Je me suis inscrite de bon cœur
au
défi victorien lancé par Aymeline en me promettant de lire Kipling, les sœurs Brontë et Georg Eliot suggéré par Grillon. Aymeline, chef de challenge dynamique, organise des mois thématiques et février, c’est
Oscar Wilde.
Je viens de relire
Le Portrait
de Dorian Gray, non pour en faire un billet
sur ce blog mais pour me le remettre en mémoire. J’ai d’autant plus apprécié cette relecture que j’avais totalement
oublié que ce roman contient un éloge appuyé à Théophile Gautier et à son
recueil Émaux et Camées (mais je
ne devais pas connaître la poésie Gautier lors de ma première lecture).
Renversé, les yeux mi-clos, il se répétait sans
cesse :
Devant une façade rose,
Sur le marbre d’un escalier.
Tout Venise était dans ces deux
vers. Il se rappela l’automne qu’il y avait passé et le merveilleux amour qui
l’avait amené à commettre des folies insensées et délicieuses. Il y a du
romanesque partout, mais Venise, comme Oxford, a conservé un décor de roman,
et, pour un homme vraiment romanesque, le décor, c’est tout, ou presque
tout.
Relisons Gautier :
Venise pour le bal s’habille.
De paillettes tout étoilé,
Scintille, fourmille et babille
Le carnaval bariolé.
En réalité, c'est tout le recueil de Gautier que dévore Gray pour essayer, vainement, d'oublier ce qu'il vient d'accomplir :
Il médita les vers qui,
tirant leur musique d’un marbre marqué de baisers, parlent de l’étrange statue
que Gautier compare à une voix de contralte, ce monstre charmant tapi dans la
salle de porphyre du Louvre. Mais après un temps, le livre glissa de sa
main.
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J. Whistler, Symphonie en Blanc, N°2 -
La Petite Fille blanche, 1864
Londres, Tate Collection, image RMN
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Le fameux poème commence ainsi :
On voit dans le Musée antique,
Sur un lit de marbre sculpté,
Une statue énigmatique
D’une inquiétante beauté.
Gautier donne la note esthétique
(l’art pour l’art, c’est lui), tout en glaçant le thème. Rapprocher Dorian Gray
des statues des poèmes de Gautier le fige dans une éternité un peu précieuse et
recherchée.
Autre héros de roman français qui
sert de modèle à Dorian Gray, le Des Esseintes d’À rebours de Joris-Karl Huysmans. Au cours de sa vie, Gray
aura diverses passions, les plantes exotiques, les parfums, les tentures
anciennes, les œuvres d’art, se lassant de tout et restreignant de plus en plus
sa vie aux mètres carrés de son hôtel.
Il ressentait des faims insensées
qui devenaient d’autant plus féroces qu’il les rassasiait.(...)
Car ces trésors, ainsi que
toutes les collections de sa belle maison, étaient pour lui des moyens
d’oublier, des façons d’échapper, pour un temps, à une peur qui quelquefois lui
paraissait intolérable.
J’ai relu
Le Portrait tout en ayant sous les yeux le catalogue de
l’exposition qui vient d’avoir lieu au Musée d’Orsay, Beauté, morale
et volupté, adaptation française de
l’exposition The Cult of Beauty : The Aesthetic Movement 1860-1900. Si vous pouvez vous le procurer en bibliothèque, je
vous le conseille vraiment. C’est un très bel album qui campe l’atmosphère du
roman de Wilde : les objets japonisants, le goût pour la Renaissance
préraphaélite, les objets d’art précieux de toutes sortes, l’importance de ces
maisons dont le décor est pensé comme un tout…
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Rossetti, Jeanne d'Arc embrassant l'épée de la délivrance
1863, Strasbourg, musée d'Art moderne, image RMN.
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Une horrible fascination se
dégageait d’eux tous. Il les voyait la nuit et, le jour, ils troublaient son
imagination. La Renaissance connaissait d’étranges manières
d’empoisonnements : au moyen d’un casque, d’une torche enflammée, d’un
gant brodé, d’un éventail orné de joyaux, d’un brûle-parfum doré et d’une
chaîne d’ambre. Dorian Gray avait été empoisonné par un livre.
Tout cela pour dire que je vais
lire la Salomé d’Oscar Wilde… Salomé car Huysmans dans À rebours en livre une très belle évocation, en rendant
hommage à Gustave Moreau :
Elle est presque nue ; dans
l’ardeur de la danse, les voiles se sont défaits, les brocarts ont
croulé ; elle n’est plus vêtue que de matières orfèvreries et de minéraux
lucides ; un gorgerin lui serre de même qu’un corselet la taille, et,
ainsi qu’une agrafe superbe, un merveilleux joyau darde des éclairs dans la
rainure de ses deux seins ; (…).
Et on retrouve encore cette
association de la sensualité de la femme nue et des matières froides et
glacées.
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Moreau, L'Apparition, vers 1876
Paris, musée Gustave Moreau
image RMN.
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Salomé car il y a en arrière plan Hérodias, le conte de Gustave Flaubert et Hérodiade, le long poème de Stéphane Mallarmé :
Reculez.
Le blond torrent de mes cheveux
immaculés,
Quand il baigne mon corps
solitaire le glace
D’horreur, et mes cheveux que la
lumière enlace
Sont immortels. Ô femme, un
baiser me tûrait
Si la beauté n’était la mort…
Et parce que le cataogue
Beauté,
morale et volupté contient une présentation
des Salomé du XXe
siècle au cinéma et à l’opéra*. Donc, bientôt sur ce blog, un billet sur Salomé de Wilde.
Stéphane Mallarmé, Hérodiade. Scène, 1865. Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, traduit de l’anglais par Vladimir Volkoff, 1890. Joris-Karl Huysmans, À rebours, 1884. Théophile Gautier, extrait de Contralto et Variations sur le carnaval de Venise, dans Émaux et Camées, 1852. Beauté, morale et volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde, cat. expo., Musée d’Orsay, 2011.
Retrouvez tous les billets du
défi victorien chez
Aymeline.
*Je pense que les gens d’Orsay essaient
de me faire une grande déclaration d’amour puisque la nouvelle exposition est
consacrée à
Akseli Gallen Kallela, le grand peintre finlandais.