La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



samedi 30 mai 2020

La Résurrection

Parcours dans les images conservées dans mon ordinateur… aujourd’hui Jésus ressuscite !

Jésus ayant été arrêté, jugé et condamné, torturé, mis à mort et enterré (et tout cela dans la journée du vendredi), l’histoire devrait normalement s’arrêter là.
Mais deux jours plus tard, le dimanche, les saintes Femmes se rendent au tombeau et constatent que la pierre qui fermait l’ouverture a été roulée de côté et que le sépulcre est vide.
Précision : les Saintes Femmes désignent traditionnellement Marie-Madeleine, Marie Jacobé (mère du disciple Jacques) et Marie-Salomé (mais leurs noms peuvent varier). Je vous rappelle qu’elles sont honorées aux Saintes-Marie-de-la-Mer.
Cette résurrection témoigne de la puissance de Dieu, confirme le statut de Jésus, pleinement homme et pleinement dieu, dieu devenu chair, et annonce la résurrection ultime des êtres humains. Sauf que les disciples de Jésus n’auront confirmation de sa résurrection que lors qu’il apparaîtra à plusieurs reprises. Pour le moment... il leur faut constater que le tombeau est vide et croire que leur ami est ressuscité, mais sans en avoir la preuve.
Dans les beaux-arts, c'est l'inverse : nous avons abondance de représentations de Jésus en train de sortir du tombeau.


Je commence par cette photo d'une plaque d'ivoire (Allemagne, 1350-1400, Cloisters) qui montre plusieurs scènes de la vie de Jésus, dont, au centre : la Résurrection avec Jésus qui enjambe le bord du tombeau et la descente au Limbe avec Jésus qui sort Adam et Ève de la gueule de l'Enfer. Avec ces deux scènes, la victoire sur la mort est totale.

Cette plaque d'ivoire représente Les saintes femmes au sépulcre (Italie, Xe siècle, Cloisters). Vous voyez les gardes profondément endormis en haut, un ange assis devant le tombeau dont la porte est entrouverte et les saintes femmes en bas à droite. C'est une très jolie petite représentation, très délicate. Ici le tombeau n'est ni un sarcophage à l'antique ni une caverne creusée dans la roche, mais déjà l'église du Saint-Sépulcre telle qu'elle sera construite plusieurs siècles plus tard, un édifice circulaire à colonne qui deviendra le symbole même de Jérusalem dans toutes les peintures.

D'ailleurs... un point sur les gardes. Ici vous avez une sculpture du XIVe siècle (musée de l'oeuvre Notre-Dame à Strasbourg) et une peinture de Noël Bellemare (16e siècle, Paris église Saint-Gervais-Saint-Protais). La présence des soldats ajoute beaucoup d'intérêt aux peintures. Nous les voyons soit profondément endormis, inconscients du moment historique qui est en train de passer, soit renversés sur le sol et éblouis. J'ajoute que les armures rutilantes, les armes ornées et exotiques, les couleurs des vêtements constituent un atout indéniable pour des peintres de talent, comme nous le voyons dans le tableau de Bellemare.

Encore une fois, Grünewald est là (toujours le retable d'Issenheim, du musée des Unterlinden). Après avoir montré Jésus pleinement mort comme un homme, ayant souffert l'agonie, le corps mutilé et déformé, voici un Jésus triomphant en Technicolor - ça claque ! Les soldats sont à terre, écrasés par l'événement cosmique, les quatre fers en l'air. Le linceul se déploie comme un voile ou une toge de majesté, le blanc se transforme en rouge et la lumière jaillit !

Certaines résurrections sont pleines d'une joie naïve, façon "coucou me voilà" ou "Yeah trop fort". Étonnamment, c'est le cas de ce petit bas-relief en albâtre peint (XVIe siècle, musée d'art de Gérone). Alors que Jésus dégouline de sang, il surgit tout joyeux du tombeau. Encore une fois, les instruments du martyre (croix et linceul) se transforment en instrument de la victoire !

Une peinture que je trouve très étonnante : Le Christ ressuscité de Bramantino (tempera, Thyssen Bornemisza). Cette peinture date de 1490, mais elle ne déparerait pas parmi des oeuvres de 1920. Jésus, livide, a un corps musclé, à l'antique, mais rigide. C'est presque un marbre (le peintre est influencé par Mantegna). Les lignes en sont raides. Et la juxtaposition des blancs et des rouges produit un effet inquiétant. Le visage de Jésus est grave - c'est un mort-vivant. À l'arrière-plan, on aperçoit une croix. La lune répand une pâle lumière. Cette résurrection est pleine d'inquiétude.

Et voilà, il est vivant ! Il ne reste plus qu'à répandre la bonne nouvelle.

Je vous ai montré des natures mortes (XVIIe et XIXe siècles) en prenant prétexte du Carême. Puis vous avez eu les RameauxLa Cène et le Lavement des pieds. Puis, la nuit au Jardin des Oliviers et l'arrestation du Christ. Le procès de Jésus (flagellation et couronnement d'épines). L'heure du Ecce homo. La montée au Calvaire ou portement de croix. La Crucifixion. La Déposition de Croix. Jésus est mis au tombeau et puis il descend au Limbes.
***
Mon front n'est pas encore ressuscité, mais depuis le début du mois je n'ai plus de pansement sur le front, plus d'infirmière qui passe tous les jours. Mes premières journées sans infirmière ont été sous le signe de la liberté. Oui, malgré le confinement, j'avais l'impression de pouvoir partir en vacances immédiatement. Mon front est donc orné d'une grande cicatrice circulaire très originale - il est donc souvent orné d'un chapeau. Un jour, à l'automne ou en janvier, je retournerai à l'hôpital pour me faire refaire un grand front tout neuf ! D'ici là, je suis facile à reconnaître.

jeudi 28 mai 2020

Quand j’étais mortel, il y a si longtemps de ça, là où le temps existe encore.

Javier Marías, Mauvaise nature, recueil de nouvelles, traduit de l’espagnol par Anne-Marie Geninet, Alain Keruzoré, Charlotte Lemoine et Jean-Marie Saint-Lu, publication originale de 1991 à 2012, édité en France par Gallimard.

Un auteur repéré de ci, de là (chez Keisha donc) et j’ai eu le plaisir de trouver ce recueil de nouvelles il y a quelques mois. Un régal.
Comment vous présenter l’inspiration ? Des nouvelles réalistes, mais flirtant avec le malaise, le sinistre, le légèrement fantastique, l’incompréhensible et le non-dit (un petit poil de Maupassant, non ?).

Viana pinça les lèvres et passa une main sur son crâne, comme s’il lissait ses cheveux absents, un geste ancien. Il était pensif. Je le laissai penser, mais il s’éternisait. Je le laissai penser. Enfin il reprit la parole, sans répondre à ma question cependant, il en était encore à la précédente.

Il y a un lycée anglais de Madrid qui a son petit fantôme à soi et des histoires racontées par des morts. Il y a d’ailleurs une anglomanie. 
Le thème du double est aussi très présent. Un homme rentre de la guerre, mais découvre qu’il vit déjà avec son épouse. Un homme rencontre son double et essaie de s’en détacher. Un couple observe un autre couple. Deux hommes se racontent des choses inavouables pendant que leurs épouses dorment. Des hommes qui racontent le meurtre qu’ils sont sur le point de commettre.
Cela raconte la complication de la psyché humaine, avec ses allers et retours, ses contradictions, un homme qui a épouvantablement besoin de celui qu’il déteste, un homme qui parle de son meilleur ami alors qu’ils n’avaient pas l’air si amis que cela, des relations amicales qui se ressemblent.
Pignon-Ernest, Grenoble 1976.
C’est un univers un peu inquiétant (il y a là quelque chose du K.) où les policiers et les administrations ont un peu trop de liberté, où la population sait qu’elle ne doit pas dire tout ce qu’elle pense, où on accepte des décisions un peu trop arbitraires. Une petite ambiance post-franquisme.
Les hommes sont habillés d’une façon un peu désuète ou clinquante, avec des bottines ou des cravates colorées. On fait preuve d’une vraie ou fausse érudition.
Et tout n’est pas dit au lecteur.
Il y a aussi une histoire avec Elvis Presley !

Je l’ai vu deux fois en personne, et la première fut à la fois la plus joyeuse et la plus malheureuse, mais rétrospectivement quant à ce second point, c’est-à-dire, mais pas alors, donc, en fait, je ne devrais pas dire ça.

C’est avec cet auteur que je clos mes participations au mois de mai espagnol de Sharon, mais je compte bien lire ses romans !
Billet paru par erreur il y a quelques jours... navrée Keisha, il faut que tu recommences ton commentaire enthousiaste !

mardi 26 mai 2020

Il savait attendre son heure avec une patience digne des temps primitifs.

Jack London, L’Appel de la forêt, parution originale 1903, traduit de l’américain en 1905 par Mme de Galard.

Le héros est un chien, Buck. Un grand chien kidnappé et vendu pour devenir chien de traîneau en Alaska – on est à l’époque de la ruée vers l’or. Au fur et à mesure du roman, Buck se décivilisera et retrouvera en lui les réflexes de la sauvagerie et de la liberté.
Mouais. Comme dans Croc-Blanc, nous suivons principalement le point de vue du chien. Je trouve que tout le passage d’apprentissage et de vie du chien de traîneau est bien rendu : rapport de forces entre les chiens, différence de personnalités, rapport avec l’être humain. Ce n’est pas évident et London s’en tire plutôt bien. Il y a aussi de belles évocations de la forêt.
Mais j’ai été agacée par la vision très « force brute virile » du roman – London n’aurait jamais cru possible qu’une meute soit menée par une vieille louve. Je lui reconnais sur ce sujet un point fort : la description des combats d’animaux tient la comparaison avec celle des combats de boxe ! C’est la même veine, tout à fait brillante. Mais ce délire fasciné sur la force physique… pffff. Rasoir.
Heureusement, il y a des passages d’une certaine grandeur et c’est bien beau de réussir à donner cette dignité à un chien.
Un monde cruel, plein de violence et de peur.

Quand l’aurore boréale brillait froide et calme au firmament, que les étoiles scintillaient avec la gelée, et que la terre demeurait engourdie et glacée sous son linceul de neige, ce chant morne, lugubre et modulé sur le ton mineur, avait quelque chose de puissamment suggestif, évocateur d’images et de rumeurs antiques. C’était la plainte immémoriale de la vie même, avec ses terreurs et ses mystères, son éternel labeur d’enfantement et sa perpétuelle angoisse de mort ; lamentation vieille comme le monde, gémissement de la terre à son berceau ; et Buck, en s’associant à cette plainte, en mêlant fraternellement sa voix aux sanglots de ces demi-fauves, Buck franchissait d’un bond le gouffre des siècles, revenait à ses aïeux, touchait à l’origine même des choses.

Gainsborough, Chien de chasse, Petworth House

Lecture commune approximative avec Claudia Lucia.
London sur le blog :

samedi 23 mai 2020

La Mise au tombeau et la Descente au Limbe

Dans la vraie vie, nous venons de passer le jeudi de l’Ascension. Sur ce blog, qui raconte la Passion du Christ au fil de quelques peintures, nous n’en sommes pas tout à fait là.

En tant que condamné à mort, le corps de Jésus aurait pu être déposé dans une fosse commune. Mais grâce à Joseph d’Arimathie, il en fut autrement. Le tombeau de Jésus est creusé dans la roche et une lourde pierre en ferme l’entrée.

En peinture, la Mise au tombeau se confond souvent avec la Déploration (par exemple, la peinture du Rosso que je vous ai montrée la semaine dernière a pour décor la caverne servant de tombeau).

C’est avec cet épisode que s’achève le vendredi.

Il est souvent difficile de s'y retrouver entre les versions différentes rapportées par les Évangiles et les diverses traditions suivies par les peintres. Je tiens quand même à souligner un point : Jésus meurt le vendredi et ressuscite le dimanche, tout en restant mort pendant 3 jours. Quand j’étais petite, c’était un vrai mystère insondable, qui se résout facilement si l’on songe que les Juifs, les Romains et nous-mêmes comptons les jours chacun à notre manière.
Panneau central du Triptyque de la Mise au tombeau de Maerten Van Heemskerck (1559, Musées royaux de Bruxelles). Un peintre hollandais qui s'est rendu en Italie. Ses peintures mêlent les grandes figures et les détails réalistes (la coiffe de notable de Joseph d'Arimathie voisine avec la couronne d'épines !). Ici, le corps de Jésus est superbe, traité comme un marbre antique. Les stigmates sont visibles mais sans une goutte de sang. Les mains entrelacées de la Vierge, presque au centre de la toile, sont impressionnantes. La caverne est devenue un sarcophage antique autour duquel tout le monde peut se regrouper.

Nouveau fragment du Retable d'Issenheim de Mathias Grünewald (1515, Colmar). Le panneau de la Mise au tombeau (qui est aussi une Déploration) se trouve sous la Crucifixion, montré il y a 2 semaines, et donc à la hauteur des yeux du spectateur. Ici, le spectacle est très effrayant : le corps de Jésus est verdâtre et couvert de sang. Ses pieds se sont déformés et ses mains ressemblent à des griffes de sorcières. Jean présente le corps à la Vierge dont le visage est caché et il n'y a aucun détail pour nous distraire de cette vue terrible. Le corps est montré dans toutes les souffrances de sa longue agonie.

Autre point : et que se passe-t-il durant ces trois jours ? Il y a un certain nombre de mythes ou de récits qui prennent place durant ce temps où Jésus (et donc Dieu) est absent de la Terre et pendant lequel les êtres humains accomplissent toutes sortes d'horreurs.
Mais Jésus ? Et bien, il est descendu au limbe !
Les Limbes… Sont une création scolastique du Moyen Âge et il en existe deux :
Le Limbe des patriarches qui accueille les âmes des justes mortes avant la Résurrection, c'est-à-dire tous les gens importants de l'Ancien Testament (prophètes, patriarches et d'autres), mais aussi les païens que souhaitent récupérer l'Église (pardon, qui ont eu la malchance de vivre avant la Révélation, mais ça n'en fait pas de mauvais bougres pour autant) et en premier lieu, Aristote. C’est ce qu’on appelle le sein d’Abraham.
Et le Limbe qui accueille les âmes des enfants morts sans baptême (qui ne peuvent pas aller au Paradis, mais qu’aucune âme charitable n’ose envoyer en Enfer). 
Sur le sujet, il faut lire Jacques Le Goff bien sûr.
Wikipedia m’apprend qu’en 2007 l’Église catholique romaine a indiqué que l’existence des Limbes n’avait aucun fondement théologique. Donc, ce n’est pas un dogme, mais c’est une option acceptable !

Aujourd’hui, c’est le Limbe des patriarches qui nous importe. En effet, Jésus est descendu au limbe pour délivrer les justes et leur permettre d’accéder au Paradis. Rappelez-vous : le Paradis a été fermé depuis la faute d’Adam et Ève. Cette partie du mythe permet donc de faire le lien entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Pas mal de gens sont surpris de voir des représentations où Jésus côtoie Adam et Ève, mais vous avez maintenant l’explication. À la suite de cet épisode, c'est au tour du Limbe des patriarches d'être fermé. Bon, cela donne lieu à des représentations très pittoresques.


Dans ce vitrail (fabriqué en Autriche, vers 1390, conservé aux Cloisters), Jésus, brandissant la croix et portant une bannière rouge, défonce joyeusement la porte des Enfers, écrasant sous son poids un horrible démon. Il délivre Adam et Ève (à droite) qui sont en train de l'implorant en les tirant vigoureusement par les poignets. Les dessins sont très réussis !

Descente au Limbe, panneau de Martin Schongauer et de son atelier (1480, musée de Colmar). Jésus, plus en retenue, recouvert de la tunique rouge, qui à présent celle de la victoire sur la mort et sur le mal, et non plus celle de l'ignominie, tenant la croix en bannière, à la tête d'une escorte d'anges (qui ressemblent à un groupe de gamins en excursion) est au centre. La porte de l'Enfer, qui n'est ni plus ni moins qu'une grosse porte d'auberge, a été arrachée de ses gonds. Un démon git sous la porte, tandis qu'un autre, particulièrement pittoresque, s'enfuit à la vue de Jésus. Adam et Ève sortent de l'Enfer et à l'arrière-plan on distingue d'autres Justes de l'Ancien testament. Les couleurs sont éclatantes !


Ici s’arrête la Passion du Christ, mais nous savons bien que l’histoire continue encore un peu.

Je vous ai montré des natures mortes (XVIIe et XIXe siècles) en prenant prétexte du Carême. Puis vous avez eu les RameauxLa Cène et le Lavement des pieds. Puis, la nuit au Jardin des Oliviers et l'arrestation du Christ. Le procès de Jésus (flagellation et couronnement d'épines). L'heure du Ecce homo. La montée au Calvaire ou portement de croix. La Crucifixion. La Déposition de Croix.
La semaine prochaine... et si Jésus n'était pas mort ? !

jeudi 21 mai 2020

Là-dessus, les pelles s’abattirent, et la conversation s’interrompit.

Manuela Draeger (avatar d’Antoine Volodine), Kree, éditions de l’Olivier, 2020.

Quelle lecture !
Au début, Kree, une femme guerrière, se fait tuer en cherchant à venger la mort de sa chienne. Ensuite, elle passe dans le bardo, cette existence amoindrie à la durée indéfinie.
Ensuite ? Ou avant ? Elle arrive dans une ville. J’ai songé pendant un moment que la vie dans la ville était située avant la mort de Kree et que nous avions affaire à un retour en arrière. Cependant, plus j’avançais dans ma lecture, plus je me disais que ce n’était pas le cas. Bien sûr, impossible de trancher. Le bardo n’a ni avant ni après, alors…

Elle avait compris que la fin du monde durait depuis des siècles, avec des périodes de ralentissement et même de tranquillité et des périodes d’accélération, et que c’était justement au cours d’une de ces dernières-là qu’elle avait eu la malchance de naître. Ou plutôt de naître.
Ou plutôt de commencer à marcher dans l’enfilade des espaces noirs.

Ici, la terre a été dévastée par des guerres infinies et par des charniers où ont été entassés les corps. Les survivants, car ils le sont tous, morts ou non, mènent une existence un peu grise dans une ville dirigée par les mendiants terribles, apôtres d’un égalitarisme et d’un hypothétique Parti. Kree y mène une existence tranquille, avec une amie sorcière et deux amis qui tentent de faire du commerce. Elle craint les araignées qui règnent en nouveaux maîtres du monde et ne veut surtout pas attirer l’attention sur elle. Il y a aussi des hommes qui ont vécu dans des œufs et dont les souvenirs sont particulièrement effrayants.

La futaie de moins en moins dense. Les arbres s’espaçaient, des cyprès chevelus, des sapins goutte-de-fiel, des sapins silence, des érables d’abîme, des sequoias petite-vertu, des mélèzes-ventrus, toutes ces nouvelles espèces que personne n’avait étudiées et que personne jamais ne recenserait, qui étaient apparues pendant la guerre noire et qui étaient déjà, comme toutes les autres, atteintes de maladies génétiques et en voie de disparition.
Vitrail, Âmes tourmentées en Enfer, 1500, Cloisters.

Comme dire ?
Cela tient du roman d’aventure et du roman de mystère. Le lecteur y vit une expérience intranquille : à chaque fois qu’un personnage semble trouver de la stabilité et du réconfort le monde se transforme, de façon arbitraire, sans devenir catastrophique, mais le passé devient inatteignable et le personnage oublie sa mémoire. Nous évoluons dans un univers qui n’est pas totalement inconnu, étrange et absurde.
C’est un monde dévasté au point où les armes à feu ont quasiment disparu, où sont apparues de nouvelles espèces de plantes ou d’animaux, où les humains parlent un langage simplifié, où le chamanisme ne fonctionne plus très bien, mais reste vaguement utile quand même. Il n’est question ni d’espoir ni de désespoir. C’est une longue continuation et la mort n’est pas une fin. L’être humain montre une capacité d’adaptation sans limite, même dans sa version amoindrie ou éteinte.
Un roman envoutant.

- On fait tous ça, commente-t-elle.
- Ça quoi ? demande-t-il, puis il détourne enfin le regard.
Kree ne sait pas comment continuer.
- Être fidèles, dit-elle.
Il pousse un long soupir.
- Oui, dit-il. C’est soit rester fidèle, soit trahir.
Smoura Tigrit, pense Kree. Un œuf. Rester fidèle à un œuf. Faire abstinence pour rester fidèle à un œuf. On fait tous ça.

Volodine sur le blog :

Acheté en drive pendant le confinement – c’était indispensable.

mardi 19 mai 2020

L’homme le plus dangereux, c’est l’homme seul, parce qu’il ne sait même pas qui il est.

Agustín Martínez, Monteperdido, traduit de l’espagnol par Claude Bleton, parution originale 2015, édité en France par Actes Sud.

Dans un village paumé tout en haut des Pyrénées, deux petites filles disparaissent. Cinq ans plus tard, l’une des deux réapparaît. Et l’enquête (re)commence.

Le fil du temps était chaotique dans le récit qu’Ana faisait de sa séquestration. Enfermée pendant de longues périodes dans un sous-sol loin de toute lumière, soumise à une routine quotidienne, il était normal qu’elle ait du mal à établir une chronologie des années où elle avait été privée de liberté.

Voici un roman policier tout à fait réussi. Le village s’était installé dans l’habitude, pendant ces 5 années. Mais désormais tout est perturbé. Car les fillettes n’ont pas été emmenées au loin. Le ravisseur semble être du coin. De quoi se survient la survivante ? Acceptera-t-elle de tout raconter ? Ou choisira-t-elle de tout oublier, aux dépens de celle qui est encore captive ? Comment les policiers peuvent-ils interpréter ses maigres réponses ? Et comment concilier le bonheur d’une des deux familles avec le ressentiment de l’autre ? Surtout qu’en 5 ans, il s’en est passé des choses. Le cœur de ce roman est constitué par le rapport ambigu que les habitants du village entretiennent avec cette enquête et par les réactions diverses, contradictoires, inattendues face au retour de l’une des deux disparues. Paradoxalement, dans ce contexte la psychologie du ravisseur apparaît plus secondaire.
L’enquête est menée à la fois par des policiers nationaux spécialistes des enlèvements et des policiers locaux, impliqués étroitement dans le territoire, parfaitement conscients des contradictions dans lesquelles ils sont enfermés.
Et au-dessus de tout cela règnent les sommets enneigés menaçants qui enserrent le village.
Un roman policier avec beaucoup d’humanité.

À l’horizon, elle voyait le noyau urbain de Monteperdido. Des maisons noires, silencieuses, saupoudrées de petites lumières jaunâtres, maintenant que le soleil était couché. Sara eut l’impression que ces demeures étaient plutôt l’œuvre de la nature, comme les montagnes qui l’entouraient, œuvres de secousses sismiques et de siècles d’érosion.

En montagne, quand la lumière est vivante.


samedi 16 mai 2020

La Déposition

Reprenons la suite de l’histoire. Jésus est mort crucifié (dans le billet de la semaine dernière).
Le vendredi soir, Joseph d’Arimathie obtient de Pilate de récupérer le corps de Jésus de façon à lui donner une sépulture.
Le prophète est donc décroché de la croix, enveloppé dans un linceul et déposé dans un tombeau creusé dans le rocher. Une pierre est roulée devant pour fermer l’entrée.
La Descente de croix désigne le moment où Jésus est décroché de la croix tandis que la Déposition désigne le moment où son corps est déposé sur le sol. En peinture, les deux sont souvent confondus – et se confondent aussi avec la scène suivante, à savoir la Lamentation sur le Christ mort ou Déploration (qui rassemble plusieurs personnages) ou même avec la Pietà (où théoriquement il n'y a que la Vierge et son fils).
La version de Rubens est très connue.

La Descente de croix de Rogier van der Weyden (1435, Prado, image Prado) est un classique en matière d'iconographie. Elle allie un certain hiératisme, avec des figures monumentales fermées et silencieuses, chacune dans sa douleur, et un petit quelque chose de maniériste, avec des personnages aux positions étonnantes. Ce que la reproduction ne rend pas, c'est l'impression de relief qui détache la figure du Christ, qui semble flotter devant le fond et les autres figures et qui semble sortir de la boîte de la peinture. Les couleurs sont éclatantes et le panneau saute littéralement aux yeux quand on se retrouve face à lui. Extraordinaire !

Cette petite Déposition a été taillée dans de l'ivoire de phoque à York vers 1200 (V&A). C'est une toute petite chose, mais très habile. Joseph d'Arimathie soutient le corps de Jésus qui retombe lourdement sur lui et il y a beaucoup de douceur dans son attitude.

Lamentation sur le Christ mort de Lionello Spada (1610, musée Fabre). J'ai aimé dans ce tableau sa très grande simplicité. Aucun signe ici de divinité ou de surnaturel. Nous avons très prosaïquement des personnes qui se lamentent parce que l'un des leurs est mort. Pas de couleur éclatante: la Vierge est vêtue de noir et a le nez et les yeux rougis parce qu'elle pleure. Au premier plan, un homme s'essuie les yeux avec le linceuil, dans un geste trivial et plein d'humanité. Simplement le chagrin.

Reconnaissez-vous Luis Morales ? Je vous en ai déjà parlé. Ces deux Pietà sont conservées pour l'une à Caen et pour l'autre à l'Academia San Fernando à Madrid. Variation sur un même thème : un corps de Jésus préservé des traces de l'agonie ? Ou avec des coulures de sang et des mains qui rappellent l'horreur de la mort ? Une Vierge éternellement jeune et impénétrable ? Ou plus marquée par la douleur ? Et il y aussi la question des proportions (qui se pose dans la célèbre Piétà de Michel-Ange) : le corps de Jésus est immense, mais peut être pris dans les bras, et les mains de la Vierge semblent également très grandes pour pouvoir l'étreindre au maximum. Ces panneaux proposent au chrétien de méditer lui aussi sur le corps mort du Christ.


Greco, toujours Greco avec cette magnifique Pietà de 1580 (collection privée). Je crois que les couleurs sont fabuleuses. Le corps de Jésus est blanc, rose, gris, mauve, immaculé en tout cas, un merveilleux géant, à la poitrine nacrée, pleine de lumière.

Les Espagnols décidément très en pointe sur le sujet... une belle Pietà de Juan de Valdés Leal (1660, Metropolitan). Comme souvent dans ces tableaux, la position de Jésus et celle de la Vierge se font écho (c'est le cas chez Van der Weyden), ce qui introduit un certain dynamisme dans la représentation d'un sujet qui pourrait être assez statique. Ici, la couleur rouge figure à la fois le sang et le vêtement de la Vierge et dans ses yeux rougis par les larmes. Les couleurs sont très particulières.

À propos de couleurs particulières, j'ai un faible pour la Pietà du Rosso (1540, musée du Louvre image wikipedia). Ici, tout le monde a des vêtements élégants (ah Marie-Madeleine au premier plan !). La Vierge écarte les bras dans un geste qui traverse toute la toile, entre évanouissement et expression de la douleur. Le corps de Jésus est blafard, mais athlétique et intact. Le cadrage est très resserré et les personnages sont entassés les uns sur les autres, de façon à accroître la tension. Et la couleur rouge s'impose dans toutes ses nuances, y compris les plus inattendues : rose, orange, vermillon, prune, avec des reflets électriques. Un tableau qui n'est pas forcément séduisant, mais d'une grande puissance.

C'est tout pour aujourd'hui.

Je vous ai montré des natures mortes (XVIIe et XIXe siècles) en prenant prétexte du Carême. Puis vous avez eu les RameauxLa Cène et le Lavement des pieds. Puis, la nuit au Jardin des Oliviers et l'arrestation du Christ. Le procès de Jésus (flagellation et couronnement d'épines). L'heure du Ecce homo. La montée au Calvaire ou portement de croix. La Crucifixion. La semaine prochaine, Jésus sera mis au tombeau.

jeudi 14 mai 2020

Quelque part sur une route dans le centre de la Gaule.


Christian Goudineau, Le Voyage de Marcus, paru en 2001 chez Actes Sud (avec de nombreuses coquilles) (acheté à De natura rerum, une super librairie d’Arles spécialisée dans l’Antiquité et les bières artisanales).

Un voyage dans la Gaule romaine !

Envie d’évasion et de tranquillité ? Montez sur la charrette avec Marcus, son père, son précepteur et quelques serviteurs. Marcus a 12 ans et il accompagne son père qui postule à quelque dignité de l’empire. Nous sommes au IIe siècle de notre ère dans le sud de la Gaule romanisée.
Voilà qui est extrêmement plaisant ! Si vous aimez l’empire romain, vous apprécierez cette balade qui vous emmènera à Nîmes (Nemausus), Arelate (Arles), Lugdunum (Lyon) et ailleurs. C’est avec talent que Goudineau parvient à nous retranscrire la vie quotidienne d’un membre de l’élite gauloise acquise à l’empire : Marcus partage les conceptions de son temps et de sa classe, ce qui ne le rend pas toujours sympathique, mais c’est un adolescent et il découvre – comme nous – les merveilles de la fontaine de Nîmes, les légendes locales, les temples, les jeux du cirque, les courses de char et bien d’autres choses. Tout cela est raconté avec habileté, sans lourdeur ni didactisme !
La narration n’a rien d’échevelé et le début du voyage est même un peu poussif. C’est le premier roman de Goudineau et je suppose qu’après ce premier titre en forme de promenade digestive il s’est lancé dans des randonnées plus accidentées. 
Parmi les bizarreries des Romains qui nous sont plaisamment racontées : un empereur ostracisé, les affaires importantes discutées dans les latrines des thermes (il y a 50 places), les cortèges funéraires, les perroquets Socrate et Aristote, les moutons de la plaine de la Crau, les cruautés insensées dans les jeux du cirque, les méandres de la langue latine, etc.
À lire en confinement – c’est très dépaysant et reposant.

Je suis totalement fan d’archéologie et j’ai le souvenir lointain d’avoir eu Goudineau en cours et il a enseigné au Collège de France. Il sait de quoi il parle. Keisha m’a recommandé un autre de ses titres, je pense donc continuer sur ma lancée.

Je n’avais encore rien… entendu ! Des vociférations inimaginables retentirent peu après : « Les Verts, les Verts, les Verts ! », aussitôt accompagnées de huées et de sifflements. Des hurlements équivalents saluèrent l’entrée des autres couleurs. La foule prononçait aussi des noms, du genre : « Coclès, le meilleur, le meilleur ! »



 Photos du jardin de la fontaine à Nîmes, lieu de l'action du roman et un endroit très agréable.

mardi 12 mai 2020

La vie était aussi résistante et tenace qu’un rat.

Rosa Montero, Des larmes sous la pluie (2011), Le Poids du cœur (2015) et Le Temps de la haine (2019), traduits de l’espagnol par Myriam Chirousse, édités en France chez Métailié.

Avant de lire Le Temps de la haine qui est paru à l’automne 2019, j’ai voulu relire les volumes précédents. Pour la peine, billet complet.

Des larmes sous la pluie.
Premier volume des aventures de Bruna Husky. On est à Madrid en 2109 et notre héroïne est une réplicante, une machine humaine à la durée de vie limitée. Elle enquête sur un complot qui semble avoir pour but de dresser les humains et les réplicants les uns contre les autres, dans une horrible guerre.
Dans ce premier volume, nous découvrons l’univers imaginé par Montero : une planète à l’air vicié, où l’eau naturelle, les animaux et les plantes sont de lointains souvenirs, où les extraterrestres apparaissent à l’occasion, où les portables permettent de tracer les êtres, où l’amour et la haine existent quand même. Un très bon roman de science-fiction, qui se dévore sans problème !
Il est aussi beaucoup question de la mémoire, des souvenirs induits ou fabriqués, des souvenirs que l’on fait disparaître de gré ou de force, du passé de la planète qui semble n’avoir jamais existé.
Un personnage est à la fois homme et femme et les pronoms personnels alternent, ce qui ne pose aucun problème.
Mon premier billet sur le roman.

Bruna tenta de se souvenir de toutes les informations qu’elle possédait sur les Omaas. Que c’étaient les Autres qui abondaient le plus sur la Terre car, en plus de leur représentation diplomatique, il y avait des milliers de réfugiés qui avaient fui les guerres religieuses de leur monde. Que ces réfugiés étaient les extraterrestres les plus pauvres, justement à cause de leur condition d’apatrides, et que cela faisait d’eux les êtres les plus méprisés parmi les bestioles. Qu’ils étaient… hermaphrodite ? Ou bien c’étaient les Balabis ? Quel merdier.

Le Poids du cœur.
Dans ce deuxième volume, Bruna Husky part cette fois sur la piste des déchets nucléaires. Il n’y a pas ici de découverte de nouvelles créatures, comme dans le premier, mais nous voyons Bruna voyager sur Labari, une installation humaine en dehors de la terre, et dans un territoire dévasté de l’ancienne Finlande. L’histoire est peut-être un brin compliquée (je n’ai pas bien compris ce qu’il arrivait au fameux diamant) et notre détective ne paraît pas toujours bien perspicace. Mais à qui faut-il faire confiance ? Quand faut-il se laisser submerger par les sentiments ? Pas évident de se débrouiller dans l’entrelacs des relations. Ce qui est intéressant aussi, c’est cette réflexion sur la démocratie. Un régime bien imparfait indubitablement : les pauvres ne peuvent se faire soigner à l’hôpital, ou se payer de l’air de bonne qualité et certaines zones sont hors droits. L’argent y décide de tout. Mais Bruna peut constater que les autres régimes ne valent pas mieux, voire sont bien pire. Dans ce monde en désolation, où l’eau, les animaux, les plantes ont quasiment disparu (ne restent que les méduses), les principes de l’amitié et de la démocratie peuvent guider une vie.
Mon premier billet sur le roman.

Parce qu'une partie du 1er roman se déroule au zoo,
G. Aillaud, Les Pingouins, 1972 Marseille, Mac.

Le Temps de la haine.
Le cher amour de Bruna, Paul Lizard, un commissaire de police, a été enlevé et est détenu par des terroristes – qui ont l’air d’être allié à un genre d’oligarque. Au cours de son enquête, elle aura l’occasion d’entrevoir un apaisement possible – pour elle qui est en fureur contre les humains qui fabriquent en série des réplicants sensibles, mais à la mort programmée.
J’ai été bien prise dans l’histoire même si le machin complotiste ne me plaît pas et a tendance à m’agacer. J’ai sans doute préféré le premier volume où l’on découvrait cet univers et qui avait plus de charme à mon goût. Je n’ai quand même pas lâché mon livre. J’apprécie particulièrement les personnages, notamment cette Bruna Husky, une androïde de combat beaucoup trop sensible.
Le billet de Keisha.

Les bottes de Bruna martelaient rythmiquement le trottoir. La rep sentit les dalles en polyciment sous ses semelles, et par-dessous elle crut percevoir le lit de cailloux, et encore en dessous le sable, les pierres, la roche, la masse incandescente de la Terre, la planète entière tournant lentement sous ses pieds, une boule habitée par un bouillonnement de milliards d’être sentants, s’acharnant tous à continuer de sentir. (…) Les êtres sentants oubliaient la mort et la douleur pour pouvoir vivre. Sauf elle. Bruna ne pouvait pas. Trois ans, trois mois et treize jours.

Une romancière

Puis-je le dire ? Je trouve les titres totalement nuls.


samedi 9 mai 2020

La Crucifixion

Sur ce blog, depuis quelques semaines, un parcours en beaux-arts au fil des étapes de la Passion du Christ. Aujourd’hui, la Crucifixion.
Nous sommes le vendredi après-midi. Jésus est crucifié*, en même temps que deux larrons (un bon et un mauvais), en présence de quelques femmes, mais en l’absence de ses disciples.

Une pancarte, pardon un titulus, est fixée sur la croix avec l’inscription « Jésus roi des Juifs », INRI, acronyme du latin Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum. Le panneau est très souvent visible dans les peintures.
La page Wikipedia contient des indications techniques sur la taille de la croix et sur l'utilisation (ou non) des clous. Dans l'iconographie, les clous sont indispensables si on veut que Jésus puisse ensuite porter les stigmates. Néanmoins, les condamnés étaient plutôt liés à la croix.
Les soldats se partagent ses vêtements en les jouant aux dés.
Il y a l’épisode dit du Coup de lance : après la mort de Jésus, un des soldats (un certain Longin paraît-il) lui perce le côté avec une lance et il en sort du sang et de l’eau. Cette lance qui ne cesse jamais de saigner est détenue avec le Graal dans les légendes arthuriennes. Et Longin se serait converti après la mort de Jésus.
Joseph d’Arimathie, un notable, recueille le sang de Jésus dans un vase, le Saint Graal, toujours d’après les légendes arthuriennes – mais nous savons bien qu’il s’agissait d’un bocal à anchois, car nous avons vu Kaamelott. Joseph d’Arimathie, encore lui, réclame le corps de Jésus à Ponce Pilate pour lui procurer une sépulture (pour la suite de l’histoire il est en effet essentiel que le corps de Jésus ne rejoigne pas la fosse commune).

* La version où le héros entonne Always look on the bright side of life est légèrement apocryphe.

La version baroque de Hyacinthe Rigaud (1695, Musée Fabre)
Notons que Rome condamne à être crucifié, c’est-à-dire au crucifiement, mais que le crucifiement de Jésus prend le nom particulier de Crucifixion.

En peinture, deux grands axes : la toile qui représente un grand événement cosmique, le sacrifice d'un homme pour sauver l'humanité, la fin du monde (le fracas de Tintoret par exemple) ou la toile qui représente la mort d'un homme seul, abandonné de tous, y compris de son père (la sobriété de Velazquez par exemple). Entre les deux... tout est possible.

On commence juste avant la Crucifixion elle-même, avec ce Partage de la tunique du Christ, peint par Greco en 1577 pour la sacristie de la cathédrale de Tolède. Greco (et son atelier) a peint plusieurs versions de cette toile que vous pouvez donc aussi voir, avec des variantes, à Lyon et à Budapest. La tunique pourpre, réservée aux empereurs, dont Jésus a été revêtu par dérision, constitue véritablement un emblème royal, mais son reflet rouge dans la cuirasse du soldat est sinistre. Vous voyez les bras qui se tendent pour le dévêtir, les trois Marie en bas à gauche et la croix en train d'être préparée, le tout sous un éclairage dramatique, avec des couleurs éclatantes (ce jaune et ce mauve au 1er plan !).


Pas de Velazquez, mais le Christ sur la croix d'Alonso Cano (1640, Academia Bellas Artes de Madrid) : magnifique camaïeu de bruns, le corps du Christ constituant la seule source de lumière. Un corps saignant mais intact et magnifié. Au bas de la croix, on aperçoit le crâne d'Adam qui, dit-on, se trouverait au Golgotha.
J'ai toujours trouvé les statues des Christ espagnol extrêmement frappant (ici celle de l'église San Antonio de los Alemanes à Madrid) : des sculptures en bois peintes, avec des détails réalistes et franchement effrayantes.


Crucifixion d'Ugolino di Nerio (1330, tempera sur bois, Thyssen Bornemisza)


Le Calvaire de Ludovico Urbani (1466-1493, Petit palais d'Avignon)


La Crucixion de Quentin Metsys (1515 Ottawa).

Je rassemble ces panneaux parce que j'y vois ce qui me plaît le plus dans ces peintures : la représentation des proches de Jésus. Même si selon les Évangiles, seules les femmes étaient présentes, saint Jean y est souvent représenté (Keisha me fait remarquer qu'au moins un Évangile mentionne Jean, donc j'ai dû me tromper). Ugolino di Nerio place la Vierge et Jean, dans un beau manteau rose, en train de se tordre les mains, le visage sobrement affligé. Ludovico Urbani représente la Vierge évanouie dans les bras de Marie-Madeleine et un Jean superbe, vêtu de rose, de bleu et d'or, en figure archétypale de la tristesse, du chagrin et de l'abattement. Il a les cheveux dorés comme un ange. Quentin Metsys sépare nettement les trois figures: Jean en rouge et Marie-Madeleine, le corps arqué. Ce sont souvent ces personnages qui portent la dramatisation par leurs gestes ou leurs postures expressives.

C'est très évident dans cette Crucifixion de Rogier van der Weyden (1460, musée de Philadelphie). Ici, point de grands effets, genre ciel d'orage et lumière surnaturelle. Un mur nu et le rouge du sang et des empereurs suffisent. D'un côté, la croix (avec les os du Golgotha) avec une grande sobriété dans les effets, et de l'autre, Marie et Jean (dont on ne sait pas bien comment ils peuvent tenir debout). Le spectateur est invité à méditer devant la mort de Jésus et à partager la douleur de la Vierge.

Une crucifixion qui dénote : celle de Grünewald (1512), dans l'immense retable d'Issenheim conservé à Colmar : ici pas de corps lumineux ou glorieux. Les traces de l'agonie sont visibles (regardez les mains qui se tordent dans un spasme et les pieds complètement déformés). La croix est constituée de malheureux bouts de bois qui ploient sous le poids de Jésus (tous les péchés des hommes, c'est lourd). La peau porte les traces du martyre. La détresse des autres personnages s'exprime là encore par des mouvements du corps expressifs (et j'ai coupé saint Jean-Baptise à droite !).


Je ne résiste pas au plaisir de vous montrer cette image (tirée de Wikipedia) : Consummatum est, "Tout est accompli", dernières paroles de Jésus, et titre de la toile de Gérôme (1867, Musée d'Orsay). Les trois hommes sont morts, la foule s'en va et rejoint la ville de Jérusalem que l'on aperçoit à l'horizon, c'est le soir. C'est fini.

La Passion s’arrête ici... ou plus tard, avec la mise au tombeau.


(il est trop long ce billet, non ?)

Je vous ai montré des natures mortes (XVIIe et XIXe siècles) en prenant prétexte du Carême. Puis vous avez eu les RameauxLa Cène et le Lavement des pieds. Puis, la nuit au Jardin des Oliviers et l'arrestation du Christ. Le procès de Jésus (flagellation et couronnement d'épines). L'heure du Ecce homo. La montée au Calvaire ou portement de croix.
La semaine prochaine... Jésus sera encore mort, mais son corps fera l'objet de tous nos soins.

Point Confi... Déconfinement : Mon département est vert et avec une amie on s'est dit "à lundi". Yououu le soleil brille, au moins un peu.