La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



samedi 8 novembre 2025

Le trophée des Alpes à La Turbie

 

Le blog est en PACA... au plus près de la frontière italienne.

Le Trophée des Alpes ou Trophée de la Turbie (situé à La Turbie) est un monument qui célèbre la victoire d'Auguste sur les peuples des Alpes. Le trophée est dédicacé vers 7 avant JC.

Le truc se compose d'un podium carré surmonté d'un édicule circulaire (24 colonnes entouraient une tour). Et au sommet ? Un lanternon ? Une flamme brillant en permanence ? Une statue d'Auguste ? On hypothèse.

L'inscription a été restituée au début du XXe siècle grâce à l'architecte Jules Formigé, d'après le texte de Pline l'Ancien : 

« À Imperator César Auguste, fils du divin Jules, Grand Pontife, imperator pour la 14e fois, investi de la puissance tribunitienne pour la 17e fois, le Sénat et le peuple romain, parce que, sous sa conduite et sous ses auspices, tous les peuples alpins qui s'étendaient de la mer Supérieure (= l'Adiratique) jusqu'à la mer Inférieure (= la Tyrrhénienne) ont été rangés sous la puissance du Peuple romain. Peuples alpins vaincus (et ensuite 45 noms de peuples soumis). »

L'inscription est accompagnée par des bas-reliefs : deux victoires ailées et des trophées d'armes ave un couple de barbares enchaînés.

Le col de la Turbie est le point le plus haut de la voie Julia, elle-même construite afin de faciliter les échanges terrestres (commerce et militaire) depuis Rome vers les Gaules. De là-haut (on est à environ 500 mètres d'altitude quand même), on a vue sur toute la baie de Monaco.

Toutefois, l'objectif d'une telle construction n'est pas d'avoir une belle vue quand on s'y tient, mais d'être vu de loin et de partout, et de marquer le territoire et le paysage à un endroit hautement symbolique. On est sur une route, par où circulent les personnes, les fonctionnaires de l'empire, les marchandises et les armées, le lieu par excellence où s'incarne la pax romana. C'est alors la frontière entre l'Italie et la province de la Narbonnaise.


On voit Auguste de très loin.

L'édifice a été fortifié et habité au Moyen Âge (comme toutes les ruines romaines partout en Europe). Il a ensuite servi de carrière pour le village avant d'être classé monument historique en 1860, après le rattachement du comté de Nice à la France. Des fouilles ont eu lieu au début du XXe siècle, grâce au mécène américain Édouard Tuck. Ce que nous voyons aujourd'hui a été édifié et reconstruit au début du 20e siècle.

La visite du monument nécessite donc très peu de temps puisqu'il n'y a pas grand-chose à y voir.

La Turbie est un charmant village, desservi par un bus (un bus par heure) au départ de Monaco. Pour ma part, je l'ai visité en mars 2025, en compagnie d'une famille d'Anglais ou d'Américains en imperméable bleu, c'était typique.



Photo prise sur le site de Wikipedia par beau temps : vous voyez en bas Monaco et littéralement au-dessus, le petit bâton blanc qui dépasse en haut du relief, c'est le trophée. Vous comprenez que la route soit impressionnante (lacets et forte pente) et que le village de la Turbie soit souvent pris dans les nuages.

La Côte d'Azur sur le blog : Visite de Nice : musée Chagall et palais Lascaris ; Villa Kérylos ; Villa Ephrussi de Rothschild ; village d'Èze ; chemin de croix de Vence ; Balade à Menton ; Jardin Serre de la Madone

Prochain billet touristique dans deux semaines. En attendant, c'est moi qui vais faire du tourisme.




jeudi 6 novembre 2025

On aurait cependant tort de voir dans cet affranchissement un simple acte de bienveillance.

 

Julie Duprat, Casimir Fidèle, 1748-1796, parcours d'un affranchi, 2025, CNRS Éditions.

Là, c'est de l'histoire.

Celle de Casimir Fidèle, donc, puisque c'est le nom qu'on lui donne, à défaut de connaître le sien. Né sur le continent africain, razzié, vendu sur la côte de Guinée pour être déporté dans les plantations de Saint-Domingue, mais approprié par un officier du navire, qui l'amène avec lui à Nantes. Où il est revendu, mis en apprentissage, revendu... Oui parce qu'au XVIIIe siècle l'esclavage se porte assez bien Métropole également. Puis à Bordeaux, affranchi, il ouvre son hôtel. Hôtel de luxe pour toute l'élite locale (notamment celle qui vit du commerce des esclaves et du sucre). Et arrive la Révolution...

Le 15 mai 1791, ce sont tout d'abord les personnes de couleur nées de père et mère libres, comme Raimond, qui accèdent à la citoyenneté pleine et entière. Il faut cependant relativiser la portée du décret : ces personnes ne représentent que 5 % seulement de la population totale des libres de couleur.

Duprat étudie tout cela, archives sous les yeux, consultant ses collègues, bâtissant des hypothèses, s'interrogeant sans cesse. A-t-il vécu ceci ou cela ? Fut-il bon et généreux ou rusé et un peu égoïste ? Quels furent ses sentiments, au moment d'ouvrir son propre établissement, ou encore au moment de l'abolition de l'esclavage ? Et ses relations avec le reste de la population noire de Bordeaux ? Quoi de commun entre les riches fils de planteurs, métis, père bordelais et mère esclave, et les affranchis, entre ceux nés en Afrique et ceux nés à Saint-Domingue ? Pas grand-chose peut-être... Mais on ne sait pas. Et l'histoire, c'est aussi raconter ce que l'on sait et ce que l'on ne sait pas, mais que l'on peut supposer. C'est aussi la tentative d'amener un peu de chair derrière les documents des archives, qui sont loin d'être froids, mais qui ne sont pas toujours bavards.

J'ai connu cette exploration des archives. Étudiant un critique et collectionneur d'art, j'ai connu ce moment où l'on oublie de déjeuner (oui !) parce que l'on a trouvé par hasard la description du logement de l'individu dont on ne savait rien une heure auparavant. Alors, au-delà de l'histoire passionnante, patiemment restituée (et non pas reconstituée), je partage l'enthousiasme de l'historienne.

« Natif d'Arada, Côte de Guinée ». C'est l'origine que l'administration française lui attribua sur son acte de baptême. Et aujourd'hui, c'est le seul mot, la seule piste dans les archives qui me permet d'esquisser ce que fut sa vie sur le continent africain, de sa naissance en 1748 à sa déportation en 1754.

C'est le début.

Anonyme, Portrait de domestique, 18e siècle, Le Havre musées Art et H


Au siècle des Lumières, les tables sont envahies de produits exotiques : sucre, cacao entre eutres, qui modifient considérablement les habitudes alimentaires des Français. Ces produits, arrivés par bateau, apportent avec eux une immense charge coloniale. Faire cuisinier ces produits par les mêmes personnes qui, aux colonies se tuent à la tâche pour les cultiver, devient le comble du luxe. À Nantes, un tiers des esclaves apprentis sont ainsi destinés à devenir cuisiniers.
Si le sujet vous intéresse, j'avais parlé d'une exposition en Normandie.

Depuis quelques dizaines d'années, le statut de cuisinier, jusque-là largement déprécié, connaît une toute nouvelle valorisation sociale. Qu'il soit esclave comme les autres n'y change rien : dans la maison Soissons comme dans les plantations aux colonies, les esclaves aussi ont leur propre hiérarchie et certains, comme Casimir, sont munis de plus de pouvoir que d'autres. (…) J'aurais préféré, évidemment, l'image d'un Casimir irréprochable, prêt à aider ceux qui partagent sa condition servile, mais c'est plutôt celle d'un homme distant avec les autres esclaves qui se forme à la lecture des archives.

Ce livre se lit très facilement (par exemple : un aller-retour Marseille-Montpellier), je vous le recommande vivement. Vous apprécierez le récit de la rencontre entre Casimir Fidèle et le sénateur Belley et celui de la rencontre entre l'historienne et les descendants du héros. Aujourd'hui, un collège de Bordeaux porte le nom de Casimir Fidèle.

De Julie Duprat, j'ai également lu Bordeaux Métisse sur la présence noire à Bordeaux au 18e siècle (mon billet parle d'ailleurs de Casimir Fidèle).

Si le sujet vous intéresse, mais que vous avez la flemme ou que votre trajet en train est plus court, je vous suggère d'écouter Julie Duprat dans ce podcast.


lundi 3 novembre 2025

Le reste fut chemin de croix, descente à tous les abîmes du regret.

 

Thomas Mann, La Mort à Veniseparution originale 1912, traduit de l'allemand par Geneviève Bianquis, première publication française chez Fayard.

Une centaine de pages et une histoire archi connue, mais j'ai eu envie de la relire.

Au tout début nous faisons connaissance avec Gustav Aschenbach, écrivain allemand reconnu et célèbre (que nous qualifierions peut-être de vieille baderne). Suite à une promenade et à un visage soi-disant étrange entrevu, il entreprend un voyage sur les côtes de l'Adriatique et après une série d'hésitations, il arrive à Venise. Une Venise enchanteresse et fascinante qu'il n'aime guère, un peu malsaine et pourrissante, souvenir des anciens marais. Dans son grand hôtel, le voici découvrant la beauté d'un adolescent d'une famille polonaise, Tadzio. Il succombe sans lutter à la tentation de se repaître de sa vue (car ils ne s'adresseront pas la parole), de le suivre, de le détailler, sans penser à l'épidémie de choléra qui approche.

Sur une place tranquille, un de ces endroits qui donnent une impression d'oubli et de solitude enchantée comme il s'en trouve au cœur de Venise, il s'assit pour se reposer sur la margelle d'un puits, s'essuya le front et se rendit compte qu'il devait quitter le pays.

Romain malsain par excellence. Cet homme âgé qui se pâme devant un corps encore enfant, se répétant les mots d'éphèbe et de virilité pour camoufler le caractère pernicieux de son désir. Tout est dans le regard et dans les mots d'Aschenbach. Ses rêveries et ses réflexions sont tout entières sous le signe de l'Antiquité grecque, il se voit en Socrate éduquant un jeune homme, transfigure ses pensées en apparition d'Apollon ou de Bacchus... Ce roman est un très bel ouvrage de langage, mêlant la description de la vie des bains de mer à l'évocation poétique.

Venise est campé en décor de cette passion morbide, ville superbe et décrépite, où le choléra rôde, où tout le monde ment pour ne pas effrayer les touristes, décor où l'on se perd à tous les sens du terme.


Il voyait un paysage, un marais des tropiques, sous un ciel lourd de vapeurs, moite, exubérant et monstrueux, une sorte de chaos primitif fait d'îles, de lagunes et de bras de rivière charriant du limon ; d'une profusion de fougères luxuriantes, d'un abîme végétal de plantes grasses, gonflées, épanouies en fantastiques floraisons, il voyait d'un bout à l'autre de l'horizon surgir des palmiers aux troncs velus...
C'est avant d'arriver à Venise. Cet imaginaire de la jungle reviendra dans ses pensées sous la forme du terrible choléra asiatique.

Comment n'y avait-il pas pensé plus tôt ? – Il vit où il fallait aller. Où va-t-on quand on veut du jour au lendemain échapper à l'ordinaire, trouver l'incomparable, la fabuleuse merveille ? Il le savait. Que faisait-il ici ?

J'avoue avoir ressenti la même excitation quand j'ai commencé à préparer mon propre voyage à Venise. Ville de tous les rêves, malgré tout.

Et penché en arrière, les bras pendants, accablé et secoué de frissons successifs, il soupira la formule immuable du désir... impossible en ce cas, absurde, abjecte, ridicule, sainte malgré tout, et vénérable même ainsi.

1912... difficile de se dire que Proust n'a pas pensé à Aschenbach dans les développements finaux de son personnage de Charlus.

Mon premier billetUn billet sur le film.

Cimetière San Michele à Venise. Avril 2025.


Thomas Mann, Les Buddenbrook, parution originale 1901, traduit de l'allemand par Geneviève Bianquis, première publication française chez Fayard.


Initialement j'avais prévu de lire ce (gros) livre, histoire du déclin d'une riche famille de Lübeck, premier roman de Mann, classique.
Las. Après en avoir lu 80 ou 90 pages sans aucun problème – ça se lit bien –, je fus obligée de constater que... je n'en avais rien à faire et que tous ces gens m'ennuyaient. C'est plat comme la Beauce. S'il faut ajouter à cela le constat que l'on est sur un livre déterministe (parce que le « déclin » est dans le sous-titre), je me suis dit que cela suffisait.
Il y a quand même un point qui me paraît notable : les personnages du début du libre parlent allemand ou dialecte plattdeutsch, ou un peu des deux. Les notations sont nombreuses à ce sujet. Cela relève peut-être l'intérêt du texte allemand.

J'ai lu La Montagne magique il y a pas mal d'années et je n'avais pas envie de le relire (et pourtant on me dit grand bien d'une traduction récente). Le texte m'avait plutôt plu, même si les longues discussions philosophico-politiques m'avaient complètement lassée.

Et donc, en lieu et place de Lübeck, c'est encore et toujours Venise qui rejoint Sous les pavés, les pages d'Athalie et Ingannmic.

Lecture commune autour de Thomas Mann lancée par Sibylline.

Première participation aux Feuilles allemandes d'Eva et de Patrice.






samedi 1 novembre 2025

Serre de la Madone à Menton

 

Le blog est en PACA et depuis la semaine dernière en escale à Menton. Aujourd'hui visite du jardin Serre de la Madone.

Ce grand jardin bâti sur une pente est une merveille. Il a été créé entre 1924-1939 par Lawrence Johnston*, citoyen américanobriannique, et il est aujourd'hui la propriété du Conservatoire du littoral (et oui, de la pointe du Raz à Menton, le Conservatoire est là).

60 000 mètres carrés de jardins en terrasse à parcourir... difficile de tout voir d'un seul coup, car les plantes y poussent à profusion.

Escaliers, sentiers pentus, terrasses... nous prenons de la hauteur et découvrons de nouveaux points de vue après quelques mètres. Différents univers coexistent, grands arbres, roseraie, serres, liane, camélias gigantesques, un chat se promenant là...

Un bassin apaisé avec de grandes herbes et une statue offre une échappée sur la villa qui domine la propriété.


Allez on continue à monter.


Dans la villa, pas grand-chose, seulement quelques photos. Mais c'est aussi l'occasion de s'abriter d'un très gros orage qui est tombé juste à ce moment et qui est responsable des très belles couleurs et du fait qu'il n'y avait absolument personne.


Sur le côté une prairie verte et rouge, magique.


Mes conditions de visite : j'y suis arrivée un samedi alors que la pluie menaçait, il n'y avait personne. J'ai pu marcher avec précaution dans les sentiers escarpés boueux. Pendant l'orage et la pluie, un premier abri dans la villa, puis à l'accueil, où j'ai bu un café et discuté avec la dame. Ensuite, le soleil est revenu, donc hop, seconde exploration, j'étais seule et les couleurs étaient superbes. Quel plaisir ! Ensuite j'ai repris le bus, car le lieu est desservi par les transports en commun depuis le centre de Menton (un bus par heure).

Après la pluie vient le beau temps, n'est-ce pas. Un lieu de rêve. D'ailleurs on dit que Zola y a écrit La Faute de l'abbé Mouret.
Ne se croirait-on pas en Italie ?




Il y a d'autres jardins à voir à Menton, mais je les visiterai une prochaine fois.

* Lisant Wikipedia, je découvre que le même Lawrence Johnston a aussi créé un jardin dans le Gloucestershire. Faut que j'aille le visiter !

Mon billet sur Menton. La semaine prochaine, on remonte à l'Antiquité.


jeudi 30 octobre 2025

On pouvait s'y promener avec la pensée, s'y perdre, s'y arrêter pour prendre le frais, ou s'en échapper à toute allure.

 

Italo Calvino, Les Villes invisibles, parution originale 1972, traduit de l'italien par Martin Rueff, édité en France par Folio Gallimard.

Kublai Khan et Marco Polo devisent... Surtout le second bien sûr, qui livre à l'empereur un devisement des villes imaginaires ou imaginables de l'empire.

Des villes absurdes, posées sur le vide, villes inaccessibles, villes dotées d'un envers qui est peut-être la vraie ville, villes figées ou en perpétuelle transformation...Ville du désert mais bâtie sur pilotis, ville sans toits, ni murs, ni sols mais uniquement composée de tuyaux de canalisation, ville de fils tendus, ville à la nécropole identique à la vraie ville, ville de déchets, etc.

Ainsi, en voyageant sur le territoire d'Ersilia, on rencontre les ruines de villes abandonnées, sans les murailles qui ne durent pas, sans les os des mors que le vent fait rouler : des toiles d'araignée de rapports enchevêtrés qui cherchent une forme.

Ces villes portent toutes des noms de femmes (de là à conclure que c'est un roman où deux hommes parlent des femmes...), ce qui contribue, sans doute, à l'aura de mystère qui les entoure. On les imagine posées dans le désert ou les montagnes, au milieu de l'immensité de l'empire mongol. Pourtant si on lit bien, certaines intègrent des éléments de modernité (tramway, métro, usines), mais rien à faire, je les visualise en créatures orientales, à coupoles dorées et à murs de brique crue. Est-ce pour cela que le livre me paraît totalement suranné ? Peut-être.


Il faut dire que c'est une seconde tentative pour moi. À la première lecture, le livre m'était tombé des mains. Après avoir vu plein de gens le porter aux nues, comme je ne suis pas (pas totalement) obtuse, j'ai récidivé. Cette fois, je suis allée au bout, mais sans être conquise.
Je note que les différentes villes ne sont pas créées par un imaginaire débridé et aléatoire. À cet égard, le livre peut très bien se lire dans un autre ordre, en suivant les différents modèles (peut-être à la troisième tentative?). Le ton soi-disant descriptif pourrait être celui d'un voyageur ethnographe, mais j'avoue qu'il a du mal à retenir mon attention. Le projet m'intéresse donc, mais j'achoppe un peu à la réalisation.

Et les deux bonshommes ? Ils font des phrases et ça...ça m'intéresse pas du tout. Kublai Khan apparaît comme un prince mélancolique, un grand sage, au palais et au jardin merveilleux, et pas du tout comme un mongol de la steppe. Marco Polo est une sorte de courtisan, habile à distraire le prince, un italien bavard se sortant de toutes les situations.

Évidemment, à l'arrière-plan de toutes ces villes imaginaires, il y en a une, bien réelle, avec ses canaux et ses palais posés sur l'eau, à peine plus irréelle que les autres.

Canaletto, Caprice vénitien, Château Arundel


S'il part de là et qu'il voyage trois journées vers le levant, l'homme se trouve à Diomira, ville aux 60 coupoles d'argent, aux statues de bronze de tous les dieux, aux rues pavées d'étain, au théâtre de cristal, au coq d'or qui chante chaque matin du haut d'une tour. Toutes ces beautés, le voyageur les connaît déjà parce qu'il les a vues aussi dans d'autres villes. Mais ce qui est propre à celle-ci c'est que celui qui y arrive un soir de septembre, quand les journées raccourcissent et que les lampes multicolores s'allument toutes d'un coup aux portes des friteries, et qu'une femme, depuis une terrasse, hurle : ouh !, se met à envier ceux qui pensent avoir déjà vécu une soirée identique à celle-là et avoir été heureux cette fois-ci.

C'est la première ville.

Prenez garde de ne pas leur dire que parfois des villes différentes se succèdent sur le même sol et sous le même nom, naissent et meurent sans d'être connues, incapables de communiquer entre elles. Parfois, même les noms des habitants restent les mêmes, et l'accent des voix, et jusqu'aux traits des visages ; mais les dieux qui habitent sous les nom et sur les lieux s'en sont allés sans mot dire et à leur place se sont logés des étrangers.

J'ai déjà essayé, en vain, de lire Le Dévisement du monde. J'aimerais bien lire quelque chose à son sujet. Je vous tiens au courant.

Évidemment, ces villes imaginaires n'ont pas de peine à trouver leur place sous les pavés, la page. Ce sont Athalie et Ingannmic qui devisent ensemble de toutes les villes des livres.


Calvino sur le blog :
Les Villes invisibles : le récit de ma première tentative.
Si une nuit d'hiver un voyageur : quand l'auteur s'amuse.
Le Baron perché : un conte philosophique. Le Vicomte pourfendu : un roman de fantaisie. Le Chevalier inexistant : magnifique roman sur un chevalier habitant une armure vide.
Liguries : recueil de textes sur la Ligurie.
Les Amours difficiles : un recueil de nouvelles. L
Liguries : recueil de textes sur la Ligurie.
Les Amours difficiles : un recueil de nouvelles. Le petit silence quotidien des personnes ordinaires.