématiques, car reconnaissons-le, les ovins sont très présents dans le monde chrétien.



On commence par le choeur de l'église Santa Maria in Trastevere à Rome, déjà parce que c'est beau toutes ces mosaïques (du XIIe siècle), qui donnent une impression de mystère à l'édifice.


Alors que Jésus siège, hiératique entre sa mère, des saints, des évêques. Sous leurs pieds, une file de petits moutons en procession rappelle la fonction de gardien que se donnent Jésus et le clergé catholique.
Il y a un billet sur le quartier du Trastevere si vous voulez revenir à Rome (au passage).


On retrouve les moutons détail du choeur de Santa Cecilia in Trastevere qui en est très proche.

Notez que ces mosaïques sont anticipantes puisqu'elles imitent à la fois les oeuvres byzantines et celles de l'Antiquité tardive (on pense notamment à celles de Ravenne).



Le fameux Agnus Dei de Francisco de Zurbarán (1639, Madrid Academia Bellas artes San Fernando, mais il en existe plusieurs versions). Un magnifique tableau de dévotion où l'agneau, pattes liées, attend l'heure de sa mise à mort, victime expiatoire sans défense.

C'est un magnifique camaïeu de bruns, du plus clair au plus sombre. L'excellence même de la peinture espagnole.



Et ça ? C'est l'extraordinaire retable de l'Agneau mystique des frères Van Eyck (1432, cathédrale de Gand). En toute objectivité, un chef d'oeuvre de la peinture de la Renaissance représentant précisément l'adoration de l'Agneau de Dieu. Sur le panneau central inférieur, on voit l'agneau debout sur un autel, à la fois lieu de la messe, de la consécration et du sacrifice. Il est entouré d'anges et d'une foule d'hommes et de femmes variés, venus en masse et représentés avec un luxe de détails inouï.

Une oeuvre dont le réalisme a dû sauter aux yeux des spectateurs de l'époque. Combien ont-ils dû détailler les petites fleurs, les livres de prière, les détails des vêtements et des coiffures, et les architectures à l'arrière-plan. Le tout baigne dans une lumière claire et égale, pas d'ombre portée, pas d'effets dramatiquues, l'évidence du monde sous les yeux.



Le retable a sa page Wikipedia dédiée bien sûr.


Les semaines précédentes : Baptême de Jésus ; Jésus soumis à la tentation ; enseignement et miracles de guérison ; miracles aquatiques ; le repas chez Simon.


La semaine prochaine, ce seront des allégories plus glorieuses.

 


jeudi 18 avril 2024

Il s’appelait Norbert Lacassagne, il avait trente ans et se croyait du Nord parce qu’il était de Valence.

 


Marcel Pagnol, Les Pestiférés, 1962.

 

C’est un petit groupe d’habitants qui vit dans ce qui est alors – au début du XVIIIe siècle – à l’extérieur de Marseille, un noyau villageois, comme on dit, composé du médecin, du notaire, du boulanger, etc. Un soir, au début de l’été, le médecin réunit tout le monde : il semble que la peste soit en ville. On raconte des histoires épouvantables, de cadavres dans les rues, de galériens les ramassant sur une charrette, etc.

Notre petite société s’organise pour tout à la fois s’isoler du reste du monde, réunir des vivres pour tenir le coup, et faire croire aux voisins qu’ils sont tous morts, pour ne pas être embêtés. Jusqu’au jour où une nouvelle inquiétante les oblige à prendre une décision radicale…

Les textes de fiction mettant en scène la peste de 1720 ne sont pas si nombreux. Pagnol donne un point de vue périphérique, puisque, de tous les personnages, seul le médecin a réellement vu la peste. À cet égard, ce Maître Pancrace apparaît comme ces figures de sachant et de meneur d’hommes, héritier des personnages de Jules Verne. Les événements les plus atroces ne sont ici que des rumeurs et semblent à peine croyables ou crédibles. Le récit de l’épouvantable pandémie prend l’allure d’un récit de confinement, avec ses stocks de nourriture, ses adultères, son ennui, voire celui d’une farce grotesque – où l’on se déguise en cadavres pour faire peur aux soldats.

J’ai bien aimé la peinture de cette société en miniature, qui n’est pas sans faire penser à une crèche, même si seuls les hommes et la bonne du médecin ont un nom, les autres n’étant que « les femmes et les enfants ». C’est dommage parce que Pagnol a un vrai talent pour inventer des noms propres et croquer une figure en quelques mots.

C’est une longue nouvelle, un petit roman, à l’origine récit rapporté faisant partie du Temps des amours, mais devenu indépendant.

C’est un texte laissé inachevé par la mort de l’auteur. En l’état actuel des choses, la fin semble ouverte à l’espoir. Toutefois, Nicolas Pagnol (petit-fils de) a dirigé la publication d’une adaptation en bande dessinée (de Samuel Wambre, Serge Scotto et Éric Stoffel), dans laquelle la fin reprend celle que l’auteur avait raconté à ses proches avant de mourir. Elle est beaucoup plus sombre.

 

À côté de ces notables, il y avait quelques petits commerçants, comme Romuald le boucher, gros et rouge comme il convient, mais presque stupide quand il n’avait pas un couteau à la main ; Arsène, le mercier-regrattier, qui était tout petit, et Félicien, le boulanger, dont les brioches cloutées d’amandes rôties étaient fameuses jusqu’au Vieux-Port. Malgré ses trente-cinq ans, il plaisait encore aux femmes, parce qu’il avait la peau très blanche – peut-être à cause de la farine – et la poitrine velue de poils dorés. Il y avait aussi Pampette, le poissonnier ; Ribard, le menuisier boiteux ; Calixte, qui travaillait à l’arsenal des galères.

Photo prise à 15 min de chez moi.
 

Une lecture commune autour de Pagnol organisée par Et si on bouquinait.

Et si on bouquinait a lu Jean de Florette. Miriam a également lu Les Pestiférés.


J'ai commis un fort long article sur la peste de 1720, avec archives et peintures. Notez qu'il est abondamment question du Vinaigre des Quatre Voleurs dans le roman. Et mardi, un livre d'archives et de chroniques contemporaines des événements (Frédéric Jacquin, Marseille, malade de la peste).