Naguib Mahfouz, Impasse des deux palais, parution originale 1956, traduit de l’arabe par Philippe Vigreux, édité à l’origine par JC Lattès et désormais en poche.
À la fin de la Première guerre mondiale, dans une maison bourgeoise du Caire, au plus près de la vie d’une famille. Le père, tyrannique et austère avec les siens, vit, la nuit venue, une existence beaucoup plus complaisante, faite de rires et d’amis, de vin et de musique, et de femmes. Notre homme est heureux, sincère avec lui-même. La mère Amina, soumise et respectueuse, n’a pas quitté la maison une seule fois en 25 ans de mariage – il ne faudrait pas que l’on puisse la voir. Et puis il y a les trois fils, les grands qui travaillent et qui étudient et le petit, joyeux luron, chanteur, ami de la poésie. Et les deux filles qu’elles non plus personne n'a vues.
Évidemment, le cœur de la vie, c’est le moment du mariage (d’un point de vue contemporain, comme ces pratiques sont bizarres !)
Elle sourit au tableau, cher à ses yeux, de cette rue qui, au moment où chemins, venelles et impasses sont plongés dans le sommeil, restait éveillée jusqu’aux premières lueurs de l’aube. Que de divertissement avait-elle trouvé à son insomnie, de réconfort dans sa solitude, de rempart à ses frayeurs, grâce à cette rue dont la nuit ne transformait le visage qu’en en plongeant la vie ambiante dans un silence profond, en inventant à ses clameurs un espace où elles puissent s’élever et se clarifier.
La première partie du roman s’inscrit au plus près de la vie de la famille, notamment d’Amina et de ses filles. Tout cela est raconté avec beaucoup de tendresse et de sympathie, mais aussi de réalisme. Cette existence est bouleversée par la fin de la guerre et par les revendications égyptiennes pour l’indépendance, contre le protectorat britannique. C’est le début des espoirs et des craintes, car on manifeste dans les rues du Caire et l’armée tire sur la foule. Chacun, à sa manière, se sent battre d’un nouvel élan.
J’ai apprécié le fait que les personnages ne soient pas monolithiques. Leurs contradictions et leurs évolutions au fil de l’histoire les rendent tous intéressants. Il y a aussi l’absence de jugement de la part de l’auteur, qui lui permet de rendre les doutes et les pensées de chacun. La fin du roman montre ainsi une vraie évolution des personnages. Il s’avère que cette Impasse des deux palais constitue à la fois un roman indépendant et le premier volume d’une trilogie – j’imagine qu’il peut encore se passer plein de choses.
Ce gros roman (660 pages quand même) se lit vraiment très bien. N’hésitez pas à le prendre avec vous si vous avez de longues heures de train. J’ai pour ma part beaucoup aimé.
Qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire de se laisser guider par la sagesse ? Mais c’est un homme et jamais un homme ne manquera de défauts pour masquer le plein soleil !
Et, comme s’il craignait qu’elle émette un avis qui, sait-on jamais, pouvait tomber en accord avec sa décision dont personne n’était informé, de sorte qu’elle en vienne à le soupçonner d’avoir tenu compte, il prit les devants en disant.
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Vimenet, La Rue des bouchers à Alger, Narbonne, Palais musée des Archevêques |
Naguib Mahfouz, Propos du matin et du soir, parution originale 1987, traduit de l’arabe par Marie Francis-Saad.
C’est l’histoire d’une famille, tout au long du XIXe et du XXe sièclen au Caire, avec toutes ses ramifications, ses mariages plus ou moins heureux, ses enfants qui répondent plus ou moins aux attentes et ses personnalités qui se détachent sur le lot de cousins. Mais : la vie de chaque personnage est racontée rapidement (entre 2 et 6 pages) et surtout l’ordre de présentation est alphabétique (alphabet arabe évidemment). Que cela est étonnant !
Le ciel est d’un bleu pur. Sur la place ancienne, qui étincelle sous les feux du soleil, l’ombre des dattiers somnolents traine çà et là.
Difficile à ne pas songer à quelques grands essais pour casser la narration traditionnelle du roman, notamment à La Vie mode d’emploi. Le lecteur passe de l’un à l’autre, d’une sœur à un père de famille, sans transition. Évidemment rien n’empêche de tricher un peu : l’auteur peut choisir ses prénoms de façon à ce que celui du fondateur commence par un Y et soit situé en dernier et à ce que tel cousin, qui a vécu un grand événement, se retrouve évoqué dès les premières pages. La lectrice peut aussi tricher de son côté.
J’avoue cependant m’être lassée. Impossible de me plonger dans une histoire ou de m’impliquer dans tel ou tel récit d’existence, puisque nous passons sans cesse de l’un à l’autre. De plus, il peut être difficile de s’y retrouver, que ce soit entre les membres de la famille ou dans l’histoire politique égyptienne.
On voit le pays changer (ou pas), entre les filles qui ne font pas d’études puisqu’elles trouve « un bon parti » et les fils qui essaient de se caser parmi les fonctionnaires.
Ces courts chapitres sont autant d'histoires que l'on peut se raconter à propos des uns et des autres, des faits et des rumeurs - des propos du matin et du soir.
C’était un colosse aux traits magnifiques, qui avait la beauté des sculptures classiques. Par le sang fougueux qui brûlait sous sa peau brune, par sa moustache épaisse et sa main au revers poilu, toujours tendue, il incarnait le héros mythique des contes populaires. Il se rendait fréquemment chez son neveu ‘Amr Effendi, avec tout son prestige de seigneur féodal.
Mahfouz a reçu le prix Nobel de Littérature en 1988.
Je cherchais à le lire et j'ai d'abord trouvé ces Propos du matin et du soir. Ce ne fut pas une réussite (lu dans le train également pourtant), mais j'ai apprécié l'écriture et l'ambition de ce volume. C'est pourquoi je me suis ensuite procuré cette Impasse des deux palais que je vous conseille vivement.